L’accord issu du Conseil européen des 7 et 8 février sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 pour l’Union européenne est une déception. Certes, un tel accord semblait pour l’heure improbable et l’on pourrait se réjouir que les États membres aient accouché dans la douleur d’un budget 2014-2020 faisant l’unanimité parmi les États membres de l’UE. Certes encore, les coupes prévues dans le budget sont finalement très inférieures à celles défendues depuis plusieurs mois par le Royaume-Uni et l’Allemagne. Certes toujours, les chefs d’État ont pour la plupart affiché leur satisfaction, chacun ayant plus ou moins obtenu ce qu’il souhaitait.

Il n’en reste pas moins que le compromis trouvé affaiblit l’UE et renie le sens de la construction européenne. Comment, en effet, préserver le succès des politiques européennes en cours et envisager de nouveaux projets communs avec un budget plafonné à 1% du revenu national brut de l’UE ? La baisse de 3,39% des crédits d’engagement (960 Milliards) par rapport au cadre 2007-2013 rend cet objectif d’autant plus inatteignable. Impossible de le nier : le budget 2014-2020 proposé par le Conseil européen est un budget d’austérité qui entre en contradiction totale avec le Pacte pour la croissance et l’emploi voté en juin dernier et par lequel les États membres s’étaient engagés à faire du budget européen « un catalyseur de croissance et un vecteur d’emploi pour toute l’Europe ». Il est pour le moins regrettable que les investissements d’avenir destinés à stimuler la compétitivité et renforcer les synergies économiques européennes aient été sacrifiés au nom d’une orthodoxie budgétaire trop zélée. À cet égard, le choix du Conseil de réduire de 40% par rapport aux propositions de la Commission l’enveloppe allouée au Mécanisme pour l’interconnexion de l’Europe finançant les infrastructures de transport, d’énergie et de télécommunication (trois secteurs essentiels pour la croissance durable) est symptomatique de cette incapacité à dépasser le dogme de la réduction des dépenses. On connait pourtant l’effet de levier important qu’ont de tels investissements en termes de relance de la croissance et de création d’emploi. N’oublions pas que chaque euro investi par l’Union attire en moyenne 2 à 4 euros d’investissements supplémentaires.

Mais, plus encore que la casse du budget de l’UE justifiée par des impératifs d’assainissement budgétaire à l’image de ceux mis en œuvre nationalement, la tournure prise par les négociations ne laisse rien présager de bon pour l’avenir de l’UE. Alors que les discussions auraient pu être l’occasion de définir en commun une stratégie de coopération et d’intégration économique favorable à l’Europe, seuls les intérêts purement étatiques ont été âprement défendus au prétexte du « juste retour ». David Cameron, très doué au jeu des tractations et du chantage, est ainsi reparti avec le chèque de 3,6 Milliards qu’il était venu chercher. Il n’est pas le seul : chaque pays aura eu son voire ses rabais (55 au total !). La France s’est battue de son côté pour maintenir une PAC qui soutient bien plus les gros exploitants que les petits producteurs… Cette logique non coopérative, qui fait de l’Europe une variable d’ajustement des politiques comptables nationales, mine la solidarité et l’intégration européenne et ne peut que déboucher sur un budget sans fonction économique. Si ces calculs court-termistes, souvent liés à des enjeux électoraux locaux, ne cessent pas, l’Europe risque de devenir une citadelle assiégée par 27 (bientôt 28) égoïsmes nationaux.

Pourtant, il existe une solution pour dépasser l’opposition stérile entre contributeurs nets et bénéficiaires nets tout en dégageant de nouveaux fonds pour financer des projets ambitieux pour l’Europe : rendre plus autonome le financement du budget de l’UE en le faisant majoritairement reposer sur de véritables ressources propres, conformément à l’esprit des traités fondateurs. C’est dans cette voie que les États doivent désormais s’engager. Le projet de taxe sur les transactions financières est un premier pas qu’il faudra amplifier par la mise en place d’un système de ressources propres liées à la TVA comme l’a proposé la Commission. L’enjeu pour l’UE d’avoir des ressources propres est d’alléger progressivement le système actuel de contributions nationales sans pour autant dédouaner les États de leur nécessaire participation au budget de l’UE. Ainsi ces ressources propres permettront de dégager de nouveaux financements afin de ne plus substituer une dépense à une autre, comme nous sommes aujourd’hui obligé de le faire en sacrifiant des investissements d’avenir pour sauvegarder la PAC et les politiques de cohésion.

La réaction sèche et unilatérale de tous les groupes politiques du Parlement européen à l’accord trouvé par le Conseil est rassurante et permet d’imaginer un dénouement salutaire à ce qui se présente pour le moment comme un tour de force des gouvernements conservateurs et libéraux peu soucieux de l’avenir de l’Europe. Dans un communiqué commun, les groupes PPE, SD, ADLE et Verts au Parlement européen ont vertement critiqué le compromis du Conseil et annoncé que le Parlement refusera de le voter en l’état. Il est vrai que la légitimité du Parlement européen est amoindrie du fait que ce sont les États qui alimentent le budget européen à défaut de réelles ressources propres. C’est d’ailleurs pourquoi le Parlement entend faire pression sur le Conseil pour que ce dernier s’accorde enfin sur la réforme du système de ressources propres (TTF, TVA, taxe énergétique, enchères sur les émissions de CO2) afin que celles-ci alimentent les caisses de l’UE à mi-parcours. Il appelle également à une flexibilité maximale permettant le transfert des crédits entre années et entre catégories budgétaires. Il réaffirme sa détermination à peser sur les choix budgétaires à la fois en comblant l’insuffisance des crédits de paiement et en réorientant les dépenses sur les priorités qui sont les siennes, notamment la croissance et l’emploi. Il demande enfin qu’une clause de révision obligatoire (avec vote à la majorité qualifiée du Conseil) soit prévue afin que le Parlement puisse revenir sur ce budget dans 2 ou 3 ans, d’autant plus qu’il aura été renouvelé d’ici là. Il est en effet aberrent d’adopter définitivement un budget prévoyant l’austérité jusqu’en 2020 !