Dans la nuit du 8 au 9 novembre, le Sénat a voté un important projet de loi du gouvernement concernant les étrangers en situation irrégulière. Ce texte vient principalement combler un vide juridique laissé par des jurisprudences successives de la Cour de Justice de l’Union Européenne et de la Cour de cassation. Ces deux juridictions ont en effet rejeté l’utilisation de la garde à vue au seul motif de l’irrégularité du séjour en France d’un étranger, considérant que la présence sur notre territoire d’un sans-papiers ne pouvait être assimilée à un délit.

Cette décision est venue fragiliser l’arsenal juridique dont dispose les forces de police pour lutter contre l’immigration clandestine puisque seul l’emploi de la procédure de vérification d’identité est désormais possible. D’une durée de quatre heure, elle ne permet pas de procéder à la fois à l’identification des étrangers, à l’examen sérieux de leur droit au séjour et à la mise en œuvre des mesures applicables en cas d’irrégularité constatée.

Il fallait donc trouver un moyen de résoudre cette difficulté pour faire en sorte que la loi puisse tout simplement être appliquée. Le texte propose ainsi la création d’un régime intermédiaire de retenue pour vérification du droit au séjour d’une durée maximale de 16h et assorti de nombreuses garanties : droit à un interprète, droit à un avocat, droit à un examen par un médecin, droit de contacter toute personne de son choix, etc. Je pense qu’il s’agit d’un compromis équilibré et satisfaisant entre le souci d’efficacité policière en matière de lutte contre l’immigration clandestine et le respect des libertés individuelles et des droits de la défense.

Je regrette que la droite n’ait pas songé plus tôt à mettre notre législation en conformité avec le droit européen, la décision de la CJUE remontant à 2011 et portant sur une directive de 2008. Son inaction a entrainé une situation particulièrement compliquée pour nos policiers dont les méthodes et conditions de travail ont été gravement affectées. Les sénateurs UMP ont consenti à réparer leurs erreurs en votant ce texte de loi. Je salue ce geste.

Le projet de loi entendait également abolir le « délit de solidarité ». Je me suis exprimé à de nombreuses reprises à ce sujet (voir par exemple « Suppression du délit de solidarité: promesse tenue » et « Proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit ») et je me félicite que cette demande légitime des associations humanitaire ait enfin été entendue. La législation actuelle, par son imprécision, entretenait un amalgame honteux entre la vénalité des marchands d’hommes et la générosité des bénévoles. Une immunité sera désormais accordée aux personnes physiques ou morales portant une assistance désintéressée à un étranger en situation irrégulière quand cette aide vise à garantir des conditions de vie dignes et décentes à cette personne.

Le débat autour de ce texte a aussi permis de soulever le problème de l’inversion du rôle du  juge administratif et du juge judiciaire. Pour rappel, la loi Besson du 16 juin 2011 a allongé la durée de placement en rétention de 2 à 5 jours et reporté d’autant l’intervention du juge des libertés et de la détention. Ce juge, garant des libertés individuelles, est pourtant compétent pour valider l’interpellation de l’étranger et autoriser la prolongation éventuelle de sa retenue. Son intervention tardive a eu pour conséquence de permettre la mise en œuvre des mesures d’éloignement sans que la légalité de l’interpellation et de la détention ait été contrôlée (c’est le cas de 25% des expulsions depuis la réforme). L’objectif de la droite était limpide : faciliter les expulsions en donnant carte blanche à l’administration quitte à bafouer les droits les plus élémentaires de la défense et porter atteinte aux libertés individuelles. La discussion en séance a beaucoup insisté sur ce point même si ce n’était pas l’objet du projet de loi de sorte que le Ministre de l’Intérieur s’est engagé à nommer un parlementaire en mission pour proposer un texte sur ce sujet au premier trimestre 2013.

Enfin, le Ministre de l’Intérieur a saisi l’occasion de ce projet de loi pour défendre sur sa vision apaisée de la question de l’immigration qu’il souhaite repenser à l’aune de notre tradition républicaine et non instrumentaliser comme la droite l’a fait ces dernières années. Il a rappelé avec justesse dans un discours très applaudi que, si la France a toujours été une terre d’immigration, d’accueil et de refuge, elle doit aussi garder à l’esprit son devoir d’accueillir dignement les étrangers en leur offrant les meilleures conditions de vie possible. Cette exigence nécessite de conduire une politique d’immigration responsable (c’est le sens de la célèbre formule de Michel Rocard à laquelle il a fait écho), qui plus est dans un contexte de crise, mais non moins objective, respectueuse et solidaire. Je partage cette approche qui a le mérite du courage et de la sincérité.

Retrouvez mon intervention en séance sur ce texte ci-dessous :

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne sais pas si cela tient à l’ordre alphabétique ou au fait d’être membre du groupe socialiste, mais j’ai l’impression d’être toujours le dernier à intervenir dans la discussion générale. Il m’est donc difficile d’éviter les redites.

Tout d’abord, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, de l’action déterminée que vous avez récemment menée et que vous menez encore en matière d’immigration et d’intégration ; en témoigne votre discours liminaire.

Au cours des derniers mois, vous avez en effet abrogé un certain nombre de dispositions réglementaires prises par vos prédécesseurs, ceux-là mêmes qui se sont tristement illustrés, cinq années durant, par une certaine surenchère. Je donne acte à notre collègue Jean-Jacques Hyest de sa position, mais certains de ses amis ont cherché à instrumentaliser ce débat en y mêlant les questions de l’immigration, de la place de l’étranger dans notre pays et de la nationalité, ce qui n’est pas digne de la tradition française.

M. Jean-Jacques Hyest. Jamais au Sénat !

M. Richard Yung. C’est ce que nous avons particulièrement ressenti en tant que Français de l’étranger.

Aussi était-il devenu urgent de mettre un terme à certaines pratiques qui n’étaient pas à la hauteur de notre pays, patrie des droits de l’homme.

Ainsi, vous avez abrogé la circulaire du 31 mai 2011 qui empêchait des étudiants étrangers de s’installer dans notre pays et d’accéder à un emploi.

De même, pour les familles avec des enfants mineurs, vous avez écarté le placement en rétention au profit de l’assignation à résidence.

Vous avez en outre assoupli les conditions d’accès à la nationalité française afin que la naturalisation récompense un parcours d’intégration ; en matière de politique de naturalisation, les dernières mesures nous semblent extrêmement positives.

Enfin, vous avez annoncé votre intention de supprimer la liste des métiers sous tension pour la régularisation des travailleurs sans papiers.

Chaque fois, vous avez fait preuve non seulement de bon sens, mais aussi de courage et d’efficacité, alors qu’un certain nombre de nos collègues de l’opposition nous reprochaient volontiers un angélisme et une inefficacité, en quelque sorte consubstantiels à la gauche, en matière d’immigration.

M. Jean-Jacques Hyest. Nous ne savions pas que M. Valls serait ministre de l’intérieur !

M. Richard Yung. La gauche a ainsi montré qu’elle était tout à fait capable de conduire une politique d’intégration responsable et efficace, en même temps que juste, respectueuse et sereine.

Mais nous ne pouvons en rester là. Un travail législatif important est nécessaire pour venir à bout des discriminations et des injustices créées par les lois successives qui ont été votées ces dernières années en matière de sécurité et d’immigration, ou en tout cas pour les réduire.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé un vaste projet pour l’an prochain ; je m’en réjouis et je souhaite que les parlementaires soient associés à ce grand chantier.

Puissiez-vous être aidé dans la préparation de ce projet de loi par les travaux nourris que nous avons menés et les amendements nombreux que nous avons déposés ces dernières années lors de l’examen des projets de loi relatifs à l’immigration, en particulier lors de la discussion de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, dite loi Besson.

Je ne répéterai pas les raisons pour lesquelles le présent projet de loi est soumis à notre examen en procédure accélérée, ni les explications touchant à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Il est clair que l’arrêt de la Cour de cassation fragilisait notre édifice juridique, puisque les forces de police ne disposaient plus, pour mener à bien les vérifications nécessaires, que de la procédure de vérification d’identité, dont la durée ne peut dépasser quatre heures, ce qui est de toute évidence insuffisant.

Il était donc normal et urgent d’adapter notre législation pour la mettre en conformité avec le droit européen, pour combler le vide juridique ouvert par l’arrêt de la Cour de cassation et pour permettre aux forces de police de travailler dans de bonnes conditions.

Telle est la raison d’être du présent projet de loi, qui institue un nouveau régime de retenue des étrangers pour vérification du droit au séjour, à mi-chemin entre la garde à vue et la vérification d’identité.

D’une durée maximale de seize heures, ce dispositif me paraît être un compromis équilibré et satisfaisant entre le souci d’efficacité policière en matière de lutte contre l’immigration clandestine et le respect des libertés individuelles garanties par la Constitution.

L’articulation de ces deux exigences est d’autant plus aboutie que la procédure créée est assortie de nombreuses garanties pour l’étranger : droit à un interprète, droit de s’entretenir avec un avocat, droit à être examiné par un médecin, droit de prévenir sa famille et possibilité pour le procureur de mettre fin à la retenue à tout moment.

L’étranger retenu bénéficiera donc d’un ensemble de garanties que les membres de la commission des lois, sous la sage conduite de leur président, ont complétées et renforcées. Ils ont prévu le droit pour l’étranger retenu d’avertir les autorités consulaires, l’interdiction de le placer dans un local destiné aux personnes gardées à vue et la limitation des mesures de contrainte exercées sur lui.

Forte de toutes ces garanties, le dispositif ainsi créé semble à la fois efficace et respectueux des droits légitimes de la personne. Elle sera conforme aux exigences fixées par la Cour de justice de l’Union européenne et par la Cour de cassation.

Je n’ignore pas qu’un débat existe sur la longueur de la retenue : doit-elle durer seize heures, dix heures plus six, quatre heures plus douze ?

Même s’il s’agit d’un débat de fond, prenons garde à ne pas nous égarer dans des considérations trop tortueuses et trop complexes. Veillons aussi à ne pas créer une défiance à l’égard des forces de police, qui travaillent déjà dans des conditions difficiles.

Il est légitime de demander que le délai prévu pour la retenue soit celui qui est strictement nécessaire aux opérations de vérification.

En second lieu, le projet de loi supprime ce qu’il est convenu d’appeler le « délit de solidarité ».

Comme l’ont dénoncé de nombreuses associations, l’article L. 622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, censé permettre la lutte contre les réseaux de passeurs d’étrangers, a parfois été détourné pour traquer des bénévoles venant en aide aux sans-papiers.

Les orateurs de l’opposition ont prétendu que les cas auraient été peu nombreux. Pour ma part, j’ai le souvenir d’avoir visité il y a deux ou trois ans le camp de Sangatte, dans le Pas-de-Calais, et d’avoir rencontré des personnes ayant fait l’objet d’une mise en cause sur le fondement du délit de solidarité.

Je ne sais pas si les procédures ont par la suite abouti ; (MM. François-Noël Buffet et Jean-Jacques Hyest font signe que non.) mais le fait est que ces personnes avaient bien été poursuivies.

Il est vrai que, souvent, les affaires n’aboutissaient pas, ou bien débouchaient sur un non-lieu ou sur une dispense de peine, grâce au bon sens des juges. Reste que cette intimidation et la menace de représailles judiciaires pour délit de solidarité n’étaient pas acceptables.

Cette situation découle d’une législation imprécise qui, sous couvert d’une incrimination de l’aide au séjour irrégulier, entretient un amalgame entre ceux qu’on appelle les marchands d’hommes et des bénévoles généreux faisant œuvre de solidarité envers des personnes en difficulté.

Il me semble essentiel que la lutte contre les réseaux mafieux de passeurs ne devienne pas un alibi pour entraver ou décourager les actions respectables et humanistes de bénévoles désintéressés faisant vivre le troisième principe de notre devise républicaine.

Aussi je me réjouis que le projet de loi étende les immunités inscrites à l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile à la famille élargie et à toute personne physique ou morale portant une assistance désintéressée à l’étranger en situation irrégulière.

Avant de conclure, j’aimerais revenir sur une question qui me paraît importante, parce qu’elle a occupé une place essentielle dans les débats qui ont accompagné les lois votées ces dernières années en matière d’immigration.

Je veux parler de l’inversion des rôles du juge administratif et du juge judiciaire, à propos de laquelle nous avons eu de longs débats, en commission comme en séance publique.

La loi du 16 juin 2011 a allongé la durée de placement en rétention de deux à cinq jours, reportant d’autant l’intervention du juge des libertés et de la détention, qui est le garant des libertés individuelles.

M. Jean-Jacques Hyest. Les autres juges le sont aussi !

M. Richard Yung. Il est vrai que le juge administratif l’est aussi ; mais c’est la vocation particulière du juge de la liberté et de la détention, qui ne juge pas la décision du préfet mais tranche la question de la liberté. De là son titre.

M. Jean-Jacques Hyest. Qu’importe le titre ! Tous les juges sont juges des libertés !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur Hyest, n’interrompez pas l’orateur. M. Yung vient de dire que tous les juges sont juges des libertés ; mais il se trouve que le juge des libertés et de la détention porte ce titre.

M. Richard Yung. C’est un fait que le juge des libertés et de la détention a sa spécificité.

M. Jean-Jacques Hyest. C’est bien là le problème !

M. Richard Yung. Exactement ! Le problème vient du fait qu’il y a deux juges.

Pour ma part, je souhaite que l’on revienne sur l’inversion des rôles des juges, mais j’ai bien conscience que cette solution n’est pas forcément la panacée.

Comme vient de le dire M. Hyest, le problème fondamental tient à la coexistence de deux juges. Mais nous ne savons pas très bien comment en sortir !

Après avoir longuement examiné la question, Pierre Mazeaud, auteur du rapport « Pour une politique des migrations transparente, simple et solidaire », a conclu en 2008 qu’il ne fallait pas changer l’édifice.

On peut peut-être changer l’édifice – le Parlement, paraît-il, peut tout faire.

M. Jean-Jacques Hyest. On peut supprimer un ordre de juridiction !

M. Richard Yung. On peut aussi créer un ordre de juridiction spécifique, en sorte qu’un seul juge soit compétent pour connaître de l’intégralité des affaires. Autrement dit, le même juge se prononcerait sur la procédure administrative et sur la question de la liberté.

Je dis cela pour souligner l’importance et la complexité de ce problème sur lequel, monsieur le ministre, nous sommes prêts à travailler.

En fin de compte, je me réjouis que, sur des questions de cette importance, nous puissions nous retrouver nombreux. En tout cas, les sénateurs socialistes voteront le projet de loi présenté par le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur les travées du RDSE.)