Du 20 au 22 juin, ma collègue Claudine LEPAGE et moi-même nous sommes rendus à Tanger et Ceuta afin d'approfondir notre réflexion dans la perspective de l'examen par le Sénat des projets de loi relatifs à l'immigration et à l'asile. Ces deux textes seront prochainement présentés en Conseil des ministres avant d'être discutés au Parlement à partir de l'automne.

Lors de ce déplacement, nous avons abordé de nombreuses problématiques directement liées à l'actualité – dramatique – récente : conditions d’accueil des migrants ; nouvelles règles européennes pour le sauvetage en mer des migrants ; conséquences de l'externalisation par l'Union européenne des politiques de contrôle de ses frontières extérieures ; accord hispano-marocain de réadmission ; partenariat de mobilité UE-Maroc ; gestion des demandes d’asile ; etc.

Afin de nous faire une opinion la plus objective possible, nous nous sommes entretenus de tous ces sujets avec des acteurs de la société civile et les autorités espagnoles présentes à Tanger et Ceuta. Nous regrettons que les autorités marocaines n’aient pas répondu à nos demandes d’entretien.

À Tanger, nous avons été accueillis par Mme Muriel SORET, consule générale de France.

Dans la matinée du 20 juin, nous avons rencontré Mme Helena MALENO, coordinatrice du collectif Caminando Fronteras. Très inquiète, cette chercheuse spécialiste des migrations nous a indiqué que quelques jours avant notre rencontre, 37 migrants, dont une petite fille de deux ans et un bébé de six mois, avaient disparu en mer entre El-Ayoun (Sahara occidental) et les îles Canaries. Caminando Fronteras a alerté la marine civile espagnole (Salvamento marítimo) et des recherches ont été engagées. Cet évènement tragique est symptomatique d’une hécatombe aux portes de l’Europe. L’an dernier, 60 migrants ont péri en mer en l’espace d’un mois et demi !
Mme MALENO a pointé du doigt le défaut de coopération entre l’Espagne et le Maroc en matière d’assistance aux migrants en situation de détresse en mer : « les deux pays ne doivent pas se contenter de coopérer pour stopper les embarcations transportant les migrants ». Elle a également dénoncé certaines pratiques, dont l’utilisation de jets d’eau par la marine royale marocaine lors d’interventions en mer (cette pratique est à l’origine d’accidents). Par ailleurs, les autorités marocaines n’assurent aucune assistance (les migrants en état d’hypothermie ne se voient même pas remettre une couverture).
En règle générale, les membres de Caminando Fronteras interviennent après que les migrants ont été relâchés par la gendarmerie royale marocaine. Des soins leur sont notamment apportés (une petite fille a récemment dû passer trois jours à l’hôpital). Caminando Fronteras vient également en aide aux migrants qui vivent cachés dans les forêts situées à proximité de Ceuta.
Mme MALENO nous a aussi donné son point de vue sur la nouvelle politique marocaine de migration et d’asile. Mise en œuvre depuis septembre 2013, cette dernière constitue une petite révolution dans un pays jusqu’ici considéré comme un territoire de transit. Les autorités chérifiennes ont notamment mis en place une procédure de régularisation « exceptionnelle » afin de permettre, pendant un an, aux migrants en situation irrégulière qui répondent à certains critères de solliciter la délivrance d’un titre de séjour d’un an renouvelable. Pour ce faire, 84 « bureaux des étrangers » ont été créés un peu partout sur le territoire marocain. Plus de 15.000 demandes de régularisation ont été déposées. Cependant, seul un très petit nombre de migrants se sont vu délivrer un titre de séjour (entre 1.000 et 1.500). Constatant que les critères fixés par l’administration marocaine sont très difficiles à remplir, Mme MALENO souhaite que tous les demandeurs soient régularisés même si elle sait que les migrants qui ont reçu une carte ne perdent pas de vue l’objectif de traverser le détroit de Gibraltar. Par ailleurs, plusieurs interrogations demeurent : que se passera-t-il après la campagne de régularisation ? Selon quelles modalités les migrants pourront-ils renouveler leur carte de séjour ? Quid des conditions d’accès à l’emploi dans un pays connaissant un fort taux de chômage ? Les migrants dont la situation a été régularisée peuvent en effet accéder au marché de l’emploi (délivrance d’un permis de travail), mais aussi aux soins de santé, à un logement et à la formation professionnelle (réalisation d’un bilan de compétences). En revanche, le regroupement familial n’est pas prévu. S’agissant de la scolarisation des enfants, Mme MALENO voit d’un bon œil le fait que les enfants doivent apprendre l’arabe.
Selon certaines estimations, entre 30.000 et 40.000 candidats au départ pour l’Europe seraient présents sur le territoire marocain. De plus en plus nombreux, les migrants syriens ne demandent généralement pas l’asile à Ceuta et Melilla car ils savent que dans ce cas, ils n’auraient pas la possibilité de rejoindre la péninsule pendant la durée d’examen de leur demande.
Mme MALENO a attiré notre attention sur le fait que des migrants tentent d’atteindre l’archipel de Chafarinas et l’îlot de Perejil. Au cours des derniers mois, plusieurs ressortissants de pays africains (Congolais, Ivoiriens, Guinéens, Maliens) qui avaient emprunté cette nouvelle voie d’accès à l’Espagne ont été remis aux autorités marocaines alors même qu’ils souhaitaient demander l’asile. Cette initiative a suscité de vives réactions, dont celle du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Les autorités espagnoles ont répondu qu’elles ne disposent pas de bureaux de l’asile dans ces micro-territoires.
D’après Mme MALENO, les refoulements de migrants sont de plus en plus médiatisés car le gouvernement de Mariano RAJOY cherche ainsi à « faire croire à l’opinion que le pays fait face à des attaques ». Caminando Fronteras dénonce ce comportement « populiste » et rappelle que les migrants n’usent d’aucune violence lors des tentatives de franchissement de la frontière (« les blessés figurent toujours parmi les migrants et jamais parmi les forces de l’ordre »).
Mme MALENO estime que l’accord hispano-marocain de réadmission « est en contradiction avec la loi espagnole et la loi internationale ». Signé en 1992, mais opérationnel seulement depuis 2012, cet accord prévoit des formalités réduites qui facilitent l’expulsion des ressortissants de pays tiers (devoluciones en caliente). La police est en charge de la procédure d’expulsion, en dehors de tout contrôle du juge. Mme MALENO souhaite que la loi espagnole prime sur cet accord bilatéral. Le 27 juin, des juristes espagnols ont publié un rapport très critique sur les expulsions sommaires. D’une manière plus générale, Mme MALENO déplore que la loi espagnole ne soit pas correctement appliquée à Ceuta et Melilla.
Nous avons longuement évoqué la tragédie du 6 février dernier, au cours de laquelle 15 migrants se sont noyés en essayant de se rendre à Ceuta à la nage. Suite à ce drame, le ministre de l’intérieur espagnol a confirmé que des agents de la garde civile avaient tiré des balles en caoutchouc, mais jamais en visant directement les migrants. Par ailleurs, des agents espagnols auraient ramené les survivants directement vers le territoire marocain. Les corps de cinq migrants ont dérivé jusqu’aux côtes de Ceuta. Les autorités espagnoles soutiennent que les 15 migrants se sont tous noyés dans les eaux territoriales marocaines. Auditionné au Parlement le 19 mars dernier, le secrétaire d’État chargé de la sécurité a insisté sur le fait que les migrants s’étaient noyés car ils avaient sous-estimé la marée montante et ne savaient pas nager, et non à cause des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène. Après un rappel à l'ordre de la Commission européenne, Madrid a interdit aux agents de la garde civile de tirer des balles en caoutchouc pour repousser les tentatives d'entrée de migrants dans les enclaves de Ceuta et Melilla. Afin de faire la lumière sur ces évènements, Caminando fronteras a réalisé un rapport basé sur les témoignages de survivants. Ce document a été transmis à la justice espagnole. Suite à sa publication, l’ONG a reçu des menaces. Une enquête de police a été ouverte.
Parallèlement à la mise en œuvre de la nouvelle politique de migration et d’asile, le Maroc a débuté l’installation d’un grillage le long de la frontière avec l’Algérie afin de contenir les flux migratoires en provenance de son voisin.
D’après Mme MALENO, « les réseaux de traite d’êtres humains sont en pleine explosion ». L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) est chargée d’identifier les victimes, parmi lesquelles figurent de plus en plus de Sénégalais et d’Ivoiriens. De nombreuses femmes camerounaises enrôlées dans des réseaux de prostitution cherchent à se rendre en France, via Bilbao. Caminando Fronteras vient en aide à ces femmes, en partenariat avec les sœurs adoratrices de Paris. Selon notre interlocutrice, « certaines migrantes considèrent que le fait d’intégrer un réseau est une façon de se protéger ». Par ailleurs, des mineurs originaires d’Afrique subsaharienne (Congolais, Camerounais, etc.) sont exploités au Maroc (réseaux de pédophilie, etc.). Nombre d’entre eux achèvent leur parcours migratoire en France.
De plus, un grand nombre de migrants sont victimes de trafiquants sans scrupules ou de mafias. Pour traverser la frontière caché dans une voiture, un migrant peut se voir réclamer jusqu’à 4.000 euros ! Le trafic de faux passeports est aussi en plein essor car les migrants syriens sont nombreux à recourir à ce moyen pour franchir la frontière. La consule générale appelle donc les Français d’origine subsaharienne à faire preuve de prudence au Maroc car plusieurs de nos concitoyens se sont déjà fait voler leur passeport, qui a ensuite été utilisé pour quitter le territoire marocain. Selon Mme MALENO, le développement des réseaux mafieux est facilité par la corruption qui existe des deux côtés de la frontière.

Nous nous sommes ensuite rendus à l’archevêché afin de visiter les locaux de Tanger accueil migrants (TAM). Créé en 2011 par la délégation diocésaine des migrations et la fondation Caritas, ce centre est dirigé par sœur Inmaculada Gala PARRA et son adjointe, Mme Malika HAOUZIR. Il fonctionne grâce aux dons et au soutien financier de l'Union européenne et de la confédération Suisse. Chaque jour, une vingtaine de personnes en moyenne – dont une majorité d’hommes – sont accueillies par une équipe transnationale dévouée (médiateurs, assistants sociaux, bénévoles, etc.). Les services proposés vont de l’aide d’urgence à l’accompagnement social : service d’accueil et d’écoute ; aides directes (vêtements, paniers alimentaires, etc.) ; accompagnement pour l’accès au logement et à la santé ; ateliers de sensibilisation ; etc. TAM a également développé des activités génératrices de revenus (ateliers de fabrication d’objets recyclés : sacs, bijoux, etc.). TAM n’est pas un lieu d’hébergement. Les principaux pays de provenance des usagers du centre sont le Sénégal, la Guinée Conakry, le Liberia, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Mali et le Nigeria.

Après avoir échangé avec deux médiateurs employés par TAM, nous nous sommes entretenus avec Mgr Santiago AGRELO, archevêque de Tanger et co-président de Caritas Maroc, M. Vincent SIBOUT, président de Caritas Maroc, et M. Enrique VICHERA RODRÍGUEZ, président de Caritas Tanger. Bien qu’elle soit implantée au Maroc depuis plus de 65 ans, la fondation Caritas a commencé à travailler sur la problématique des migrations internationales dans les années 1990, sous l’impulsion d’un prêtre résidant à proximité de la frontière avec l’Algérie.

Outre TAM, Caritas Maroc dispose de deux lieux d’accueil pour les migrants. Le centre d’accueil des migrants (CAM) de Rabat a ouvert ses portes en 2005 (accompagnement social, sanitaire et éducatif ; aide psychosociale ; sensibilisation aux droits des migrants). À Casablanca, le service accueil migrantes (SAM), créé en 2008, mène des actions en direction des femmes et des enfants.
En sus de l’accompagnement des migrants et de ses activités habituelles (soutien aux personnes marginalisées ; assistance aux personnes handicapées ; etc.), Caritas Maroc sensibilise les autorités chérifiennes au respect des droits des migrants en faisant preuve « de prudence et de diplomatie ».
Ces actions sont financées grâce aux dons et aux subventions versées par la coopération suisse et l’Union européenne (2,2 millions d’euros sur trois ans via le Secours catholique français). M. SIBOUT s’interroge sur la façon d’affecter cet argent compte tenu de la nouvelle politique de migration et d’asile (urgence vs intégration).

C’est dans le cadre de cette dernière que la plateforme d’ONG dont fait partie Caritas a été consultée par le gouvernement marocain. Bien qu’imparfaite, cette concertation est la preuve que « la société civile marocaine bouge » (le Maroc compterait environ 50.000 associations). La situation évolue lentement, mais diffère nettement de celle qui prévalait sous le règne d’Hassan II.
Bien que les contrôles et les arrestations des migrants aient officiellement été suspendus depuis le lancement de la procédure de régularisation, « les violences aux frontières ont décuplé ». Des « rafles » ont eu lieu dans les forêts situées à proximité de Ceuta et des forces auxiliaires marocaines ont pénétré sur le territoire de Melilla afin de « récupérer » des migrants. La plupart d’entre eux sont « tabassés » et « refoulés » vers le sud du Maroc. Dans les bus affrétés par la police marocaine, ils sont incités à s’adresser à Caritas. Résultat : le centre d’accueil de Rabat a dû faire face à l’afflux de nombreux blessés. Afin de dénoncer cette situation, « totalement niée » par les autorités marocaines, Caritas a fermé le centre pendant trois semaines au mois de mars. Sa réouverture a été progressive. M. SIBOUT estime que la « démarche » des autorités marocaines relève de « l’affichage politique » (Rabat veut montrer qu’il est un bon élève).
Mgr AGRELO nous a indiqué avoir interpellé la Défenseure du peuple espagnol sur la question des réadmissions automatiques. Il estime que ces dernières constituent « une violation du droit ». Des représentants de la plateforme d'ONG ont été reçus par l’ambassadeur d’Espagne au Maroc, qui leur a fait savoir que les migrants peuvent être refoulés tant qu’ils n’ont pas franchi le « grillage intérieur » qui sépare Ceuta et le Maroc (l’enclave est ceinturée par un double grillage).
L’archevêque déplore par ailleurs qu’il n’y ait pas eu de jour de deuil suite à la tragédie du 6 février dernier. Il s’insurge contre l’absence de « responsabilité politique » de la part du Maroc et de l’Espagne.
Face à cette situation, Caritas réclame le respect des droits des migrants (« émigrer n’est pas un crime ») et considère qu’il n’y a pas de raz-de-marée migratoire (entre 30.000 et 40.000 migrants pour une population de 32 millions d’habitants).
M. SIBOUT estime que la campagne de régularisation va dans le bon sens. Cependant, selon lui, les critères « objectifs » définis par les autorités marocaines ne sont pas satisfaisants. Cinq catégories de migrants sont théoriquement concernées : les personnes gravement malades (la liste des maladies visées n’a pas été publiée) ; les personnes travaillant au Maroc depuis au moins deux ans (le certificat de l’employeur n’est cependant pas toujours suffisant) ; les personnes séjournant au Maroc de façon continue depuis au moins cinq ans (les moyens de preuve ne sont pas précisés) ; les personnes mariées avec un ressortissant marocain (il faut néanmoins prouver le mariage musulman) ou un ressortissant étranger en situation régulière. M. SIBOUT regrette vivement que les mineurs non accompagnés ne puissent pas bénéficier de la procédure de régularisation. Il a également constaté des différences de traitement, les « bureaux des étrangers » n’appliquant pas tous les mêmes règles. Certains refusent des pièces acceptées dans d’autres bureaux ou exigent des documents complémentaires quasiment impossibles à obtenir. Il s’étonne aussi de la médiatisation de certaines remises de titres de séjour. En effet, des ressortissants syriens se sont récemment vu remettre une carte alors qu’ils ne répondent pas aux critères de délivrance. De nombreux étudiants étrangers ont également reçu le précieux sésame. À l’instar de Mme MALENO, il s’interroge sur les conditions de renouvellement de ces titres de séjour. Compte tenu du nombre élevé de dossiers en souffrance, il espère que des demandeurs seront régularisés plus tard dans l’année. Il appelle aussi de ses vœux la mise en place de la commission nationale des recours.
Autre sujet de préoccupation pour Caritas : le partenariat pour la mobilité UE-Maroc, qui a été conclu le 7 juin 2013 entre la Commission européenne, le ministère marocain des affaires étrangères et de la coopération et les ministères chargés de la migration de neuf États membres de l’UE (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Suède). Le Maroc est le premier pays du pourtour méditerranéen avec lequel l’UE s’engage dans un tel partenariat (des négociations sont en cours avec la Tunisie). Présenté comme une réponse aux défis soulevés par les « printemps arabes », ce partenariat prévoit des initiatives destinées à « garantir une bonne gestion de la circulation des personnes » : facilitation des procédures de délivrance des visas pour certaines catégories de personnes (étudiants, chercheurs, hommes et femmes d’affaires, etc.) ; reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et universitaires ; amélioration de l’intégration des ressortissants marocains séjournant régulièrement dans l’UE ; coopération en matière de lutte contre les réseaux de trafic de migrants et de traite des êtres humains ; appui au renforcement du cadre législatif et institutionnel marocain en matière de droit d'asile ; etc. La reprise des négociations sur un accord de réadmission des migrants en situation irrégulière est sans nul doute l’initiative la plus controversée. Le Maroc est en effet réticent à signer un tel accord, qui permettrait à l’UE de renvoyer vers le Maroc non seulement les ressortissants marocains qui se trouvent en situation irrégulière sur le territoire des États membres, mais aussi les ressortissants de pays tiers ayant transité par le Maroc pour se rendre en Europe.

Lors du déjeuner, offert par Mme SORET, nous avons rencontré M. Arturo REIG TAPIA, consul général d’Espagne à Tanger, et Mme Rosalinde NGUYEN, consule adjointe. Le diplomate espagnol nous a indiqué que « Ceuta subit peu d’assauts massifs » en comparaison avec Melilla, qui est le principal point d’entrée pour les migrants clandestins dans la région.
Il constate que les migrants camerounais et sénégalais sont de plus en plus nombreux à se presser aux portes de l’Espagne.
Il a également précisé que son pays est « soucieux d’éviter les pertes humaines ».
Très critique à l’égard des ONG, il considère qu’» elles ont intérêt au maintien des flux migratoires massifs ». Sans les migrations, les salariés de ces organisations seraient au chômage.
Pour freiner les flux migratoires, il recommande d’investir davantage dans les pays d’origine des migrants. Les Marocains peuvent jouer un rôle important en la matière. Il appelle également de ses vœux un approfondissement de la coopération entre l’UE et le Maroc, estimant qu’il faut « faire confiance aux Marocains et leur donner les moyens d’agir ».
À Ceuta, des ressortissants Syriens campent sur une place, refusant de loger dans le centre d’accueil temporaire des migrants (CETI). D’après le consul général, ils refuseraient de cohabiter avec des subsahariens (maladies contagieuses, etc.). Il considère que « le délégué du gouvernement à Ceuta devrait transférer ces personnes dans des centres de rétention sur la péninsule ».
M. REIG TAPIA a par ailleurs insisté sur les difficultés de mise en œuvre de l’accord de réadmission hispano-marocain. Ce dernier prévoit notamment la réadmission des ressortissants marocains. Or, les autorités marocaines refusent de « récupérer » les mineurs de nationalité marocaine. Quant à la commission mixte hispano-marocaine qui doit définir le nouveau cadre de la réadmission systématique des migrants, elle ne s’est pas encore réunie, ce qui prouve que « la coopération avec le Maroc a ses limites ».

À l’issue du déjeuner, nous avons pris la direction de Ceuta, accompagnés par Mme SORET. Quelques kilomètres avant d’arriver aux portes de l’enclave, nous avons aperçu des migrants sur le bord de la route, certains d’entre eux hélant les voitures. À cet endroit, le détroit est large de seulement 15 kilomètres. Algesiras et Gibraltar paraissent à portée de main. C’est cette proximité avec le continent européen qui incite de nombreux migrants à faire preuve de témérité, certains n’hésitant pas à utiliser des petits canots gonflables de plage ou des matelas pneumatiques pour tenter la traversée vers l’Espagne alors même que les eaux du détroit sont réputées dangereuses.

Au poste frontière de Tarajal, nous avons été accueillis par Mme Véronique-Marie JURICIC, consule générale de France à Séville.

En fin d’après-midi, nous nous sommes entretenus avec Mme Yolanda BEL BLANCA, première conseillère du gouvernement de la ville autonome de Ceuta, chargée de la présidence, de la gouvernance et de l’emploi. Selon cette élue du parti populaire (PP), l’immigration est perçue comme « quelque chose de positif » par les 82.000 habitants de l’enclave, qui sont habitués à côtoyer les migrants. À Ceuta, la soi-disant « pression migratoire » n’est pas perceptible. Il y règne une cohabitation harmonieuse (convivencia). Cette ville multiculturelle est marquée par une « tradition de solidarité et d’humanisme ».
Situé au milieu du détroit de Gibraltar, Ceuta est un territoire d’une superficie de 19 km², dont le port franc constitue le « poumon ». L’économie locale repose en grande partie sur le commerce. Les services publics y sont également surreprésentés. La ville compte par ailleurs de nombreux militaires.
Chaque jour, environ 27.000 Marocains franchissent la frontière. Ceux qui habitent dans la région de Tétouan sont autorisés à se rendre à Ceuta sans visa afin d’y travailler ou d’y faire commerce. En revanche, ceux qui résident dans les régions de Tanger et Nador sont soumis à l’obligation de visa pour franchir la frontière.
Mme BEL BLANCA a insisté sur le fait que la gestion des flux migratoires est « l’affaire de tous ». C’est un sujet européen. C’est la raison pour laquelle les autorités municipales ont lancé un appel à la solidarité européenne afin de moderniser les infrastructures frontalières, qui font pâle figure en comparaison avec le poste frontière marocain. Début juin, la commission européenne a promis d’accorder 10 millions d’euros à l’Espagne pour faire face à la « pression migratoire » dans les enclaves de Ceuta et Melilla.
D’après l’édile, l’immigration ne fait pas débat à Ceuta. La situation pourrait toutefois évoluer si les Syriens qui campent sur l’une des places de la ville depuis une quarantaine de jours poursuivaient indéfiniment leur mouvement. Ces personnes, qui ne souhaitent pas demander l’asile, refusent d’être hébergées dans le centre d’accueil temporaire des migrants (CETI). Le gouvernement de Ceuta leur a proposé, en vain, un logement alternatif. Le jour de notre arrivée à Ceuta, le parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés, a réclamé le transfert immédiat de ces familles vers la péninsule.

Nous avons débuté la journée du 21 juin par un entretien avec le délégué du gouvernement à Ceuta, M. Francisco Antonio GONZÁLEZ PÉREZ. Cet ancien député du parti populaire (PP) nous a indiqué que les principaux problèmes auxquels sont confrontées les autorités de Ceuta sont liés aux migrants qui tentent de rejoindre l’enclave par la mer à bord d’embarcations de fortune (réfrigérateurs, bateaux gonflables pour enfants, etc.).
Il nous a montré une vidéo très impressionnante dans laquelle la garde civile extrait un migrant caché dans le réservoir d’essence d’une voiture !
Les flux de Marocains qui entrent chaque jour à Ceuta pour travailler ou commercer posent des problèmes s’agissant de la protection de la frontière.
Les 10 millions d’euros promis par la Commission européenne devraient servir à financer l’installation d’un grillage anti-escalade. Cependant, M. GONZÁLEZ PÉREZ est conscient du fait que « le renforcement de la frontière n’empêchera pas les migrants de chercher un avenir meilleur ».
Trois scénarios sont possibles pour les migrants en situation irrégulière présents à Ceuta. Dans 70% des cas, ils sont renvoyés dans leur pays d’origine (le délégué du gouvernement dit « éprouver de la douleur » à chaque fois qu’il signe une décision d’expulsion). Pour leur part, les « personnes vulnérables » sont prises en charge par des ONG sur la péninsule (à l’issue d’un certain délai, elles sont remises en liberté et prennent la plupart du temps la direction du nord de l’Europe). Enfin, les réfugiés reçoivent un permis de résidence.
Conformément aux règles européennes et internationales, l’Espagne ne renvoie pas les migrants dans les pays en guerre. En cas d’absence de tout document d’identité, des recherches sont entreprises (questions portant, par exemple, sur la politique, les coutumes ou le type de nourriture dans le pays d’origine déclaré). Par ailleurs, des tests ADN sont pratiqués pour regrouper les familles ayant franchi la frontière en ordre dispersé. En vertu d’un accord hispano-algérien, la quasi-totalité des ressortissants algériens interpellés à Ceuta sont expulsés. D’après le haut fonctionnaire, les principaux auteurs d’actes de délinquance dans l’enclave sont des migrants algériens.
M. GONZÁLEZ PÉREZ nous a confirmé que les migrants ne restent pas en Espagne. Les francophones souhaitent généralement s’installer en France ou en Belgique. La situation est en revanche plus compliquée pour les anglophones.

Il nous a également dit s’interroger sur le profil des migrants syriens qui se trouvent actuellement à Ceuta, sachant que la ville marocaine de Castillejos (Fnideq en arabe) est devenue l’épicentre du recrutement des djihadistes espagnols, dont plusieurs habitants de Ceuta.
Le délégué du gouvernement a de bonnes relations avec les représentants des villes marocaines voisines de Ceuta. En revanche, il n’entretient pas de relations directes avec le wali de la région Tanger-Tétouan car le Maroc ne reconnaît pas la souveraineté de l’Espagne sur les deux enclaves. Le contact se fait donc par l’intermédiaire d’un fonctionnaire de la délégation du gouvernement.
Il existe une interdépendance entre Ceuta et le Maroc : « Ceuta a besoin du nord du Maroc et le nord du Maroc a besoin de Ceuta ». Selon M. GONZÁLEZ PÉREZ, les deux enclaves ont un impact sur le PIB marocain à hauteur de 4%.
Il estime par ailleurs que l’UE devrait s’impliquer davantage dans l’aide aux pays d’origine car il a été démontré que les accords que Madrid a signés avec plusieurs pays africains ont entraîné « une baisse de 80% du nombre de clandestins ». Il est nécessaire de « réformer la politique d’aide au développement de l’UE » en renforçant la conditionnalité.
Le délégué du gouvernement se plaint du comportement des ONG. Conscient d’être politiquement incorrect, il nous a indiqué que certaines d’entre elles « génèrent » des mouvements migratoires et des problèmes. En aidant les Syriens qui campent sur la place des rois, « elles commettent une erreur ». Elles devraient plutôt travailler en lien avec les autorités locales, auxquelles elles devraient « faire confiance ».
Enfin, il nous a confié qu’il est « très préoccupé par la montée du Front national », qui instrumentalise le thème de l’immigration massive. Cette situation « lui fait peur ».

À la mi-journée, nous avons visité le centre d’accueil temporaire des migrants (CETI), guidés par deux travailleuses sociales. Perché sur une colline excentrée faisant face à Algesiras et Gibraltar, cet établissement géré par le ministère de l’emploi et de la sécurité sociale espagnol a ouvert ses portes en 2000 (un centre identique se trouve à Melilla). Avant sa création, les migrants campaient au pied des remparts de la vieille ville. Sa capacité d’accueil est de 512 places. Lors de notre visite, environ 600 personnes y cohabitaient. En cas d’affluence exceptionnelle, des lits peuvent être installés dans des salles destinées à un autre usage que l’hébergement. Le centre comprend trois zones distinctes : un espace réservé aux femmes et aux enfants, un espace réservé aux hommes et un espace réservé aux familles syriennes, lui-même divisé en deux espaces (hommes/femmes et enfants). Chaque zone comprend des unités d’hébergement pouvant accueillir chacune huit personnes.
Les conditions d’accueil et de prise en charge nous ont paru bonnes. Contrairement aux centres de rétention, cet établissement est ouvert. Ainsi, de 8h à 23h, les migrants peuvent librement circuler dans la ville. Officiellement, ils ne peuvent pas travailler. Cependant, dans la pratique, la plupart d’entre eux réussissent à gagner quelques euros en aidant les voitures à se garer sur les parkings – une activité désormais connue sous le nom de dale-dale, en référence à l’expression espagnole utilisée par les migrants pour guider les conducteurs – ou en portant les sacs plastiques des clients des supermarchés.
À l’issue de leur séjour au CETI, dont la durée moyenne est de 4 mois, les migrants sont transférés sur la péninsule, soit dans des centres d’accueil gérés par des ONG, soit dans des centres de rétention (centros de internamiento de extranjeros), en vue d’une expulsion du territoire espagnol. Quant aux migrants qui se voient accorder le statut de réfugié, ils reçoivent un permis de résidence. Nos interlocutrices nous ont confirmé que le nombre de demandeurs d’asile est très faible.
Les personnels qui interviennent dans le centre se répartissent en trois catégories : les fonctionnaires (travailleurs sociaux, etc.), les représentants des associations et ONG (Croix-Rouge, etc.) et les salariés d’entreprises privées (sécurité, cuisine, ménage, etc.).
Le coût de fonctionnement du CETI s’élève à environ 25-30 euros/jour/migrant. Lors de leur entrée au centre, les migrants se voient remettre un kit.
Au sein du CETI, les migrants peuvent bénéficier d’une prise en charge sanitaire. À l’infirmerie, nous avons échangé quelques mots avec deux jeunes femmes se disant originaires de Côte d’Ivoire. L’une d’entre elles venait d’accoucher de jumeaux. L’infirmière nous a indiqué que cette personne était tombée enceinte durant son voyage à travers l’Afrique de l’ouest.
Les migrants se voient par ailleurs proposer des formations (cours d’espagnol, d’informatique et de cuisine) ainsi que des activités sportives et de loisirs.
Les associations et les ONG interviennent dans le centre du lundi au vendredi. Elles sont notamment chargées du soutien psychologique et de l’aide juridique.
Les mineurs – 66 le jour de notre visite – sont tous scolarisés dans les établissements de la ville. Ils bénéficient de cours de soutien le soir.
Avant de quitter le CETI, nous avons dialogué avec un jeune ressortissant guinéen qui a fui son pays pour des raisons politiques. Pour lui et ses camarades, Ceuta n’est qu’une étape vers l’Europe.

Nous nous sommes ensuite rendus au poste frontière de Tarajal, où nous avons été rejoints par M. Jesús GARCIA, officier de liaison « immigration » à l’ambassade de France à Madrid, et Mme Fatima ALMEIDA, officier de liaison de la police française à Algesiras. Nous avons été accueillis par le lieutenant-colonel Andrés LÓPEZ GARCIA, chef du commandement de la garde civile à Ceuta, et plusieurs de ses collègues. La frontière entre Ceuta et le Maroc est très fréquentée. Chaque jour, 30.000 personnes et 6.000 véhicules la franchissent.
M. LÓPEZ GARCIA a débuté son exposé en nous montrant les images d’une tentative de franchissement illégal de la frontière qui s’est soldée par la mort de 5 migrants le 29 septembre 2005 (3 morts du côté marocain, 2 morts du côté espagnol). D’après nos interlocuteurs, ces personnes seraient tombées sous les balles de la police marocaine. Après ces évènements, qui ont marqué un tournant, le dispositif de contrôle de la frontière a été renforcé. La double enceinte grillagée – installée en novembre 2000 – a été surélevée et des barbelés ont été installés à son sommet. Par ailleurs, des projecteurs, des caméras (37) et des capteurs ont été installés le long de la frontière. Côté marocain, une fosse a été creusée et une clôture a été érigée. Les effectifs militaires ont également été renforcés. Deux bataillons d’infanterie marocains stationnent désormais à la frontière.
Les méthodes utilisées par les migrants pour franchir la frontière sont nombreuses. Certains paient des passeurs pour se cacher dans les réservoirs d’essence des voitures, dans les tableaux de bord, dans les pare-chocs, dans les sièges destinés aux passagers, etc. D’autres subterfuges sont possibles. Un migrant déguisé en soldat espagnol s’est ainsi récemment fait interpeller au poste frontière du port de Ceuta. L’utilisation de faux papiers est également fréquente.
La plupart des tentatives de franchissement en masse de la frontière terrestre ont lieu au niveau des deux jetées (nord et sud) qui séparent Ceuta et le Maroc. Les « assauts » se déroulent généralement de la façon suivante : les migrants quittent les forêts dans lesquelles ils se cachent, descendent de la petite colline qui surplombe le poste frontière puis se précipitent sur la plage côté marocain avant de se jeter à l’eau afin de contourner la jetée sud et atteindre, dans le meilleur des cas, la plage de Tarajal. C’est de cette manière que 91 personnes, sur un total de 350, ont réussi à entrer à Ceuta le 17 septembre 2013 (à l’époque, la profondeur au niveau de la jetée sud n’était que de 1,60 m). Le 4 mars dernier, 1.500 migrants ont tenté de franchir la frontière, en vain. Les 15 personnes qui ont perdu la vie le 6 février dernier avaient également essayé de contourner la jetée sud. D’après la garde civile, elles ont péri car elles « ne savaient pas nager » (en raison de l’érosion provoquée par les courants, la profondeur au niveau de la jetée sud est désormais de 2,10 mètres) et ont coulé « sous le poids de nombreuses couches superposées de vêtements ». Elles sont toutes « mortes au Maroc », mais les forces de l’ordre marocaines n’ont pas tiré sur elles. Aucun mot en revanche sur l’utilisation de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogènes.
Selon M. LÓPEZ GARCIA, « c’est à partir de 2011 que les migrants ont commencé à franchir la frontière à la nage ». La nuit, lorsque la garde civile détecte des migrants dans l’eau grâce aux caméras thermiques installées sur la côte espagnole, elle alerte les autorités marocaines, qui ont mis en service un bateau zodiac qui patrouille le long de la frontière.
Les migrants qui tentent de gagner l’Espagne par la mer partent des plages marocaines situées à proximité de Ceuta. Un grand nombre d’entre eux utilisent des bateaux gonflables pour enfants. Une fois en mer, ils contactent les autorités espagnoles afin de leur demander de l’aide. La garde civile contacte à son tour la marine marocaine afin que celle-ci empêche les migrants d’entrer dans l’espace maritime espagnol. Les embarcations qui réussissent à pénétrer dans les eaux espagnoles sont interceptées par les équipes de la société de sauvetage et de sécurité maritime (SASEMAR ou Salvamento marítimo), avec l’appui de la Croix-Rouge.
Le nombre d’entrées irrégulières sur le territoire de Ceuta est en baisse. L’an dernier, la garde civile a recensé 475 entrées clandestines, contre 7.501 en 1999. Depuis le début de l’année, 133 personnes seraient entrées clandestinement à Ceuta. Chaque jour, des migrants se présentent au CETI sans que l’on sache par quel moyen ils sont entrés sur le territoire de Ceuta. De plus, certains migrants se font passer pour des ressortissants de pays en guerre afin de ne pas être expulsés. L’officier s’interroge également sur la présence éventuelle de terroristes parmi les migrants clandestins.

 

2011

2013

Tentatives de franchissement illégal de la frontière terrestre

203

891

Tentatives de franchissement illégal de la frontière maritime

1.280

1.446

Migrants illégaux interpellés à la frontière terrestre

19

1

Migrants illégaux interpellés à la frontière maritime

1.168

288

Pour éviter que se reproduisent les tentatives d’entrée en masse, la garde civile souhaite renforcer la frontière (mise en place d’un grillage « anti-escalade » ; extension des jetées ou création de « jetées flottantes » ; accroissement du nombre de policiers anti-émeutes ; etc.). Réaliste, M. LÓPEZ GARCIA a reconnu que ces mesures auront pour conséquence d’obliger les migrants à chercher un autre point d’entrée (Canaries, archipel de Chafarinas, îlot de Perejil, etc.).
Interrogé sur les refoulements automatiques, M. LÓPEZ GARCIA a répondu que la garde civile, en vertu de la loi espagnole, est autorisée à refouler vers le Maroc les migrants qui n’ont pas franchi le grillage intérieur.
Enfin, M. LÓPEZ GARCIA nous a expliqué le fonctionnement du Système intégré de vigilance externe (SIVE). Opérationnel depuis 2002, ce dispositif de surveillance par radar et caméras à infra-rouge a été installé le long du détroit de Gibraltar. Les images collectées par le SIVE sont automatiquement transmises à Madrid.

Avant de regagner Tanger, nous avons rencontré Mme Mari Camen REGUEIRO BOLAINO, ancienne membre de la Croix Blanche, et M. Germinal CASTILLO, porte-parole de la Croix-Rouge à Ceuta. Selon ce dernier, « la migration n’est pas un problème, mais un phénomène ». Le détroit de Gibraltar est « l’un des plus grands cimetières du monde ». Les évènements du 6 février dernier sont l’une des pires tragédies qu’ait connues Ceuta. Ils auraient provoqué la mort d’une soixantaine de migrants, qui ont été « piétinés ».
À Ceuta, la Croix-Rouge, qui compte environ 800 salariés et bénévoles, intervient environ deux fois par mois auprès de migrants. Dans 95% des cas, les opérations de secours ont lieu sur le port. Une équipe de réponse aux urgences (ERU) est chargée de la prise en charge médicale et de la distribution de vêtements secs et de nourriture. Les migrants ont ensuite la « possibilité » de se rendre au CETI, où interviennent une soixantaine de représentants de la Croix-Rouge (instituteurs, psychologues, etc.). M. CASTILLO estime que l’accompagnement psychologique est très important car à l’euphorie succède souvent l’angoisse et la désillusion.

Lors de ce séjour aux portes de l’Europe, nous avons entendu des points de vue divers, parfois contradictoires. Cependant, toutes les personnes que nous avons rencontrées se rejoignent sur un point : la régulation des flux migratoires passe par le développement des pays d’origine. Tout en partageant cet objectif, nous considérons qu’une telle politique ne portera ses fruits qu’à moyen et long terme, et cela d’autant plus que la crise a entraîné une baisse des budgets d'aide au développement.

À court terme, une réponse doit être apportée au défi migratoire. À notre sens, elle ne passe pas par l’hyper-sécurisation des frontières extérieures de l’UE. Outre son coût très élevé, cette solution génère de nombreux drames humains. Elle est de surcroît inefficace dans la mesure où la majorité des migrants clandestins sont arrivés sur le territoire européen par des voies légales. Nos interlocuteurs, y compris ceux qui sont chargés de lutter contre l’immigration irrégulière, l’ont d’ailleurs reconnu : aucune frontière ne sera jamais suffisamment haute pour empêcher des hommes et des femmes de partir à la recherche d’un avenir meilleur.

Il est urgent de développer une nouvelle approche des migrations, qui passe notamment par la sécurisation des parcours migratoires. Concrètement, il faut faciliter les allers-retours entre le pays de résidence et le pays d’origine. C’est cette voie que la France s’apprête à emprunter en créant un titre de séjour pluriannuel dans le cadre du futur projet de loi relatif à l'immigration. Nous nous en félicitons.

Par ailleurs, nous nous réjouissons que le Président de la République ait proposé à nos partenaires européens le développement des voies de migration légales et la création d’un coordinateur des migrations en Méditerranée qui rendrait compte au Conseil européen.

L’amélioration de la gestion des frontières extérieures de l’Union est aussi une impérieuse nécessité. La situation actuelle n’est en effet pas satisfaisante car l’essentiel du fardeau est supporté non seulement par l’Espagne, mais aussi par l’Italie, la Grèce et Malte. Or, la route des migrants ne s’arrête pas aux pays du sud de l’Europe. Il faut donc renforcer la solidarité entre les États membres.

Enfin, en tant que parlementaires représentant les Français établis hors de France, nous devons poursuivre nos efforts pour changer le regard de nos concitoyens sur les migrations en affirmant haut et fort que « le droit de migrer est essentiel dans un monde interdépendant ».