Ce n’est pas un projet de loi, mais un véritable tract de campagne que la majorité conservatrice du Sénat a adopté le 13 octobre. À quelques semaines des élections régionales, les sénateurs de l’ex-UMP et une grande majorité de leurs collègues de l’UDI ont utilisé le projet de loi relatif au droit des étrangers pour envoyer un message en direction des électeurs tentés par le vote Front national.

Rebaptisé « projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration », le texte défendu par le ministre de l’intérieur a été profondément durci en commission des lois, puis en séance publique. Fixation, par le Parlement, de quotas d’» étrangers admis à s’installer durablement en France, pour chacune des catégories de séjour à l’exception de l’asile, compte tenu de l’intérêt national » ; obligation, pour les étrangers souhaitant s’installer durablement sur notre territoire, de prouver leur « capacité d’intégration à la société française » ; participation des étrangers ayant conclu un contrat d’intégration républicaine au financement des formations civiques et linguistiques dont ils bénéficient ; durcissement des critères de délivrance de la carte de séjour pluriannuelle ; restriction des conditions du regroupement familial (extension de 18 à 24 mois de la durée de présence sur le territoire pour bénéficier de cette procédure) ; rétablissement du pouvoir d’appréciation du préfet pour la délivrance des titres de séjour ; maintien du critère actuellement applicable pour la délivrance d’une carte de séjour à un étranger malade (existence du traitement approprié dans le pays d’origine) ; renforcement des dispositions relatives à l’assignation à résidence ; abaissement de trente à sept jours du délai de départ volontaire pour les étrangers faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ; allongement à cinq ans de la durée de l’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) ; maintien du régime actuel de contestation des décisions de placement en rétention (saisine du juge administratif dans un délai de 48 heures, intervention du juge des libertés et de la détention à partir d’un délai de 5 jours à compter du placement en rétention) ; remplacement de l’aide médicale d’État (AME) par une aide médicale d’urgence, limitée à la prévention et à l’urgence ; rétablissement d’une participation forfaitaire des étrangers en situation irrégulière pour pouvoir bénéficier de l’aide médicale ; suppression des dispositions instaurant une nouvelle voie d’acquisition de la nationalité française pour les fratries. Telles sont quelques-unes des dispositions adoptées par la majorité de la Haute assemblée. Force est malheureusement de constater que les sénateurs conservateurs n’ont pas changé de « logiciel » depuis l’adoption de la tristement célèbre loi dite « Besson-Hortefeux-Guéant » du 16 juin 2011.

En commission comme en séance, la droite sénatoriale a rejeté tous les amendements déposés par le groupe socialiste et républicain, à l’exception de quatre amendements :

  • un amendement visant à éviter de faire peser une présomption d’irrégularité disproportionnée sur les titulaires d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte de séjour pluriannuelle lors des contrôles mis en œuvre par les préfectures;
  • un amendement tendant à inscrire dans la loi le principe selon lequel le placement en rétention d’un étranger accompagné d’un mineur n’est possible que dans un lieu spécialement dédié et adapté à accueillir une famille;
  • un amendement visant à permettre aux associations d’accéder aux zones d’attente afin de garantir aux étrangers qui y sont placés un exercice effectif de leurs droits;
  • un amendement permettant de rendre applicables à Mayotte, avec les adaptations nécessaires, les dispositions du code du travail permettant d’imposer une contribution spéciale, prélevée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), aux employeurs de travailleurs étrangers non munis d’un titre de travail.

Les 23 amendements que j’avais cosignés avec Jean-Yves Leconte et Claudine Lepage ont connu le même sort que ceux présentés par mon groupe. Nous proposions notamment de:

  • faciliter la délivrance d'un visa de long séjour aux futurs conjoints de Français en vue de leur mariage en France ;
  • permettre aux conjoints de Français dont le mariage a été célébré à l'étranger et préalablement transcrit sur les registres de l'état civil français de déposer leur demande de visa de long séjour auprès de la préfecture ;
  • interdire purement et simplement le placement en rétention des mineurs, y compris ceux qui sont accompagnés de leurs parents.

En revanche, j’ai fait adopter un amendement tendant à supprimer l’obligation de signature des vignettes-visas apposées par l’administration consulaire sur les visas délivrés aux étrangers. Cet amendement part d’un constat que mon collègue Éric Doligé et moi-même avons dressé dans le cadre de nos travaux de contrôle budgétaire sur la délivrance des visas.

À l’instar de mes collègues du groupe socialiste et républicain, j’ai voté contre le texte issu des travaux du Sénat, qui est totalement en décalage par rapport à l’objectif poursuivi par le Gouvernement et sa majorité, à savoir améliorer l’accueil et l’intégration des étrangers admis au séjour tout en luttant contre l’immigration irrégulière.

Le projet de loi porté par Bernard Cazeneuve vise à tourner la page de « l’instrumentalisation qui nourrit la peur de l’étranger ». À cette fin, il propose de substituer à l’actuel contrat d’accueil et d’intégration un « parcours personnalisé d’intégration républicaine » dont la durée pourra aller jusqu’à cinq ans. Concrètement, les étrangers admis pour la première fois au séjour devront signer avec l’État un contrat d’intégration républicaine par lequel ils s’engageront à suivre des formations civique et linguistique. Pour ce qui concerne la maîtrise de la langue française, ils devront avoir atteint le niveau A2 au bout de cinq années à compter de la signature du contrat.
La mesure phare du texte est la création d’une carte de séjour pluriannuelle. D’une durée de quatre ans, elle évitera aux étrangers d’avoir à renouveler leur carte de séjour temporaire tous les ans. Ce faisant, elle favorisera l’intégration des étrangers et empêchera ces derniers de basculer dans la clandestinité. Elle sera délivrée aux personnes présentes sur notre territoire depuis un an et titulaires d’une carte de séjour temporaire ou d’un visa de long séjour valant titre de séjour. Pour obtenir une carte de séjour pluriannuelle, le demandeur devra apporter la preuve de son assiduité aux formations prescrites par le contrat d’intégration républicaine et continuer de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour. À l’issue du délai de validité de ce titre de séjour, les étrangers auront accès à une carte de résident de dix ans.
Le Gouvernement propose également de réformer la procédure dite des « étrangers malades ». Actuellement, un étranger souhaitant être admis au séjour pour raisons médicales doit démontrer que le « traitement approprié » pour soigner sa pathologie est « absent » dans le pays dont il est originaire. Le projet de loi prévoit que les étrangers malades pourront se voir délivrer un titre de séjour s’ils ne bénéficient pas « effectivement » du traitement approprié dans leur pays d’origine. En d’autres termes, les soins devront non seulement exister, mais aussi être accessibles. Le titre de séjour sera délivré par le préfet, après avis d’un collège de médecins de l’OFII. À l’heure actuelle, c’est un médecin de l’Agence régionale de santé (ARS) qui se prononce sur l’état de santé des demandeurs.
Dans son volet relatif aux étrangers en situation irrégulière, le projet de loi propose de faire de l’assignation à résidence le principe et de réserver le placement en rétention aux personnes présentant un risque de fuite. De plus, les mineurs ne seront placés en rétention que dans des cas exceptionnels. Le juge des libertés et de la détention (JLD) sera saisi aux fins de prolongation de la rétention au bout de 48 heures, et non plus à l’issue d’un délai de 5 jours. La durée maximale du placement en rétention reste inchangée (45 jours). Par ailleurs, le texte prévoit que les déboutés du droit d’asile ne disposeront plus que d’un délai de 15 jours pour contester devant le juge administratif une obligation de quitter le territoire français (OQTF), contre 30 jours actuellement. Le juge devra statuer au plus tard six semaines à compter de sa saisine, contre trois mois aujourd’hui.
Enfin, parmi les autres dispositions du projet de loi figure le droit d’accès des journalistes aux centres de rétention administrative et zones d’attente.

Une commission mixte paritaire doit désormais se réunir afin de trouver une rédaction commune aux deux chambres. La majorité sénatoriale s’étant enfermée dans une posture démagogique, il est très peu probable que la CMP parvienne à un accord. C’est donc l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot.