Mme la présidente. Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vais faire entendre une musique un peu différente et me montrerai peut-être un peu plus critique que les orateurs précédents.

Mme Éliane Assassi. Enfin !

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. Chacun son travail !

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. Merci de vous en excuser au préalable !

M. Richard Yung.J'espère parvenir à faire passer quelques messages…

Le moins que l'on puisse dire, monsieur le ministre, c'est que, depuis un an et demi, vous n'avez pas ménagé vos efforts pour remplir la mission, sans doute ingrate, que vous a confiée le Président de la République et dont vous pensez, probablement à raison, qu'elle est d'abord idéologique. Car c'est bien sur le terrain idéologique que vous menez la bataille et, après avoir instillé la peur dans l'esprit des Français, vous vous offrez à les rassurer.

Le présent projet de budget consacre cette politique qui donne la priorité au renvoi des étrangers – certains ont employé l'expression de « chasse aux étrangers » – et à la promotion de l'immigration économique.

En 2009, la lutte contre l'immigration irrégulière se verra allouer 80,8 millions d'euros, soit des crédits en augmentation de 2,2 %, alors que 77,8 millions d'euros seront affectés à l'intégration et à l'accès à la nationalité, ce qui représente une baisse de… 56,6 % ! Il y a donc nettement deux poids, deux mesures, et la priorité est claire : ce n'est pas l'intégration, c'est bien sûr le renvoi des immigrants dans leur pays. La politique du chiffre et ses conséquences continueront donc de prévaloir.

L'objectif pour 2009, comme pour 2008, est fixé, au nom de la préservation de l'identité nationale, à 30 000 renvois. Selon le projet annuel de performance, le coût moyen d'une reconduite à la frontière s'élèvera à 2 450 euros en 2009, contre 2 936 euros en 2007.

Nous nous réjouissons de ces gains de productivité, monsieur le ministre, et nous vous en félicitons : vous économisez les deniers de l'État ! Mais ce coût n'inclut que les frais de billetterie et les dépenses « hôtelières », pour employer un euphémisme, et ne tient pas compte des moyens humains qui sont mobilisés.

D'après la commission des finances – le rapporteur spécial y a fait allusion –, le coût total serait de l'ordre de 20 000 euros par renvoi. Vingt mille euros ! Faites le calcul, mes chers collègues : 30 000 renvois à 20 000 euros, cela fait 600 millions d'euros. Voilà la réalité du budget !

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. Non !

M. Richard Yung. Vous rendez-vous compte, mes chers collègues, de tout ce que nous pourrions faire d'intelligent avec 600 millions d'euros : enseigner le français, diffuser notre culture, aider les migrants à se préparer à occuper un emploi, à être utiles à la nation française… ? Mais tel n'est pas le choix qui a été fait.

Tout comme la politique des renvois, la politique de l'immigration dite « choisie » a ses limites qu'illustre la fameuse carte de séjour « compétences et talents ».

Mme Nathalie Goulet. C'est la carte Gold !

M. Richard Yung. « Compétences et talents », voilà un beau nom, et on souhaiterait que ces cartes soient attribuées en nombre ! Or, au 30 septembre 2008, seules 160 cartes avaient été délivrées. Nous sommes donc bien loin de l'objectif de 2 000 que vous vous étiez fixé pour cette année !

La situation est très semblable en ce qui concerne les fameux accords internationaux que vous voulez conclure avec divers pays africains. Vous vous targuez, sans doute à juste titre, d'avoir signé sept accords bilatéraux. Or, à l'heure actuelle, seul l'accord avec le Gabon est entré en vigueur. On voit là la référence -  pour ne pas dire la révérence  - faite à notre ami El Hadj Omar Bongo, père de la « Françafrique » ; car tout le monde sait bien que les Gabonais n'émigrent pas vers la France ! Quant aux autres pays… Le Mali, par exemple, qui est un pays d'hommes fiers – les Mandingues, les Toucouleurs – a refusé de signer l'accord que vous le pressiez de conclure.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. C'est totalement faux !

M. Richard Yung. C'est en tout cas ce que la presse a rapporté ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. François-Noël Buffet,rapporteur pour avis. Ce n'est pas la presse qui conclut les accords !

M. Alain Gournac. La presse ne dit pas toujours la vérité !

M. Richard Yung. Vous pourrez, monsieur le ministre, nous apporter des explications. Pour ma part, je me fonde sur les informations disponibles !

J'en viens à présent à la question de la rétention administrative et de ses conditions.

Deux rapports ont été récemment rendus sur ce sujet, celui du commissaire des droits de l'homme du Conseil de l'Europe, qui faisait d'ailleurs suite à un premier rapport d'un précédent commissaire aux droits de l'homme, et celui du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Tous deux rappellent les mauvaises conditions matérielles qui prévalent dans les centres de rétention ainsi que les difficultés que rencontrent les personnes qui y sont placées pour être informées des moyens dont elles pourraient disposer pour assurer leur « défense », si j'ose dire.

Le projet de budget pour 2009 augure mal des suites qui seront données à ces rapports. Les étrangers enfermés seront plus nombreux, et les crédits alloués au fonctionnement des centres de rétention augmenteront de 4 % ; au total, 2 000 places devraient être disponibles en 2009, contre 773 en 2003. Voilà de l'augmentation ! Voilà du chiffre !

Je voudrais évoquer un autre aspect de ce même sujet : l'assistance juridique accordée aux étrangers placés en rétention administrative, question qui a un peu occupé les gazettes.

Cette très difficile mission, on le sait, est remplie depuis de nombreuses années par le Service œcuménique d'entraide, plus connu sous le nom de CIMADE. En effet, lorsque, au moment de la création des centres de rétention administrative, le ministre alors en fonctions avait lancé un appel aux associations, ce fut la seule organisation qui accepta de s'en charger, sans doute parce que, depuis la fin de la guerre, elle assumait une fonction similaire et avait donc une expérience en la matière.

Le remarquable travail qu'elle effectue est aujourd'hui menacé parce que, sous prétexte de mettre fin à sa position de monopole, vous avez tenté, monsieur le ministre, de réduire sa place dans les centres de rétention. Vous avez ainsi prétendu que la CIMADE refusait de travailler avec d'autres organisations, ce qui, à ma connaissance, est faux : depuis deux ans, la CIMADE travaille en partenariat avec au moins deux associations, dont le Secours catholique – protestants d'un côté, catholiques de l'autre : on ne peut pas être plus œcuménique ! –, et souhaite étendre ce travail collectif à d'autres associations, à des syndicats, à des avocats…

Monsieur le ministre, l'appel d'offres que vous avez lancé a été annulé par le tribunal administratif de Paris, et le contrat de la CIMADE s'arrête à la fin de l'année. Vous avez affirmé, lors de votre audition par la commission des lois, que vous envisagiez de prolonger le contrat de la CIMADE. Il me semble qu'il serait souhaitable de ne plus travailler dans le cadre d'un marché public et de mettre en place une délégation de service public.

Enfin, vous projetez de créer un nouvel opérateur unique qui serait responsable de l'intégration des primo-arrivants et s'appellerait « office français de l'immigration et de l'intégration », ou OFII. Voilà bien un grand jeu français : créer des organismes au fur et à mesure que l'on avance ! Cet office serait issu de la fusion de deux établissements publics, l'ANAEM et l'ACSé. En tirera-t-il une plus grande efficacité ? Peut-être ! Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, j'aimerais obtenir des précisions sur le rôle que vous envisagez de lui confier et sur la politique qu'il sera chargé de mener.

En revanche, et contrairement au rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de réduire de 1,5 million d'euros les crédits de l'ANAEM., car je considère que la formation professionnelle des Français de l'étranger fait partie des tâches de l'ANAEM. Même si cet aspect ne relève pas de votre département, monsieur le ministre, je voudrais souligner à quel point il est important de donner aux Français de l'étranger une formation professionnelle sur place ; on peut ainsi éviter qu'ils ne soient placés dans des situations difficiles qui nous obligent ensuite à les ramener en France.

Les Français expatriés ont déjà beaucoup souffert, les crédits ont déjà été réduits de plus de moitié : supprimer encore 1,5 million d'euros que l'ANAEM aurait consacré à la formation professionnelle n'est pas judicieux.

Pour conclure, monsieur le ministre, je vous ferai part de mon inquiétude et de celle de nombreux citoyens devant la suppression de la sous-direction de l'accès à la nationalité.

Le transfert aux préfectures de la charge des naturalisations entraînera un allongement des délais de traitement et une rupture d'égalité entre les demandeurs. En effet, les décisions risquent de varier, si bien que les personnes souhaitant accéder à la nationalité française feront le tour de France des préfectures, de Rodez à Charleville-Mézières, à la recherche des plus libérales. Ce n'est certainement pas une bonne chose : les décisions doivent être marquées d'une certaine homogénéité.

En outre, cette réforme ne sera pas pertinente, car la mission effectuée par les services préfectoraux ne peut pas être comparable, en qualité, au travail d'instruction qui est assuré par les agents de la sous-direction de l'accès à la nationalité. Je pense donc qu'il serait de bonne politique de maintenir cette sous-direction.

Mme la présidente. Il vous faut conclure, mon cher collègue.

M. Richard Yung. Les sénateurs du groupe socialiste veulent une autre politique de l'immigration, ferme contre les illégaux, accueillante pour ceux qui veulent travailler dans notre pays, ouverte au regroupement familial et au droit d'asile.

Au vu de ces remarques, vous comprendrez, mes chers collègues, que mon groupe ne votera pas les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE