• Nicolas Sarkozy avait annoncé le 8 janvier 2008 sa volonté d’ajouter à la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et au préambule de la Constitution de 1946 un texte intégrant de nouveaux droits, comme « la dignité de la personne humaine, l’égalité hommes-femmes, la diversité et la bioéthique ».
  • Il avait confié cette tâche à un comité présidé par Simone Veil, composé de parlementaires, de juristes, de scientifiques, d’intellectuels et de membres de la société civile.
  • Le comité de réflexion s’était prononcé contre la modification du Préambule, et n’avait donné son accord qu’à un seul ajout en vue d’introduire une référence au principe « d’égale dignité de chacun ».

Conclusion du rapport Veil

(cliquer ici pour télécharger le rapport)

Le rapport Veil constitue une réflexion sur le rôle de la Constitution et l’opportunité de la modifier au 21ème siècle. Le comité a donc récolté l’ensemble du corpus constitutionnel, le préambule et le texte fondamental, mais aussi la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et les engagements internationaux de la France. Il s’est alors prononcé contre une modification en profondeur du Préambule de la Constitution.

Des principes de valeurs constitutionnels figurent déjà et avec une grande richesse dans la jurisprudence du Conseil. Si adapter la Constitution à l’évolution de la société est essentiel, le comité de réflexion estime qu’il ne faudrait pas que la constitution devienne un fourre-tout normatif. De plus, la Constitution doit pouvoir durer et être valable dans tous les cas de figure.

  • Le comité s’est donc refusé à inscrire des dispositions à portée purement symbolique.
  • Il refuse également de codifier la jurisprudence constitutionnelle.
  • De conserver à l’intervention du pouvoir constituant sa valeur d’ultime recours.
  • Il a donc étudié plusieurs ajouts de droits proposés par Nicolas Sarkozy, et se prononce contre l’insertion de :
    • La discrimination positive, contraire au principe républicain d’égalité
    • Le principe de l’ancrage européen de la République, déjà institué par la supériorité des traités européens
    • La parité entre les hommes et femmes, contraire à l’idée d’égalité également
    • Au pluralisme d’expression et des médias, déjà présent dans la constitution
    • Au respect de la vie privée et la protection des données personnelles, existant depuis 1789
    • A la bioéthique, estimant que la recherche va plus vite que la loi, il convient donc de laisser la possibilité à la loi de s’adapter et d’évoluer.

Le contre rapport de « Nouveaux Droits de l’Homme » (NDH) s’oppose à ces conclusions

(cliquer ici pour télécharger le contre-rapport)

Il estime que le comité Veil a fait preuve d’un conservatisme exacerbé et ne respecte pas la volonté des auteurs de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, ni celle des élus du peuple de 2000.

En effet :

  • Selon NDH, les auteurs de la DDHC de 1789 avaient voté le 27 août 1789  une motion laissant ouverte la possibilité de rajouter des articles et des droits aux 17 articles de la DDHC s’ils le croyaient nécessaire. NDH estime que 220 ans après la rédaction de ce texte fondamental, et après les changements importants qu’ont connues nos sociétés (révolution industrielle, scientifique, technologique, mondialisation…) il est nécessaire d’étendre les droits de l’homme pour garantir les libertés.
  • Depuis 30 ans, NDH cherche à « doter la France d’un projet de société pour le XXIème siècle, selon la méthode de nos ancêtres » en reconnaissant des droits de l’homme complémentaires à ceux édictés en 1789 et 1946. En 2000, 522 parlementaires de tous bords avaient signé leur proposition de loi constitutionnelle, avec l’appuie de presque tous les anciens Premiers ministres (sauf Edouard Balladur et Dominique de Villepin), ainsi que l’appuie des Présidents de la République anciens ou futurs (Jacques Chirac en 1992 avait appuyé l’idée, François Mitterrand, Nicolas Sarkozy).
  • NDH estime que le rapport du Comité Veil a été mal mené, car il n’y a pas eu assez d’audition, et s’ils partagent certains points de vue, ils proposent 15 articles à rajouter à la DDHC.

NDH partage les conclusions du rapport Veil sur

  • Le refus d’inscrire la discrimination positive et la parité dans la Constitution :
    • Comme le comité de Réflexion, NDH estime que la discrimination positive est une atteinte aux principes républicains de Liberté, d’Egalité et de Fraternité. Les seules mesures de discriminations positives peuvent concerner des groupes qui sont de faits inférieurs et plus fragiles par nature : les enfants, les handicapés et les personnes âgées.
    • Ils estiment qu’il n’est pas non plus nécessaire de faire état de la parité Homme/Femme, la déclaration des droits de « l’Homme » s’adressant aussi aux femmes. En effet, NDH estime que le mot « Homme » faisait dès 1789 également référence aux femmes (ce qui ne semble en réalité pas si certain), et que ceux qui préconisent de spécifier que la femme est l’égale de l’homme sont ceux qui en doutent. La femme étant l’égale de l’homme par nature, il n’est pas nécessaire de le spécifier, car cela créerait une catégorie à part de « femme ». L’évolution du droit corrige au fil de l’histoire les inégalités hommes/femmes qui existent, et c’est précisément à la loi et aux gouvernements de lutter contre les discriminations envers les femmes.
  • Le contre-rapport préconise comme le comité de réflexion d’ajouter le principe de dignité humaine à la déclaration des Droits de l’Homme, déjà présent dans la déclaration universelle de 1948, afin de compléter la déclaration pour qu’il n’y ait pas besoin de se référer à des sources multiples en France
  • Pour les deux rapports, il n’est pas nécessaire de réaffirmer le pluralisme et l’expression des médias, l’essentiel étant déjà dans la DDHC de 1789.
  • Le respect de la vie privée et la protection des données personnelles sont également des principes qui existent depuis 1789 et qui sont renforcés par la jurisprudence du Conseil Constitutionnel.

Le contre rapport de NDH est en désaccord avec le Comité Veil sur

  • La bioéthique. NDH promeut l’idée de l’intégrée dans la constitution, avec l’affirmation du respect de l’intégrité physique,  psychique et génétique de l’homme. Il s’agit ici de suggérer des contours pour laisser les chercheurs libres de leurs recherches. Il peut en effet être nécessaire de fixer dès maintenant certaines limites afin que les chercheurs puissent travailler en toute conscience, en sachant ce qui leur est permis de faire ou non (travail sur les embryons humains, clonage…)
  • NDH estime également que si certaines de leur conclusion se rejoignent, les arguments du comité Veil sont essentiellement juridiques, et montre que le comité cherche simplement des raisons pour ne pas élargir les droits de l’Homme, idée avec laquelle Simone Veil n’a jamais été d’accord. La réflexion n’est pas assez orientée vers les principes et le comité fait simplement preuve de conservatisme.

Le Contre rapport de Nouveaux Droits de l’homme est donc favorable à l’ajout de droits à la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

Il propose également 15 articles nouveaux : Respect de la dignité, droit à la paix, droit à vivre dans un environnement saint, bioéthique, respect de l’espace extra-atmosphérique comme bien de l’humanité, affirmation de la laïcité, solidarité internationale (ingérence humanitaire), droit de participer aux bénéfices et décisions de l’entreprise, répartition des richesses, protection des enfants, des handicapés et des personnes âgées (personnes faibles par nature), enseignement libre, gratuit et obligatoire, respect des cultures.

Il souhaite ajouter des droits déjà existant, mais présent seulement dans la Constitution ou dans le Préambule de 1946, comme l’enseignement et la laïcité, afin de les affirmer et de leur donner une valeur plus universelle et de les renforcer. NDH souhaite également ajouter à la DDHCdes droits qu’il estime nécessaire à notre époque, prenant en compte les évolutions de la société : bioéthique, partage des richesses, paix, ingérence humanitaire, droit au secours, environnement, espace extra-atmosphérique, respect de la culture…

En réalité, à travers l’ajout de ces droits, NDH souhaite rendre à la France son rôle de précurseur dans la promotion des droits de l’Homme, comme nos ancêtres de 1789. Ils souhaitent qu’en inscrivant ces droits dans la DDHC, la Franceserve de modèle pour promouvoir l’extension des droits dans le monde. Ces nouveaux droits concernent des problématiques nouvelles qui se posent ou se poseront probablement dans nos sociétés.

Pour le comité Veil, les droits existants dans la Constitution, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et dans le préambule de la Constitution sont suffisants, et les inégalités qui existent, les problèmes qui se posent encore, ou se poseront, devront être réglés par la loi.

Détail des articles proposés par le contre-rapport

  • Article 18 :« tout être humain à droit au respect de sa dignité ». L’ajout de ce principe, accepté par tous, et reconnu par plusieurs traités internationaux, a pour but d’éviter que les droits ne soient dispersés dans plusieurs textes, et que ce principe soit officiellement reconnu en France.
  • Article 19 « la paix est un droit fondamental de l’Homme. Une application des conventions qui assurent un règlement pacifique et juste des conflits est un devoir. Il n’est de paix durable sans imprescriptibilité des génocides et de tout autre crime contre l’humanité. »Pour les auteurs du contre-rapport, cet article est la pierre angulaire d’un édifice juridique visant à permettre l’application des autres droits reconnus. Car en effet, en période de guerre, les droits fondamentaux ne sont jamais respectés. Mais on peut s’interroger ici sur le risque de délégitimation de toute intervention militaire à l’étranger que pourrait induire un tel article, même si, selon les auteurs, la paix est déjà le but qui a présidé à la création de la SDN, de l’ONU et des cours pénales internationales de justices. Il convient donc pour eux de reconnaître explicitement ce principe.
  • Article 20 : « Vivre dans un environnement sain conditionne la mise en œuvre de tous les autres droits de la personne. La protection de la diversité biologique et de l’écosystème en est la garantie ». Cet article vient compléter l’existence de la Charte de l’environnement et en constitutionnalise ses effets.
  • Article 21 : « Chaque individu a droit au respect de son intégrité physique, psychique et génétique qui ne peut, même en partie, faire l’objet d’un commerce. Ni la sélection ni la modification du patrimoine humain ne peuvent être autorisées à des fins autres que thérapeutiques, et sous réserve d’un consentement explicite de l’intéressé. » Cet article concerne la bioéthique. Selon le comité Veil, la science évolue plus vite que la loi, et il faut donc des dispositions souples pour l’encadrer. Pour NDH, les chercheurs eux-mêmes sont demandeurs d’un cadre plus clair et on a intérêt à leur faire connaître les interdits, afin qu’ils puissent « avancer en conscience ». On peut en effet penser qu’il vaut mieux encadrer maintenant la recherche dans le domaine de la génétique par exemple, afin d’éviter des débordements futurs (en ce qui concerne les embryons humains ou le clonage par exemple).
  • Article 22 : « L’espace extra-atmosphérique est un bien commun à toute l’humanité. Il ne peut être approprié par quiconque. Son exploitation doit être pacifique et n’avoir d’autre but que l’intérêt général de tous les peuples. »La question de l’espace est un débat d’actualité entre les juristes. Si on peut penser qu’il est important de fixer des règles dès maintenant, cela peut avoir des conséquences futures importantes. Il semble que cet article vise à anticiper les conséquences d’une éventuelle « guerre des étoiles » si jamais un jour les progrès techniques le permettait.
  • Article 23 : « il n’y a pas d’égalité entre les hommes sans un Etat laïque ». Pour NDH, ce principe est le plus important à intégrer dans la DDHC, car bien qu’il figure déjà dans la Constitution, il lui semble constamment remis en cause par les « dernières vagues migratoires ». Pour NDH, la laïcité est remise en cause par les migrants qui entendent faire prévaloir leurs us et coutumes au nom de leur vision de l’égalité. Pour NDH, ceci est un obstacle à l’intégration. Peur eux : « il est inadmissible d’afficher ostensiblement que l’on s’assoie sur les lois républicaines quand les femmes françaises ont tant lutté et luttent encore pour occuper leur juste place dans la société. C’est une insulte à la loi et un obstacle à l’intégration souvent utilité comme argument, qui plus est, pour crier à la discrimination, voire au racisme alors que les fauteurs de trouble en sont seuls cause. ». On voit ici qu’il est fait référence au débat sur le voile, et aux problèmes posés entre liberté d’exercer son culte et le modèle laïque français. Il semble cependant qu’insérer cet article qui vise ouvertement les immigrés musulmans et les problèmes posés par l’islamisme ne joue pas réellement en faveur de l’intégration. De plus, la laïcité est déjà intégrée à l’article 1 de la Constitution.
  • Article 24 : « En cas de menace sur sa vie résultant d’une situation économique dégradée, d’un cataclysme naturel ou d’un conflit, nul ne pourra être privé du droit de recevoir une aide humanitaire. La solidarité est un devoir national et international qui s’exerce dans le respect de la souveraineté des Etats ». Cet article consacre le principe d’ingérence humanitaire cher à Bernard Kouchner. Ce principe peut cependant être une coquille vide ou un obstacle aux relations internationales : faut-il intervenir dans tous les pays où les droits de l’homme sont bafoués ? Dans tous les pays pauvres ou la population souffre de famine ? Dans tous les conflits ? La mention du « respect de la souveraineté des Etats » contraint en réalité à garder un statut-quo.
  • Article 25 : « La liberté d’entreprendre est légitime pourvu que le but poursuivi ne soit pas contraire aux droits de l’Homme reconnus. Toute personne qui contribue à l’entreprise a droit de participer aux décisions, et aux bénéfices, directement ou par ses représentants. Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Cet article vise à limiter le pouvoir absolu du capital. Le « droit au bonus » s’étend à tous les travailleurs, et non plus seulement aux financiers. Avec la crise et les différents scandales liés aux salaires des grands patrons et aux bonus versés, cet article est d’actualité aujourd’hui et fait écho à des critiques que l’on entend depuis longtemps sur le partage des bénéfices d’une entreprise.
  • Article 26 : « Chaque homme, chaque peuple a le droit de bénéficier du développement général soit par son travail, soit, en cas d’incapacité, par une solidarité nationale ou internationale ». Cet article étend largement les droits sociaux en imposant l’idée d’un droit au travail et à une allocation en cas d’incapacité. Il impose la répartition des richesses dans un Etat. NDH estime que si la DDHC de 1789 visait à limiter le pouvoir de la force, il faut aujourd’hui limiter le pouvoir de l’argent. Instaurer ce genre de principe dans la constitution remet fortement en cause le dogme libéral.
  • Article 27 : « Les enfants, les handicapés et les personnes âgées, étant par nature, plus menacés,  la collectivité doit, au moyen d’une législation particulière, leur assurer une protection adaptée ». Comme nous l’avons vu plus haut, cet article concerne les seules personnes pouvant bénéficier de mesures de discrimination positives selon les auteurs. Ils sont en effet victimes d’une infériorité de fait (temporaire pour les enfants et certains handicapés) et non de droit.
  • Article 28 : « le libre accès à l’enseignement, à l’éducation permanente et à la culture, est un droit. L’enseignement public obligatoire, respectueux des convictions privées est gratuit ». NDH estime que le droit à l’enseignement, reconnu sous la IIIème République et constitutionnalisé dans le préambule de 1946 doit figurer dans la DDHC, comme tous les autres droits mentionnés dans ce préambule, cela afin de simplifier le texte. Ici ce n’est pas seulement l’enseignement qui est vu comme principe, mais l’enseignement public et gratuit.
  • Article 29 : « tout homme, tout peuple a droit au respect et à l’expression de sa culture, pour autant qu’elle ne porte pas atteinte aux droits de l’homme reconnus universellement ». Cette liberté culturelle concerne ici aussi bien la langue, que la culture. Mais il semble que cet article risque d’entrer en conflit avec le principe de laïcité affirmé à l’article 23. Le débat sur le voile en est le symbole : si porter le voile est un symbole culturel, peut-on obliger des femmes à l’enlever au nom de la laïcité ? Les deux articles sont-ils conciliables en pratique.