Vous trouverez ci-dessous mes interventions lors de la séance du mercredi 2 juin 2010 sur le projet de loi organique et le projet de loi relatif au Défenseur des droits.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la ministre d'État, mes chers collègues, deux ans, c'est le temps qu'il aura fallu au Gouvernement pour donner corps au Défenseur des droits. Cela prouve que l'introduction dans notre Constitution de l'article 71-1 a été quelque peu improvisée, en particulier s'agissant du périmètre de cette nouvelle autorité. Il a été rédigé de telle sorte que le Défenseur des droits puisse absorber tout ou partie des autorités administratives indépendantes. Dès lors, cet article apparaît comme une sorte d'« objet constitutionnel non identifié ».

Depuis 2008, le Gouvernement n'a jamais clairement donné sa vision concernant le périmètre de cette nouvelle autorité. Lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle, la précédente garde des sceaux, Mme Rachida Dati, avait même refusé de répondre à nos questions sur ce sujet.

Je rappelle que le comité Balladur sur les institutions proposait seulement de substituer le Défenseur des droits au Médiateur de la République dans la Constitution. (M. le président de la commission des lois manifeste qu'il ne partage pas ce point de vue.) C'est d'ailleurs la position qu'avaient défendue Robert Badinter, en commission, et Bernard Frimat, à Versailles, devant le Congrès.

Je voudrais formuler quelques remarques sur la version initiale du projet de loi organique.

Je tiens d'abord à souligner les déficiences de la méthode d'élaboration des deux présents textes. Il est inacceptable que le Gouvernement n'ait pas consulté en amont les autorités qu'il propose de rattacher au Défenseur. Il aurait pu au moins prendre connaissance de leurs critiques.

Si le Médiateur de la République a exprimé sa satisfaction, il n'en va pas de même des responsables des autres autorités. Bien sûr, ce ne sont pas eux qui font la loi, mais, au moins par courtoisie, il convenait de les interroger et de prendre note de leurs observations.

Le Défenseur des enfants et le président de la CNDS nous ont ainsi fait part, lors des auditions, de leurs inquiétudes les plus vives. Ils craignent une perte d'indépendance et redoutent une dégradation de leur visibilité ou de la visibilité de leur action, tant à l'égard des réclamants que de leurs partenaires étrangers. Ils ne partagent pas non plus l'idée selon laquelle la création du Défenseur des droits, avec des compétences larges, puisse conduire à un meilleur service rendu aux usagers.

L'étude d'impact m'a semblé pour le moins lacunaire. En 2008, dans son rapport relatif au projet de loi constitutionnelle, le président Hyest, qui nous guide avec sagesse, considérait que l'opportunité du regroupement d'autorités existantes au sein d'une même autorité constitutionnellement reconnue méritait une étude approfondie.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !

M. Richard Yung. Or, cette étude approfondie, nous l'attendons encore !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Richard Yung. Pardonnez-moi, monsieur le président, mais l'étude d'impact dont nous disposons n'est pas une étude approfondie !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Une étude d'impact, cela ne veut pas dire une étude approfondie : ce n'est pas la même chose !

M. Richard Yung. Ce devrait l'être, en tout cas selon ma conception !

Le principe qui sous-tend la réforme proposée, c'est-à-dire la fusion-absorption, est également contestable. Certes, les conventions internationales signées ou ratifiées par la France n'imposent pas que chacune des missions que le Gouvernement souhaite confier au Défenseur soit attribuée à une autorité spécifique, mais les autorités que le Gouvernement entend supprimer ont déjà trouvé leur place dans le paysage social français et européen, voire international.

En outre, les instances internationales des droits de l'homme ont salué l'action de la CNDS et du Défenseur des enfants et elles recommandent le maintien de ces autorités, le renforcement de leur rôle et l'augmentation de leur budget.

La Commission nationale consultative des droits de l'homme, grande autorité morale, a exprimé un avis très critique sur ce projet de loi organique. Pour elle, « la disparition d'autorités administratives indépendantes spécialisées au profit du Défenseur des droits constituerait une régression pour la protection des droits de l'homme en France ».

Fin juriste, notre excellent rapporteur a considérablement amendé la copie du Gouvernement. Certaines dispositions qui lui paraissaient critiquables, voire irrecevables, ont été modifiées ou supprimées. Il a cherché à aligner le plus possible les pouvoirs du Défenseur des droits sur ceux des trois autorités fusionnées-absorbées.

Il a voulu également combler certaines lacunes. Ainsi, à l'article 4 du projet de loi organique, il a complété le texte du Gouvernement, qui ne faisait pas référence à la défense et à la promotion des droits de l'enfant consacrés par la loi.

Notre collègue Gélard a aussi amélioré les modalités de saisine d'office et les conditions dans lesquelles le Défenseur peut être saisi par d'autres personnes que la personne lésée.

Autre amélioration notable : le Défenseur pourrait être saisi ou se saisir des différends qui peuvent s'élever entre les personnes publiques ou des organismes chargés d'une mission de service public et leurs agents.

L'élargissement de la composition des collèges du Défenseur des droits va dans le sens du respect de la pluridisciplinarité, qui était un des points forts de la CNDS et du Défenseur des enfants.

Je constate enfin que le rapporteur a supprimé la notion de « circonstances exceptionnelles » de la liste des motifs autorisant les personnes publiques à s'opposer à une visite du Défenseur, renforçant par là même ses droits.

Vous le voyez, nous ne sommes pas uniquement dans une posture critique : nous reconnaissons les avancées significatives que le rapporteur a pu apporter au texte.

Pour autant, le projet de loi organique continue, selon nous, de poser un certain nombre de problèmes importants. Il est même devenu d'autant moins acceptable, pour les raisons de fond que vous connaissez, que le rapporteur propose de faire absorber la HALDE par le Défenseur des droits, en créant un collège compétent en ce domaine.

En fait, nous avons le sentiment que la HALDE, la CNDS et le Défenseur des enfants font les frais de l'irritation du Président de la République et d'un certain nombre d'autres personnes. Cette réforme est un prétexte pour supprimer des autorités dont il n'est nullement prouvé qu'elles aient démérité, bien au contraire, comme l'a d'ailleurs souligné le rapporteur dans son intervention.

L'augmentation du nombre de requêtes traitées par chacune de ces autorités prouve leur utilité. D'après un sondage réalisé l'an dernier, 83 % des personnes connaissent par ailleurs l'existence de la HALDE.

L'absorption de la HALDE par le Défenseur n'est pas une surprise, car la presse s'est récemment fait l'écho de rumeurs persistantes allant en ce sens. Depuis sa création en 2004, elle a fait l'objet de nombreuses attaques de la part du pouvoir exécutif et de certains parlementaires… de la majorité. Chaque année, des députés UMP présentent des amendements visant à réduire les crédits de cette autorité qui dérange. Il en va de même pour la CNDS.

D'aucuns affirment que le Président de la République s'agacerait depuis plusieurs mois de l'influence grandissante de la HALDE, qui se serait prétendument arrogée des pouvoirs comparables à ceux du législateur et du juge constitutionnel. En particulier, le chef de l'État n'aurait pas apprécié que cette autorité s'oppose à certaines dispositions concernant le RSA et critique le projet de mise en œuvre des tests ADN pour les candidats à l'immigration, lequel a suscité un débat dont chacun se souvient.

Contrairement aux rumeurs qui circulaient, pour faire disparaître la HALDE, notre rapporteur ne propose même pas d'attendre la fin – prévue le 17 avril 2015 – du mandat de sa nouvelle présidente, Mme Jeannette Bougrab. J'avais cru pourtant comprendre que chaque autorité serait absorbée à l'expiration des fonctions de son président.

Au demeurant, M. le rapporteur n'a pas non plus pris en considération l'avis de Mme Bougrab. Bien sûr, vous êtes libre d'agir ainsi, mais avouez que c'est lui faire une curieuse manière que de la remercier deux mois à peine après qu'elle a été nommée !

Je crains également pour la survie du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, même si, pour l'instant, celui-ci est préservé, au motif que son travail, tout à fait spécifique, permettra de faire évoluer sensiblement la situation de nos prisons et autres lieux de privation de liberté. Pour ma part, je pense qu'il fera beaucoup pour la défense des libertés, mais qu'il ne pourra guère agir pour l'amélioration de l'état des prisons. Nous savons tous – ce n'est pas la peine de diligenter de nouveaux rapports pour nous en assurer, des pièces entières en sont déjà remplies ! – qu'il ne permettra pas de régler le problème.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La situation des prisons s'est tout de même beaucoup améliorée depuis que vos amis ne sont plus au pouvoir !

M. Richard Yung. Certes, monsieur le président de la commission, elle s'est améliorée, et dans la période récente ; toutefois, c'est parce que vous avez mis en œuvre la politique que nous proposions depuis longtemps, à savoir le développement des mesures alternatives à l'incarcération !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas seulement ! Des programmes immobiliers ont aussi été lancés.

M. Richard Yung. C'est pourquoi les prisons n'accueillent plus aujourd'hui que 60 000 personnes.

Nous sommes heureux de constater que nos idées ont fini par marquer les esprits.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous en parliez, nous l'avons fait !

M. Richard Yung. Les conditions de la nomination du Défenseur des droits – les trois cinquièmes des membres des commissions parlementaires concernées peuvent s'opposer à la décision du Président de la République –, ne sont pas acceptables pour nous.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela se passait déjà ainsi auparavant !

M. Richard Yung. Certes, monsieur le président, mais ce n'est pas là un bon argument ! Nul ne peut se prévaloir de la turpitude d'autrui !

On aurait pu mettre à profit l'occasion de la révision constitutionnelle pour améliorer ce système et faire en sorte, par exemple, que le Parlement désigne le Défenseur des droits et qu'une commission parlementaire suive le travail de défense des libertés ; c'est d'ailleurs ce qui se passe dans de nombreux pays. Une telle réforme aurait marqué un véritable progrès. Qu'elle n'ait pas été réalisée dans le passé ne justifie nullement qu'on ne la réalise pas aujourd'hui !

Il s'agit là du péché originel de la réforme, et il ne peut être effacé – pas même par la confession ! – parce qu'il est de nature constitutionnelle.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous êtes un curieux théologien ! (Sourires.)

M. Richard Yung. Je suis huguenot, monsieur le président de la commission ; je ne suis donc peut-être pas le plus qualifié sur ces questions ! (Nouveaux sourires.)

Madame la garde des sceaux, lors de votre audition devant notre commission, vous déclariez vouloir créer une autorité qui soit, en quelque sorte, un modèle en matière de défense des droits et des libertés. Or je crois que le regroupement au sein d'une même institution de ces organismes de nature différente n'offrira pas des garanties identiques, en termes de visibilité, de lisibilité et d'efficacité.

Pour toutes ces raisons, nous proposons le maintien et le renforcement des autorités administratives indépendantes, ainsi que la constitutionnalisation et la consolidation du Médiateur de la République. Nous déposerons des amendements en ce sens. (Applaudissementssur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

[…]

La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote sur l'amendement n° 3.

M. Richard Yung. Cet amendement est relatif à la HALDE. Je ne reprendrai pas la partie proprement juridique de l'argumentation.

J'indique, toutefois, qu'il s'agit, là encore, d'une action très spécifique, qui n'allait pas de soi au moment de la création de la HALDE. Grâce à son travail, à l'engagement de son président et, en particulier, à l'intervention de cet organisme dans le domaine des discriminations au travail, la HALDE a acquis une image très forte dans l'opinion publique.

Dès lors, supprimer la HALDE, ou l'intégrer dans la grande machinerie que nous avons évoquée tout à l'heure, revient à envoyer un message politique négatif quant à la volonté de combattre les discriminations.

En outre, la transformation du collège décisionnel de la HALDE en une instance seulement consultative, dont les avis ne seront pas obligatoirement pris en compte par le Défenseur des droits, renforce la négativité du message.

Pour toutes ces raisons, nous voterons l'amendement n° 3.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement n'est pas adopté.)

[…]

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Cet amendement de suppression de l'ensemble de ce chapitre s'inscrit dans la logique des positions que nous avons défendues précédemment. Une partie de nos objections tombe, puisque l'adoption des amendements nos 24 rectifié quater et 68 rectifié a modifié la donne.

Je tiens simplement à rappeler notre hostilité à la création des collèges, dont nous ne pensons pas qu'ils soient de nature à remplacer les institutions supprimées. Nous pensons également que le statut des membres des collèges n'est pas de nature à leur permettre d'exprimer des positions qui seraient différentes de celles du Défenseur des droits.

J'ajoute que l'argument essentiel pour justifier la création des collèges n'a pas été de nature juridique, mais pratique, puisque M. le rapporteur invoque la charge de travail excessive qui incombera au Défenseur des droits. Cet argument de forme, et non de fond, n'est pas de nature à nous rassurer.

Nous avons déjà exprimé notre position sur la situation des adjoints, je n'y reviendrai donc pas, sinon pour signaler que le contrôle parlementaire sur la nomination des adjoints n'a plus vraiment de sens, puisque ceux-ci sont révocables ad nutum.

Pour toutes ces raisons, nous maintenons cet amendement de suppression.

[…]

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 61 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

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