Le 19 mai, le Sénat a adopté une proposition de loi relative aux Français établis hors de France.

Présenté par Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains, ce texte couvre cinq domaines, à savoir la représentation politique, les actes notariés, le réseau éducatif, la protection sociale et la fiscalité.

La discussion de ce texte a été l’occasion de braquer les projecteurs sur les Français établis hors de France, qui, pour reprendre les mots du Président de la République, « portent un bout de France à travers le reste du monde ».

Les débats ont porté sur de nombreux sujets, dont le report des élections consulaires et la mise en œuvre du plan d’urgence pour les Français établis hors de France. Le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne, a indiqué que le nouveau calendrier électoral sera fixé « en dialogue avec les forces politiques » et « dépendra des conditions sanitaires ». M. Lemoyne a par ailleurs exprimé la « ferme intention » du Gouvernement de transformer en crédits budgétaires l’avance de 100 millions d’euros que le Trésor doit verser à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE).

Pour ce qui concerne les instances représentatives des Français établis hors de France, la commission des lois a supprimé les dispositions dont l’objet était satisfait par la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique (changement de dénomination des conseillers consulaires ; assouplissement du régime des procurations pour l’élection des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger ; présidence des conseils consulaires par un membre élu ; consultation des conseils consulaires sur les conditions d’exercice des mandats des élus représentant les Français établis hors de France ; droit à la formation des élus).

Les autres dispositions relatives à la représentation politique figurent déjà dans la proposition de loi que le Sénat a adoptée le 22 janvier 2019, et cela avec le soutien du groupe LREM :

  • sécurisation de la procédure d’enregistrement des candidatures pour les élections consulaires et l’élection des membres de l’AFE (allongement à six jours – au lieu de quatre – de la durée d’examen des candidatures entre le dépôt de la candidature et la délivrance du récépissé définitif par l’administration ; ouverture d’un délai de modification de la liste – trois jours – en cas de refus d’enregistrement à la fin du délai de dépôt) ;
  • adaptation du calendrier et des opérations électorales pour l’élection des membres de l’AFE et des sénateurs représentant les Français établis hors de France (extension de 9 à 16 jours du délai laissé à l’administration pour acheminer les plis qui lui sont remis pour l’élection des membres de l’AFE; assouplissement du calendrier de l’élection des membres de l’AFE; introduction dans l’urne des plis transmis à l’administration dès l’ouverture du bureau de vote pour l’élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France) ;
  • création d’une commission centrale de propagande pour les élections consulaires et l’élection des membres de l’AFE ;
  • obligation, pour le Gouvernement, de consulter l’AFE lorsqu’il envisage de ne pas recourir au vote par Internet pour les élections consulaires et législatives ;
  • organisation d’une élection consulaire partielle dans les circonscriptions où aucune candidature n’a été régulièrement enregistrée ;
  • modification des conditions de remplacement des délégués consulaires ;
  • fixation à trois mois de la durée au cours de laquelle les conseillers consulaires et les membres de l’AFE qui s’inscrivent sur la liste électorale d’une commune doivent se mettre en conformité avec les dispositions relatives aux inéligibilités ;
  • fixation, par décret en Conseil d’État, du mode d’élection, de la durée du mandat, des conditions de remplacement et des attributions des présidents des conseils consulaires ;
  • renforcement des garanties pour les élus des Français établis hors de France (obligation, pour les entreprises et les administrations françaises, d’autoriser les conseillers consulaires et les membres de l’AFE à s’absenter en vue d’assister aux réunions liées à l’exercice de leur mandat; facilitation de l’accès au télétravail; extension aux représentants des Français établis hors de France du principe de non-discrimination prévu par le code du travail; prise en considération d’un mandat de représentant des Français établis hors de France dans le cadre de la validation des acquis de l’expérience; etc.) ;
  • possibilité, pour les conseillers des Français de l’étranger, de porter les insignes républicains, notamment l’écharpe tricolore, et de faire usage de timbres symbolisant la République dans leurs communications et correspondances ;
  • précision de la place des conseillers des Français de l’étranger dans l’ordre protocolaire ;
  • assouplissement des conditions de prise en charge des frais de mandat et de l’assurance des élus représentant les Français établis hors de France (versement d’avances sur frais ; contrôle de la validité des dépenses ; remboursement des versements indus ; conclusion d’un contrat d’assurance groupé).

S’agissant du notariat, la proposition de loi prévoit la possibilité, pour les Français établis hors de France, de recourir à la visioconférence pour l’établissement d’un acte authentique. Ce dispositif serait expérimenté pendant 5 ans. Il est à noter qu’un décret du 3 avril 2020 prévoit que pendant la durée de l’état d’urgence, les actes notariés peuvent être établis sur support électronique lorsqu’une ou toutes les parties ou toute autre personne concourant à l’acte ne sont ni présentes ni représentées. Le consentement des parties peut être recueilli par visioconférence. Le Gouvernement souhaite que cette mesure temporaire fasse l’objet d’une évaluation avant son éventuelle pérennisation.

La proposition de loi comprend par ailleurs une disposition relative aux enfants à besoin particulier dans le réseau scolaire français à l’étranger. Il s’agit de la création d’une nouvelle catégorie de bourses, dédiée au financement des dispositifs de compensation du handicap. Ces bourses concerneraient non seulement les établissements appartenant au réseau de l’AEFE, mais aussi les établissements tiers, lorsque l’agence n’a pas été en mesure d’accueillir l’enfant.

Pour ce qui concerne la protection sociale, le texte prévoit :

  • le rétablissement de la possibilité, pour les retraités établis hors de France, de faire établir leurs certificats de vie dans les postes diplomatiques et consulaires ;
  • l’exonération de CSG et de CRDS sur les revenus du patrimoine et des produits de placement de source française pour les personnes affiliées au régime de sécurité sociale d’un État autre qu’un État membre de l’Espace économique européen ou la Suisse ;
  • le rétablissement de la possibilité, pour les retraités ayant cotisé moins de 15 années au titre d’un régime français, de bénéficier de la prise en charge des frais de santé lors d’un séjour temporaire en France.

Parmi les mesures fiscales figurent :

  • l’assouplissement du dispositif d’exonération des plus-values immobilières réalisées par les non-résidents (l’exonération s’appliquerait à la condition que la cession de l’ancienne résidence principale soit réalisée au plus tard 24 mois après le transfert du domicile fiscal hors de France, et non plus « au plus tard le 31 décembre de l’année suivant celle du transfert ») ;
  • l’extension aux non-résidents de la réduction d’impôt pour dons et versements aux associations, œuvres et fondations (cet avantage fiscal s’appliquerait à la condition que les dons réalisés ne soient pas de nature à permettre aux non-résidents d’obtenir un avantage fiscal dans leur pays de résidence) ;
  • l’ouverture aux non-résidents du crédit d’impôt pour la transition énergétique (le CITE serait applicable à la dernière résidence principale occupée avant le départ à l’étranger) ;
  • l’exclusion de l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière des participations inférieures à 1% du capital et des droits de vote des sociétés dans lesquelles les non-résidents ont investi.

En séance publique, plusieurs amendements ont été adoptés :

  • possibilité, pour les candidats aux élections consulaires, de déposer leur candidature auprès d’un poste consulaire autre que celui du chef-lieu de la circonscription ;
  • possibilité de recourir au vote par correspondance « papier » lors des prochaines élections consulaires ;
  • obligation, pour les postes diplomatiques et consulaires, d’organiser les réunions des conseils consulaires en tenant compte des obligations professionnelles des conseillers des Français de l’étranger ;
  • représentation du Parlement au sein de la commission consultative du dispositif de soutien au tissu associatif des Français de l’étranger (STAFE);
  • instauration ou renforcement de la représentation des élus des Français établis hors de France au sein des conseils d’administration de Business France et de l’AEFE ;
  • renforcement de la transparence du dispositif de quarantaine applicable aux personnes entrant sur le territoire national après avoir séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation du coronavirus (actualisation hebdomadaire de la liste des zones de circulation de l’infection et publication de cette liste sur les sites internet des postes diplomatiques et consulaires) ;
  • obligation, pour le Gouvernement, de remettre au Parlement un rapport sur la situation financière de l’AEFE et sur les moyens à mettre en œuvre, dans le cadre d’une prochaine loi de finances, pour assurer la pérennité de ses établissements sur le long terme et pour mieux soutenir les élèves ;
  • obligation, pour le Gouvernement, de remettre au Parlement un rapport sur les freins juridiques, financiers et techniques rencontrés par la Caisse des Français de l’étranger (CFE) face à la pandémie de COVID-19 ;
  • possibilité, pour les non-résidents sollicitant l’application du taux moyen d’imposition, de déduire des prestations compensatoires de leurs revenus mondiaux ;
  • adaptation de la procédure de droit au compte (possibilité de saisir la Banque de France dès la notification de la clôture du compte, possibilité de saisir la Banque de France par voie dématérialisée).

J’ai voté plusieurs des articles et amendements proposés, dont certains sont identiques ou quasi-identiques à des dispositions que j’ai déjà eu l’occasion de défendre au cours des dernières années.

Le texte amendé a été adopté très largement. Avant de pouvoir entrer en vigueur, il devra d’abord franchir l’étape de l’Assemblée nationale.

Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu de mon intervention.

M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues du groupe Les Républicains d’avoir inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de notre assemblée.

C’est une façon de reprendre et de poursuivre un long débat, qui a commencé en 1982,…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Exact !

M. Richard Yung. … avec l’élection au suffrage universel du Conseil supérieur des Français de l’étranger, le CSFE, et qui rebondit d’année en année. Nous retrouvons d’ailleurs dans ce texte nombre d’idées que nous avons défendues, les uns et les autres, pendant de nombreuses années.

Je veux aussi remercier le président Retailleau de ses paroles aimables et fortes adressées aux Français vivant à l’étranger. Parfois, nous nous sentons mal aimés, peut-être à tort ; ces mots nous vont donc droit au cœur.

Les Français de l’étranger, à l’instar de tous nos compatriotes et des habitants de tous les pays, doivent faire face à cette pandémie, et le Gouvernement a agi assez rapidement.

Il a tout d’abord fallu rapatrier plusieurs dizaines de milliers de Français de l’étranger. Je remercie le Gouvernement d’y avoir consacré les crédits et l’énergie nécessaires. Puis, un plan de soutien de 220 millions d’euros a été mis en place. Comme dit le chef de l’État, la France protège tous ses enfants.

En ce qui concerne le plan des institutions et des élections, le week-end dernier, les personnes inscrites sur les listes électorales consulaires auraient dû élire leurs élus locaux. Nous ne connaissons pas les nouvelles dates du scrutin, qui seront fixées lorsque le conseil scientifique aura remis son rapport au Gouvernement. Il existe plusieurs scénarios possibles pour la tenue de ces élections : à la rentrée, en décembre ou janvier prochain, ou encore dans un an, en mai 2021.

Une seule chose est certaine : les futurs conseillers des Français de l’étranger bénéficieront des avancées prévues par la loi dite « Engagement et proximité ». Grâce à la revalorisation de leur rôle, ils pourront continuer à s’engager et à donner à notre République un visage concret et accessible. Cela concerne tout autant la présidence des conseils consulaires que l’administration, l’ambassadeur ou le chef de poste devenant rapporteur.

Il convient aussi de rappeler que la loi prévoit l’obligation de motiver les décisions de refus prises contre l’avis des élus, ainsi que l’instauration d’un droit à la formation. Ces points sont importants, car, trop souvent, les propositions votées par les élus sont balayées par l’administration.

Enfin, la commission des lois a tiré les conséquences de l’adoption de la loi « Engagement et proximité » en supprimant de la proposition de loi initiale les dispositions dont l’objet est déjà satisfait.

Parmi les dispositions d’ordre social, celle qui prévoit l’exonération de CSG et de CRDS sur les revenus du patrimoine emporte ma pleine adhésion. La solution retenue reprend ce que nous avions proposé à plusieurs reprises depuis 2012. Depuis plus de huit ans, en effet, nous demandons que justice soit faite et que la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE, qui s’applique à l’intérieur de l’Union, soit également applicable aux Français qui habitent au Ghana ou à Singapour.

Cette solution est plus acceptable que celle, défendue par certains membres de la majorité sénatoriale, qui consistait à exonérer de prélèvements sociaux tous les non-résidents, y compris ceux qui sont à la charge d’un régime obligatoire de sécurité sociale français.

S’agissant des certificats d’existence, aussi appelés certificats de vie, il est important de faire vivre les réformes mises en œuvre. Ces justificatifs doivent ainsi pouvoir être dématérialisés, c’est-à-dire téléchargés, signés, scannés, puis renvoyés à la France. Par ailleurs, une seule demande de certificat de vie est nécessaire, et non plus une multitude selon les régimes de protection sociale. Il n’est pas bon de modifier en permanence la loi ou les décrets qui viennent d’être pris.

Je partage également la volonté de nos collègues du groupe Les Républicains de permettre aux retraités ayant cotisé moins de quinze ans de bénéficier d’une prise en charge de santé lors de leur séjour en France. Cela dit, il conviendrait de maintenir une durée minimale d’assurance. J’avais proposé lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 que cette durée soit de cinq ans.

Pour ce qui concerne les mesures fiscales, je constate que la commission des finances a, dans une certaine mesure, tempéré les ardeurs des auteurs de la proposition de loi.

Plusieurs dispositions prévues dans le texte initial, difficilement compatibles avec notre Constitution, ont été remplacées par des mesures que nous avions eu l’occasion de proposer lors de précédents débats. Il s’agit de l’extension aux non-résidents du dégrèvement de majoration de taxe d’habitation sur les résidences secondaires et de l’instauration d’une règle de minimis excluant de l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, les participations des non-résidents inférieures à 1 %.

Je suis en désaccord, en revanche, avec la volonté de la majorité sénatoriale d’abroger purement et simplement la réforme de la retenue à la source spécifique aux revenus salariaux.

Le dispositif prévu par la loi de finances initiale est loin d’être parfait, et nous avons été nombreux à dire au Gouvernement qu’il s’agissait d’une mauvaise réforme, aboutissant, en particulier, à augmenter de façon très sensible la pression fiscale. Nous avions demandé, et obtenu, un moratoire d’un an. (M. le secrétaire d’État le confirme.) Nous attendons désormais que le rapport du Gouvernement, qui tarde quelque peu, nous soit communiqué. Une bonne manière de faire serait de se saisir de ce rapport, d’en discuter et de l’enrichir.

Il est difficile d’être défavorable à la suppression du taux minimum d’imposition de 30 %, mais il aurait été plus judicieux de proposer l’application automatique du taux moyen d’imposition.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au vu des éléments que je viens de développer devant vous, mon groupe s’abstiendra sur cette proposition de loi.