Séance du 20 juin 2008

Amendement sur la prise en compte du temps de parole du Président de la République.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l'amendement n° 428.

M. Richard Yung. Nous examinons un projet de loi constitutionnelle qui vise prétendument la modernisation des institutions, et en l’occurrence du droit de message, mais qui selon nous ne modernise rien !

Si le Président de la République souhaite s’adresser à la nation, il en a la possibilité, et il en use déjà quotidiennement ! Cette disposition, qui lui permettrait de s’exprimer devant les deux chambres réunies en Congrès à Versailles, symbolise à nos yeux une évolution, lourde de conséquence, de nos institutions vers un régime que certains qualifieraient de « présidentiel », mais qui ne l’est pas vraiment, tant il prend en réalité dans tous les systèmes afin de concentrer tous les pouvoirs entre les mains d’une seule personne. Or ce régime, nous ne l’appelons pas de nos vœux.

Selon nous, cette mesure mettrait gravement en cause l’équilibre actuel des institutions, parce qu’en même temps qu’elle permettrait au Président de la République de s’exprimer devant le Parlement, elle amoindrirait les pouvoirs du Premier ministre, qui est le chef naturel de la majorité.

En outre, cette atteinte à la composante parlementaire du régime ira crescendo, car le Président de la République ne s’arrêtera pas à un seul discours : nous serons bientôt réunis tous les deux mois à Versailles pour entendre la bonne parole !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Formidable ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

M. Richard Yung. Quant au Premier ministre, il se verra de plus en plus cantonné dans un rôle de coordinateur, peut-être même seulement de collaborateur.

L’intervention du Président de la République devant le Congrès ne fera qu’ajouter à la confusion observée aujourd'hui entre les deux têtes de l’exécutif, en rendant leurs rapports plus difficiles encore.

Par ailleurs, on ne peut tracer un parallèle entre les discours prononcés par le Président de la République devant les deux chambres réunies à Versailles et ceux qu’il tient devant les parlements étrangers : dans ce dernier cas, le chef de l’État évoque les questions internationales et la relation du pays où il se trouve avec la France – les présidents étrangers qui s’expriment devant le Parlement français font d'ailleurs de même.

On affirme que le Président de la République, s’il ne dispose pas du droit de prendre la parole devant l’Assemblée nationale et le Sénat, sera encouragé à aller s’exprimer ailleurs. Mais c’est précisément ce qu’il fait, tous les jours !

Nous reprenons donc à notre compte l’analyse développée par Mme Élisabeth Zoller, professeur de droit constitutionnel américain à l’université de Paris-II, que certains orateurs ont déjà évoquée. Celle-ci, au cours d’une audition très marquante, à laquelle certains d’entre vous ont assisté, mes chers collègues, a dénoncé cette réforme en des termes forts.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Yung !

M. Richard Yung. Elle a souligné qu’avec cette disposition nous retournerions au régime consulaire, celui de la Constitution de l’an VIII !

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 7 du projet de loi constitutionnelle.

Discussion générale sur l'article 9, qui indique notamment que « Les Français établis hors de France sont représentés à l'Assemblée nationale et au Sénat »

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Mon intervention porte sur la représentation des Français de l’étranger à l’Assemblée nationale, mesure à laquelle nous sommes bien entendu favorables. C’est l’aboutissement d’un long cheminement historique qui a commencé en 1945 et que je ne retracerai pas.

Il s’agit d’une mesure de justice pour les 2,5 millions de Français établis hors de France. Jusqu’à maintenant, ils avaient l’impression d’être considérés comme des demi-citoyens, de ne pas jouir d’une citoyenneté complète, alors que la citoyenneté française ne peut en aucun cas se diviser, que l’on vive en France ou à l’étranger.

Certains craignent que la représentation des Français de l’étranger à l’Assemblée nationale soit une sorte de diminutio capitis pour le Sénat. Ce serait paradoxal ! Je n’imagine pas M. le président des lois demander que la Seine-et-Marne ne soit représentée qu’au Sénat, ce qui reviendrait d’ailleurs à élever la Seine-et-Marne. Cet argument ne me paraît pas très convaincant et il n’y a pas lieu, me semble-t-il, d’avoir des craintes sur ce sujet. J’ai évoqué ce point dans la discussion générale et nous y reviendrons plus loin dans la discussion des articles.

Monsieur le secrétaire d’État, certaines questions restent en suspens. Bien qu’elles ne soient pas directement liées au débat constitutionnel, leur réponse est de nature à apporter un éclairage important.

Ainsi en est-il du mode de scrutin pour l’élection des représentants des Français de l’étranger. Vous avez, à plusieurs reprises, exprimé l’idée d’un mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Or l’organisation d’un tel scrutin à travers le monde risque de soulever de nombreuses difficultés.

Une autre question tient au découpage, qui est lui aussi lié au mode de scrutin.

Enfin, il y a la question du numerus clausus. L’article 9 prévoit que le nombre des députés ne peut être supérieur à 577. Dès lors, on a l’impression que les douze sièges de députés des Français de l’étranger sont pris sur ceux des députés de la métropole. Il en résulte bien évidemment un certain ressentiment. C’est l’une des raisons pour lesquelles la disposition est mal acceptée à l’Assemblée nationale.

Amendements tendant à supprimer la limite du nombre de députés

M. Richard Yung. Je comprends le raisonnement de mon ami Christian Cointat. Mais il me semble que la conclusion logique de ce raisonnement devrait être la suppression de tout chiffre.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Non !

M. Richard Yung. C’est en tout cas la position que nous défendons.

Ce n’est pas parce que l’Assemblée nationale a décidé de faire figurer dans la Constitution un nombre maximal, dont le caractère arbitraire a été rappelé, que nous devons commettre la même erreur.

Nous sommes fondés à nous interroger sur ce qui motive la volonté d’inscrire à tout prix dans la Constitution ce chiffre de 577 députés ou, le cas échéant, de 348 sénateurs, et à nous demander si cela ne recouvre pas certaines arrière-pensées.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Aucune !

M. Richard Yung. Peut-être est-il envisagé de redécouper un certain nombre de circonscriptions…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien vu !

M. Richard Yung. C’est ainsi que cela risque d’être interprété dans le pays. C’est en tout cas la lecture que nous faisons de cette mesure : nous ne comprenons pas les raisons d’un tel enthousiasme pour une disposition dont il a été démontré qu’elle était sans fondement.

Amendement tendant à préciser dans la Constitution les principales règles relatives à la composition de la commission chargée de procéder au découpage des circonscriptions et à la répartition des sièges des députés

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Je voterai l'amendement n° 443.

Cette journée aura été enrichissante : nous aurons appris beaucoup sur l’histoire, sur Thiers, sur la Constitution d’avant 1962 et sur l’histoire plus récente.

M. le président. Mon cher collègue, nous attendons votre explication de vote. (Sourires.)

M. Richard Yung. Monsieur le président, on peut tout de même se réjouir de la qualité des débats et du fait que nous nous instruisions autant ! (Nouveaux sourires.)

J’ai appris à cette occasion que le découpage électoral pouvait être une entreprise consensuelle et pacifique. J’avais plutôt dans l’idée que le sujet était assez conflictuel et que l’opération se terminait toujours par des affrontements. Si tout cela peut se faire de façon harmonieuse, tant mieux, réjouissons-nous !

Mais, pour en revenir à l’amendement n° 443, je souhaite m’attarder sur la commission indépendante, institution qui existe dans la plupart des autres grands pays, notamment les États-Unis. La création d’un organe de cette nature est normale, dans le cadre de la modernisation de notre vie constitutionnelle, puisque c’est de cela que nous débattons.

Pour ce qui est de la composition de cette commission, il est important que, aux côtés des magistrats qui, traditionnellement, en France, siègent dans toutes sortes d’institutions et qui sont issus des plus hautes juridictions – Conseil d’État, Cour de comptes, Cour de cassation –, se trouvent un nombre important de personnalités ayant une expérience de terrain. Je pense à des statisticiens, à des démographes, à des urbanistes, à des acteurs de l'aménagement du territoire, c'est-à-dire à tous ceux qui ont une certaine perception de l’évolution des territoires et de la vie. Cela permettra à cette commission de réaliser un travail utile pour le pays.

Amendement tendant à supprimer la faculté offerte au législateur de créer des blocs de contentieux sans considération de la dualité des ordres

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l'amendement n° 448.

M. Richard Yung. Nous entendons supprimer le 3° de l’article 11 du présent projet de loi constitutionnelle, et ce pour deux raisons principales.

Tout d'abord, cette disposition ne correspond pas à notre conception de la séparation des pouvoirs, qu’elle pourrait même remettre en cause. Au-delà des problèmes qu'elle prétend résoudre, elle vise à supprimer la faculté offerte au législateur de créer des blocs de contentieux sans considération de la dualité des ordres.

En effet, elle permettrait au Parlement de transférer sans limite au juge judiciaire le contentieux d’un certain nombre d’actes administratifs – sinon de tous ! – dans un domaine déterminé. Elle menace donc l’existence d’un juge administratif indépendant, dont plusieurs de nos collègues ont souligné l’importance.

Ensuite, elle pose problème au regard de la justice des étrangers. La décision du Conseil constitutionnel du 28 juillet 1989, qui a censuré une disposition confiant au juge judicaire la compétence des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière, pourrait être mise en cause, ce qui permettrait alors d'unifier entre les mains d'un seul juge le contentieux des étrangers.

On voit donc se profiler à l’horizon la naissance d’une nouvelle juridiction spécialisée, sous la forme soit d’un juge unique, soit, comme l’a indiqué M. Fauchon, d’une loi spéciale. Pour ma part, d'ailleurs, je n’aime pas beaucoup l’expression « loi spéciale », qui me semble toujours annoncer des mesures suspectes …

Enfin, la commission présidée par M. Mazeaud poursuit ses travaux, et il est d'ailleurs assez curieux que M. Warsmann, qui en fait partie, ait présenté cet amendement avant même qu’elle ait rendu ses conclusions !

Cliquez ici pour lire la suite du 23 juin