Le Sénat a adopté cette nuit (11 décembre) la loi organique créant la commission chargée de veiller à l’équité du découpage des circonscriptions, instaurant le « parachute doré » pour les ministres qui, quittant le gouvernement, retrouveront, le cas échéant, leur siège de parlementaire.

Pour nous il s’agissait aussi de débattre de la loi ordinaire qui crée entre autre les députés des Français établis hors de France.
Après avoir rappelé que la mise en place de tels députés était un vœu ancien des Français de l’étranger, quel que soit leur camp politique ou leur pays de résidence, je suis intervenu sur les principaux points suivants :

  • Opposition au choix du scrutin majoritaire uninominal à deux tours qui est de l’avis de tous, y compris l’AFE, est mal adapté et impossible à mettre en œuvre matériellement
  • Nous avons proposé un scrutin proportionnel sur deux circonscriptions
  • La crainte de voir un découpage des circonscriptions qui assure une majorité à la droite
  • Le nombre envisagé de députés (8 ou 9) très en dessous de ce qui aurait été normal
  • Instauration du vote par correspondance, du vote électronique et d’un délai d’au moins 15 jours entre les deux tours

Le gouvernement a demandé à légiférer par ordonnance c'est-à-dire sans réel contrôle du Parlement.
Comme le vote conforme (c’est-à-dire sans aucun amendement) avec celui de l’Assemblée nationale était demandé, la discussion sénatoriale a été vidée de tout sens, aucun de nos amendements (une trentaine) n’ayant été pris en compte. De plus l’urgence étant déclarée (on se demande bien pourquoi), le texte n’a qu’une lecture devant chaque assemblée (l’assemblée nationale l’a déjà adopté).

Malheureusement les difficultés soulignées persistent et la mise en œuvre n’en sera que plus difficile pour une mesure que chacun appelle de ses vœux. Nous continuerons à nous faire entendre sur ce sujet important.

Vous pouvez consulter le compte-rendu complet des débats et des interventions en cliquant ici.

Vous pouvew lire ci-dessous mon intervention dans la discussion générale :

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaiterais consacrer mon intervention à l'examen des dispositions qui concernent plus particulièrement la représentation à l'Assemblée nationale des 2,5 millions de Français établis hors de France. Mes propos viendront en quelque sorte compléter les positions précédemment défendues par notre collègue Bernard Frimat sur le projet de loi organique.

Je ne me sens pas très concerné, ni très convaincu par l'argument qui voudrait que le Sénat ne puisse pas débattre de ce type de questions. Non seulement parce que je ne voudrais pas être coincé, comme cela a été dit tout à l'heure, mais aussi parce qu'il me semble que nous avons une certaine connaissance des questions relatives aux Français de l'étranger et qu'il serait paradoxal que nous n'apportions pas cette expérience pour élaborer la meilleure loi possible sur l'élection de leurs députés.

Bien sûr, il ne s'agit pas d'entrer dans les détails du découpage des circonscriptions. Mais je crois que nous avons une contribution à offrir sur le plan des principes, des idées et de l'expérience. Preuve en est que nombre de nos collègues sénateurs représentant les Français établis hors de France sont présents, aujourd'hui, dans l'hémicycle.

Les articles 2 et 3 du projet de loi relatif à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés constituent la seconde étape de la mise en œuvre du principe énoncé à l'article 24 de la Constitution.

Je souhaiterais d'abord rappeler –  ce n'est pas inutile au vu des débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale – que l'élection des députés représentant les Français établis hors de France n'est ni un gadget ni une lubie. Elle ne répond pas non plus aux intérêts d'un quelconque lobby. Il s'agit au contraire de parfaire notre démocratie en comblant le déficit de représentation parlementaire dont cette population pâtit, population qui représente pourtant, avec 863 000 inscrits, l'équivalent du dix-huitième département français en nombre d'inscrits sur les listes électorales.

Jusqu'à présent, nous étions en quelque sorte des semi-citoyens, ne bénéficiant que d'une demi-représentation parlementaire. Depuis de nombreuses années, sur les bancs de l'opposition comme sur les bancs de la majorité, nous militions tous pour parfaire cette citoyenneté.

Le 17 juin dernier, lors de l'examen en première lecture du projet de loi constitutionnelle, j'ai averti le Gouvernement des risques de dévoiement de cette nouvelle disposition constitutionnelle. Mes craintes portaient notamment sur le nombre de députés, le mode de scrutin retenu et le choix du découpage électoral.

Malheureusement, à la lecture du projet de loi ordinaire, je constate que je n'ai pas été entendu. Vous n'avez pas non plus tenu compte, monsieur le secrétaire d'État, des observations et des critiques formulées par mes collègues de la majorité et de l'opposition réunis, unanimes, et par les conseillers élus à l'Assemblée des Français de l'étranger, puisque ces derniers ont pris position, à plusieurs reprises, sur ces questions.

Le projet de loi nous propose d'autoriser le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance pour fixer le nombre de députés et délimiter les circonscriptions dans lesquelles ces parlementaires seront élus. Il propose également de rendre applicable à l'élection des députés représentant les Français établis hors de France le scrutin uninominal majoritaire à deux tours.

Vous comprendrez que nous soyons rétifs à cette démarche qui permet au Gouvernement de dessaisir le Parlement de son pouvoir de légiférer. Comme d'autres, je pense qu'il eût mieux valu commencer par créer la commission dite indépendante afin que celle-ci puisse donner son avis sur la demande d'habilitation concernant la fixation du nombre de députés et le découpage électoral.

Vous justifiez le calendrier et la séquence retenue en invoquant les données statistiques qui ne seront pas arrêtées avant le début de l'année prochaine. J'estime que nous pouvions parfaitement attendre un peu, les prochaines élections législatives étant normalement prévues en 2012, ou bien limiter l'habilitation.

Par ailleurs, le paragraphe I de l'article 2 propose d'autoriser le Gouvernement à fixer par voie d'ordonnance le nombre des députés représentant les Français établis hors de France. Ces dispositions sont en contradiction avec les engagements qui ont été pris. Ainsi, le 20 juin dernier, lors de l'examen au Sénat du projet de loi constitutionnelle, M. Roger Karoutchi a affirmé : « Nous envisageons la création d'une douzaine de sièges de député représentant les Français de l'étranger. II appartiendra, bien sûr, au législateur organique de fixer précisément le nombre de ces sièges. »

Plus grave encore, ces dispositions sont contraires à l'article 25 de la Constitution, qui dispose qu'une loi organique fixe le nombre des membres de chaque assemblée. Selon l'interprétation que nous en faisons, cet article s'applique également à la fixation du nombre de députés représentant les Français de l'étranger.

Je tiens, d'ailleurs, à citer un extrait de la page 17 de l'excellent rapport de notre collègue Gélard : « De là, en principe, le nombre de ces députés – il s'agissait des députés représentants les Français de l'étranger – doit être fixé par une loi organique, la répartition des sièges étant prévue par une loi ordinaire. » Mais nous devons voter conforme, et probablement pas pour les raisons qui nous ont été données !

La demande d'habilitation, elle-même, n'est pas très claire non plus. Elle ne précise pas le mode de calcul de la base démographique permettant de déterminer le nombre de députés représentant les Français de l'étranger. Nous sommes donc hésitants – je dirai même opposés – à vous autoriser à légiférer par voie d'ordonnance, en nous contentant de vagues principes généraux et de simples déclarations.

La population des Français établis hors de France représente plus de 2 millions de personnes. Même si, en l'absence de véritable recensement, ce nombre est difficile à préciser, on avance tout de même un chiffre de 2,4 millions ou 2,5 millions de personnes. Ces Français devraient être représentés par autant de députés que les Français qui résident à Paris, par exemple, puisque les populations sont équivalentes.

C'est bien ce que le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par Édouard Balladur, avait admis en affirmant que la modification de la représentation parlementaire supposerait « l'élection d'une vingtaine de députés au moins ». Il en avait d'ailleurs tiré la conclusion qu'il ne fallait pas instaurer de députés représentant les Français de l'étranger.

Or, nous comprenons qu'il est envisagé de limiter le nombre de ces députés à 8 ou 9. Pour aboutir à un tel résultat, vous proposez de minorer le nombre de Français inscrits au registre mondial des Français établis hors de France du nombre de personnes restant inscrites sur des listes électorales en France, notamment pour les élections législatives. Cela reviendrait à retirer ces électeurs de la population inscrite sur les listes électorales consulaires, au motif que, étant inscrits sur des listes électorales en France, ils votent plutôt en France.

Pour moi, il s'agit d'un artifice permettant de diminuer la base démographique et d'atteindre un niveau de 8 ou 9 sièges. En effet, les Français qui sont inscrits sur une liste électorale en France – j'en ai fait partie – ont avant tout opté pour ce système car ils n'avaient pas la possibilité de voter à l'étranger à l'occasion des élections législatives.

Si, à l'avenir, cette possibilité leur est offerte, ils voteront à l'étranger. D'ailleurs, je ne me serais pas opposé à obliger tous les électeurs inscrits sur des listes électorales consulaires à voter à l'étranger pour les élections législatives.

Toutefois, certains d'entre nous gardent aussi un intérêt pour la vie locale de leur commune de naissance ou de la commune dans laquelle ils ont une maison. Ils souhaitent donc pouvoir participer aux élections communales, et une inscription sur les listes électorales de Vouvray, par exemple, pour ces élections n'implique pas qu'on doive être rayé de la liste électorale des Français de l'étranger.

Je pense donc que cet argument n'est pas valable. Vous avez cherché – vous en aviez sans doute besoin – un raisonnement qui permettait de minorer la base représentative, mais vous comprendrez que nous soyons opposés à cette démarche.

Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, vous avez déclaré à l'Assemblée nationale que le critère du nombre de Français immatriculés à l'étranger ne pouvait être retenu car « les mineurs et les personnes privées de droits civiques y figurent également ». Concernant ces dernières, eu égard à la qualité des Français de l'étranger que nous représentons, j'ose espérer qu'elles ne sont pas très nombreuses. Quant au problème des mineurs, il se pose également en France métropolitaine et vous n'en tenez pas compte, monsieur le secrétaire d'État. Vous semblez donc appliquer deux poids, deux mesures.

Vous affirmez que le code électoral offre aux Français de l'étranger de nombreuses possibilités pour s'inscrire sur les listes électorales d'une commune française. C'est vrai, grâce aux mesures prises par le Sénat, il y a quelques années. Et vous avez déclaré qu'en choisissant l'une de ces options, – je vous cite – « nos compatriotes ne manifestent pas vraiment une volonté d'établissement durable hors de France ». Comme je l'ai indiqué, nous nous inscrivions sur ces listes électorales car, précisément, nous n'avions pas d'autres choix.

En tout état de cause, je ne pense pas qu'il soit légitime de minorer le nombre officiel de Français de l'étranger car, au final, il en résultera qu'une population de 2,5 millions de personnes sera représentée par 8 ou 9 députés. Cela pose tout de même un problème en termes de poids représentatif.

Pour ce qui est du mode de scrutin, vous avez fait le choix, choix que vous assumez, monsieur le secrétaire d'État, du scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Vous refusez que les députés représentant les Français de l'étranger soient élus selon un mode de scrutin différent de celui auquel sont soumis les autres députés. Une telle situation serait, d'après vous, « susceptible de dévaloriser ces nouveaux députés par rapport à leurs collègues de métropole et d'outre-mer ». Cet argument me paraît difficile à accepter.

Comme vous le savez, plus de la moitié de notre assemblée est désormais élue à la représentation proportionnelle. Or je n'ai jamais eu le sentiment que ceux d'entre nous qui ont été élus selon ce mode de scrutin pèsent moins que les autres.

L'argument de la proximité du député vis-à-vis de la population qui l'a élu n'est pas non plus pertinent. Vous imaginez bien que le député qui représentera les 40 ou 45 pays qui composent l'Afrique ne pourra faire valoir qu'une proximité relative entre Johannesburg et Alger, par exemple. Il en ira de même pour celui qui représentera l'Océanie et le Pacifique, de Tokyo aux Îles Tuvalu.

Je rappelle, d'ailleurs, que le Comité Balladur – qui était plein de sagesse – affirmait que l'élection des députés des Français de l'étranger à l'Assemblée nationale « ne pourrait se concevoir que par le biais d'un scrutin de liste, appliqué à de vastes circonscriptions regroupant plusieurs régions du monde. »

C'est une idée que nous avons défendue et que nous continuons à défendre, en dehors de l'idée selon laquelle c'était un moyen d'instiller une dose de représentation proportionnelle dans notre système de représentation politique.

Je comprends votre hostilité envers cet aspect politique des choses, mais l'Assemblée des Français de l'étranger et mes collègues ont attiré votre attention sur la difficulté d'organiser un scrutin majoritaire à deux tours dans huit ou neuf circonscriptions.

Imaginez la situation à l'issue du premier tour, le dimanche soir, dans la circonscription de l'Afrique, par exemple. Le candidat sera à Bangui – c'est un peu le centre du continent – et il devra prendre un certain nombre de décisions : désistement ou maintien, soutien ou non, et à qui ? Les électeurs devront ensuite être informés de ces décisions ; ce sera très difficile, même s'il est prévu quinze jours entre les deux tours.

Il y a donc un problème matériel grave, en dehors même de la question des découpages. Vous allez créer une véritable bombe à retardement qui risque d'engendrer un nombre de contentieux tout à fait considérable, ce que nous ne souhaitons pas.

J'en viens au découpage des circonscriptions.

Les critères évoqués sur la démographie ou la continuité des circonscriptions sont tout à fait respectables, mais nous sommes réticents à l'introduction de la clause d'exception. On peut la comprendre sur le principe, mais nous craignons qu'elle ne permette des découpages qui pourraient poser des problèmes et il sera très difficile de parvenir à un système convenable.

Monsieur le secrétaire d'État, nous pensons bien que vous chercherez naturellement à instaurer un découpage assurant une représentation juste et que nous n'aurons pas un député de gauche pour huit députés de droite. Mais la tentation peut être grande : selon que vous rattachez Israël aux pays du Maghreb ou à ceux du Moyen-Orient, la circonscription peut basculer. Quant à l'Allemagne, vous pouvez peut-être la découper selon la règle du « brie »…

Nous éprouvons donc quelques craintes, à moins que la commission indépendante ne fasse son travail de façon efficace, ce dont je ne suis pas persuadé. Pour conclure, je répète que le bon mode de scrutin, c'est le scrutin proportionnel dans deux circonscriptions : une pour l'Europe et une pour le reste du monde.

Pour toutes ces raisons, bien évidemment, nous ne voterons pas ces projets de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)