Je suis intervenu le 29 novembre en séance lors de la discussion des crédits de la mission « Justice ». Vous pourrez lire ci-dessous le compte-rendu de mon intervention générale et de ma défense de l'amendement que j'avais déposé.

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans le domaine pénitentiaire, les années se suivent et se ressemblent.

Je voudrais tout d’abord évoquer le sujet important de la politique immobilière. Nous avons suffisamment insisté sur les conséquences de la surpopulation carcérale pour nous réjouir du projet de création de 5 000 places de prison dans les prochaines années. Néanmoins, permettez-moi de faire quelques remarques à ce sujet.

Avant tout, ces 5 000 places doivent servir à faire baisser le taux d’occupation de nos prisons. Elles ne doivent pas être un appel à remplir davantage les prisons, que des mesures d’adaptation des peines doivent par ailleurs conduire à vider.

À cet égard, je vous rappelle que le taux d’occupation de la prison de Caen est de 200 %. Je n’ose même pas signaler celui de la prison de Mayotte !

Je profite de l’occasion, monsieur le garde des sceaux, pour vous faire part de l’interrogation de mon collègue Pierre-Yves Collombat à propos de la prison de Draguignan, détruite par les intempéries, dont la reconstruction n’a toujours pas démarré. L’opinion varoise s’inquiète. Peut-être pourriez-vous nous en dire un mot.

J’en reviens à mon propos.

Nous avons constaté un revirement significatif de la position du Gouvernement sur la question de l’encellulement individuel, comme l’a noté notre rapporteur M. Lecerf. Certes, l’encellulement individuel est un objectif à poursuivre. Cependant, il doit être interprété avec intelligence et subtilité.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Comme nous l’avons fait dans la loi pénitentiaire !

M. Richard Yung. Ce n’est pas la meilleure solution dans certains cas. Nous avons tous visité suffisamment de prisons pour savoir que certains détenus préfèrent être à deux ou en petits groupes. Cela dépend donc des cas, des situations, et ce principe doit être appliqué avec discernement.

Enfin, il faut que ces nouvelles places aillent de préférence vers des prisons de petite et moyenne dimension. Nous nous inquiétons de voir de nouveaux projets de grandes prisons. Les professionnels estiment qu’une capacité de 300 places est raisonnable. Nous devrions nous limiter à des unités de cette taille.

Au mois d’avril dernier, M. Jean-Marie Bockel avait demandé à M. Gontard un rapport sur le développement des prisons ouvertes en France. Nombre d’entre nous soutiennent cette idée. Je voudrais savoir si ce rapport a été remis ou si le départ de M. Bockel du Gouvernement marque l’enterrement de ce beau concept.

À propos des conditions de vie en prison, je déposerai tout à l’heure un amendement visant à instituer la gratuité de l’accès à la télévision dans les centres de détention. Nous en reparlerons à cette occasion.

Ces considérations matérielles revêtent d’autant plus d’importance qu’elles ont un effet majeur sur l’état psychologique des personnes détenues. Cet état est globalement mauvais. Depuis le début de l’année, 150 détenus ont mis fin à leurs jours, contre 115 en 2009 et 109 en 2008 ; c’est alarmant.

Le précédent garde des sceaux avait mis en place un plan de lutte contre les suicides en prison, mais j’ai l’impression que ce plan n’a pas donné de résultats significatifs. Le kit anti-suicide, les pyjamas en papier, etc., n’ont pas été des solutions à la hauteur de cet enjeu majeur. Comment, monsieur le garde des sceaux, envisagez-vous cette question ?

Le concept d’établissement à réinsertion active, ERA, sur lequel s’appuiera le nouveau programme immobilier, prévoit la création systématique de locaux destinés aux services de psychiatrie, au sein des unités de consultations et de soins ambulatoires. Je nourris des réserves sur cette approche, car, à mon sens, les malades psychiatriques, pourtant nombreux puisqu’ils représentent 25 % à 28 % des détenus, n’ont rien à faire en prison. À mon avis, il s’agit d’une fâcheuse confusion des genres.

S’agissant du travail en milieu carcéral, force est de constater que la conjoncture économique rend difficile la mise en œuvre de l’obligation d’activité. L’objectif de 37 %, c’est-à-dire d’un tiers de détenus en activité, n’est pas suffisant, et c’est dommage. Je pense que la crise a bon dos puisque, dans les pays d’Europe du Nord, où la crise est également présente, les taux d’emploi sont significativement plus élevés.

Enfin, vous prévoyez de créer 997 emplois supplémentaires, ce qui va dans le bon sens. Néanmoins, n’est pas pris en compte dans ces emplois le transfert de l’escorte de la gendarmerie et de la police vers l’administration pénitentiaire. Selon les estimations, il s’agirait de 800, 1 000 ou 1 200 emplois concernés. Si, d’un côté, 1 000 emplois sont créés, mais que, de l’autre, 1 200 emplois sont transférés pour les escortes, le résultat sera nul, voire négatif. Pouvez-vous, monsieur le garde des sceaux, nous rassurer sur cette question ?

Vous comprendrez, d’après ces remarques, mes chers collègues, que le vote de notre groupe ne sera pas favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

[...]

Mme la présidente. L'amendement n° II-87, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

I. - Créer le programme : Conseil supérieur de la magistrature
II. - En conséquence, modifier comme suit les crédits des programmes (suit un tableau de chiffres)

[...]

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Le fait que la commission des lois soit parvenue à une position unanime montre que nous allons dans la bonne direction. Cela étant, nous craignons toujours que l’on ne cède à la procrastination législative : on s’engage au moment du débat mais, un an plus tard, tout le monde a oublié ce qui avait été dit.

Au fond, les choses sont claires : il s’agit de montrer l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature, c’est-à-dire l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif. Voilà ce dont nous discutons. L’argument tendant à regretter que ce budget soit intégré dans celui de la politique judiciaire est un bon argument.

En revanche, l’argument selon lequel il s’agit d’une petite somme, s’il est compréhensible, n’en est pas moins très faible, compte tenu des valeurs auxquelles nous nous référons.

Pour notre part, nous sommes favorables à ce que le budget du Conseil supérieur de la magistrature soit clairement identifié et qu’il soit autonome. Si vous souhaitez l’intégrer l’an prochain à la mission « Pouvoirs publics », comme le budget du Conseil constitutionnel, nous n’y sommes pas opposés. En l’état actuel des choses, toutefois, nous soutenons l’excellent amendement de notre collègue M. Détraigne.

[...]

Mme la présidente. L'amendement n° II-87 est retiré

[...]

Mme la présidente. L'amendement n° II-6 est retiré.

L'amendement n° II-175, présenté par MM. Yung, Badinter et Anziani, Mmes Cerisier-ben Guiga et Lepage, MM. Lagauche et Bodin, Mme Blondin et MM. Mermaz, Raoul, Raoult, C. Gautier, Rebsamen et Guérini, est ainsi libellé :

Modifier comme suit les crédits des programmes (suit un tableau de chiffres)

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Le présent amendement tend à rendre gratuit l’accès à la télévision dans les établissements pénitentiaires. Il est inspiré par le dispositif qu’avait conçu notre collègue Robert Badinter en 1985, lorsqu’il était garde des Sceaux.

La mise à disposition de téléviseurs dans les prisons était prévue pour la Coupe du monde de football de 1986. Toutefois, les crédits affectés à cette opération ayant été intégralement utilisés pour les travaux de raccordement des établissements pénitentiaires, a finalement été instauré un système de location de téléviseurs, mais celui-ci avait vocation à n’être que transitoire.

Les associations socioculturelles et sportives qui gèrent les deux tiers du parc de téléviseurs mettent des postes à la disposition des détenus sans ressources, mais les autres détenus doivent verser un prix de location qui varie entre 5 et 40 euros.

De nombreux détenus voient leur pouvoir d’achat diminuer, ce qui a pour effet d’augmenter le poids du poste « location de téléviseur » dans leur budget. Bien souvent, compte tenu des tarifs de location que je viens d’indiquer, il est plus avantageux pour un détenu d’acheter un poste plutôt que de le louer.

M. Roland du Luart, rapporteur spécial. Cela dépend du temps passé en prison.

M. Richard Yung. Votre prédécesseur, monsieur le ministre, a proposé de fixer « un tarif unique, uniforme, harmonisé et raisonnable », qui s’élèverait à 8 euros par poste. Cela correspondrait, semble-t-il, au prix coûtant. Cette proposition ne me convainc guère, car elle laisse en suspens la question du financement des abonnements à Canal Plus. De surcroît, elle ne tient pas compte de la situation particulière dans laquelle se trouvent les personnes détenues.

Je considère que ce système de location est « honteux » pour la République car, depuis vingt-cinq ans, il pénalise les détenus dont les revenus sont limités.

Il n’est pas acceptable que la location des téléviseurs s’effectue principalement par le truchement d’associations socioculturelles et sportives qui financent ainsi d’autres activités. Certaines d’entre elles dégagent d’ailleurs des marges bénéficiaires importantes, dont l’emploi est singulièrement opaque… Je vous renvoie, à ce sujet, au rapport de la Cour des comptes.

D’aucuns font un parallèle avec les hôpitaux et arguent du fait que les personnes hospitalisées doivent louer leur téléviseur. Mais cet argument n’est guère recevable : prisons et hôpitaux ne sont pas comparables. Les hôpitaux ne sont pas, Dieu merci, des lieux de privation de liberté et de nombreuses mutuelles remboursent les frais de location d’un téléviseur. En outre, dans ces lieux d’extrême tension que sont les prisons, la télévision a, de l’avis des personnels pénitentiaires, des vertus apaisantes.

Au fond, ce que nous souhaitons, c’est maintenir le lien social pour le détenu, lui permettre de rester en contact avec la société, ce qui facilite aussi les échanges avec sa famille. Je ne me prononce évidemment pas sur le contenu des programmes télévisuels, terrain peu propice au consensus… (Sourires.)

Nous proposons donc, d’une part, de minorer de 6,6 millions d’euros les crédits alloués à l’action n °1, « Aide juridictionnelle », d’autre part, de réduire de 1 million d’euros la dotation réservée à la communication du ministère de la justice, laquelle a beaucoup augmenté ces dernières années.

Grâce à ces coupes, on dégagerait 7,6 millions d’euros, ce qui correspond à l’estimation que nous avons faite du financement de ce programme de gratuité des téléviseurs en prison.

[...]

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° II-175.

(L'amendement n'est pas adopté.)