La procédure a été respectée, nous disent la Garde des Sceaux et la ministre de la défense… Tout est normal, de quoi s’étonne-t-on ?

Ce n’est que justice que d’aller chercher un journaliste, Vittorio de Filippis, ancien directeur de publication du quotidien Libération, à 6h40 du matin, chez lui, sans prendre le soin de l’en avertir comme s’il s’agissait d’un dangereux criminel. Il est d’ailleurs prévu dans la procédure de l’insulter et de lui dire qu’il est ‘pire que la racaille’ devant ses enfants qui ont dû aller seuls à l’école ce matin là. Leur papa, après qu’on lui eu passé les menottes –d’ordinaire réservées aux individus ‘considérés soit comme dangereux pour autrui ou pour eux-mêmes, soit comme susceptibles de tenter de prendre la fuite’, d’après l’article 803 du code de procédure pénale– a en effet été amené au commissariat pour y subir, à plusieurs reprises, des fouilles corporelles et même des fouilles annales ! Qu’aurait-il donc pu cacher de si dangereux ? Rappelons que le délit de diffamation dont Vittorio de Filippis est accusé n’est même pas passible de prison…

Cet événement est absolument choquant à plusieurs titres. Tout d’abord parce qu’il propulse au grand jour –la victime étant un journaliste- des méthodes qui ont cours quotidiennement et dont les victimes n’ont, trop souvent, pas la parole. Ensuite, et là on croit rêver, parce que ces méthodes odieuses sont ouvertement acceptées par deux des principaux ministres du Gouvernement ! Rachida Dati et Michèle Alliot-Marie n’y voient rien à redire, jugeant la procédure ‘normale’ ! Ce qui laisse songeur sur l’état de la justice française… Et enfin, parce que Nicolas Sarkozy en affirmant qu’il ‘comprend l’émoi’ suscité par cette affaire et en annonçant qu’il va lancer une réflexion pour garantir "une procédure pénale plus respectueuse des droits et de la dignité des personnes" tente de récupérer l’histoire pour se placer encore une fois en défenseur des victimes d’un système qu’il a lui-même encouragé et cautionné ! Au passage, le président désavoue de nouveau deux de ses ministres, donnant ainsi la preuve d’un manque total de cohésion ou de concertation à la tête de l’Etat. Mais le chef de l’Etat a conscience que, dans un contexte houleux de réforme de l’audiovisuel public et d’Etats Généraux de la presse, à un moment où beaucoup dénoncent sa volonté de mettre la main sur les médias, il a tactiquement intérêt à se ranger du côté du journaliste.

Cette affaire est loin d’être anodine, elle est l’illustration d’un système sécuritaire et brouillon où les dérives sont légion. Elle noircit également l’ombre qui plane sur le monde des journalistes : celle d’un milieu en proie aux pressions d’un pouvoir tout puissant… C’est inacceptable.

Richard Yung