Discussion générale (8 avril 2010)

(l'intégralité des débats est là et pour un compte-rendu par l'AFP, c'est ici)

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, décidément on se congratule beaucoup en ce moment ! (Sourires.)

Il est vrai que ce débat est très consensuel et que notre groupe partage l’ambition du Gouvernement d’encourager la création des petites et moyennes entreprises. Cela n’empêche pas une certaine lucidité. À ce titre, je formulerai un certain nombre de remarques.

Il existe aujourd'hui 1,5 million d’entreprises individuelles, soit une entreprise sur deux, des entreprises qui, nous le savons, sont très vulnérables. En 2009, les défaillances d’entreprises individuelles représentaient environ une faillite sur quatre. Les causes sont assez bien identifiées, un simple défaut de paiement d’un client ou des difficultés rencontrées par les sociétés dont elles sont sous-traitantes et face auxquelles elles ne peuvent pas grand-chose.

Tous l’ont souligné avant moi, ces défaillances sont souvent à l’origine de drames personnels pour les entrepreneurs individuels et leur famille, eux qui doivent en effet répondre de leurs engagements professionnels sur la totalité de leur patrimoine, qu’il ait été ou non affecté à l’entreprise.

Il existe également en droit français un autre statut, la société en commandite simple, qui revêt les mêmes caractéristiques, mais que l’on trouve plutôt en amont des très grands groupes…

Nous nous accordons donc tous à reconnaître que les entreprises individuelles sont insuffisamment protégées contre ces risques. Les deux dispositifs permettant de limiter la responsabilité d’un entrepreneur individuel – la constitution d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et la déclaration d’insaisissabilité – n’ont pas rencontré le succès escompté. Nous devrions d’ailleurs mener une réflexion pour comprendre ce manque d’engouement de nos concitoyens pour les outils dont nous disposons d’ores et déjà dans notre législation.

Vingt-cinq ans après sa création, l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée reste un statut peu utilisé par les entrepreneurs, et ce malgré les réformes qui l’ont considérablement simplifié, pour ce qui concerne tant la création que le fonctionnement. En 2009, les EURL représentaient seulement 10,5 % des créations d’entreprise.

Les raisons de cet échec sont administratives, comptables et psychologiques.

Il existe probablement aussi des résistances, notamment à l’échelon des chambres consulaires et d’autres corps intermédiaires. Mais cela s’explique également par l’absence de pédagogie.

La déclaration d’insaisissabilité a également rencontré très peu de succès ; seuls 1 % des entrepreneurs y ont recours. L’administration fiscale a recensé environ 10 000 déclarations pour l’année 2009 et, pourtant, ce dispositif vient d’être étendu à l’ensemble du patrimoine foncier. Il s’agit là d’un véritable problème.

À la question : « Comment éviter que la faillite n’entraîne la ruine personnelle et familiale de l’entrepreneur individuel ? », nous pensons que la réponse apportée par le Gouvernement et la majorité n’est pas satisfaisante. Certes, le dispositif a été amélioré par la commission des lois du Sénat, mais les modifications adoptées ne suffisent pas à lever les doutes que nous avons concernant l’opportunité et l’utilité du nouveau statut.

Je formulerai une remarque de forme. Les élections régionales ayant désormais eu lieu, nous sommes d’une certaine manière plus libres. Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi la procédure accélérée a été maintenue. En outre, dans la mesure où ce texte ne pourra pas entrer en vigueur avant la publication de l’ordonnance destinée à adapter au nouveau statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée les règles relatives à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises, soit six mois à compter de la publication du présent projet de loi, il eût été opportun de lever cette procédure afin de permettre à nos collègues de l’Assemblée nationale de se prononcer sur les améliorations importantes qui ont été introduites par notre rapporteur. Or ils ne les découvriront que lors de la réunion de la commission mixte paritaire et disposeront de très peu de temps pour les examiner. Cela ne nous semble pas de bonne méthode pour réaliser un travail législatif de qualité.

J’en viens maintenant à l’examen du dispositif lui-même.

L’article 1er prévoit d’introduire la procédure d’affectation du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel et met fin au sacro-saint principe de l’unicité du patrimoine. Monsieur le secrétaire d'État, je vous rends hommage, car vous avez dû ferrailler dur contre un certain nombre de chapelles de juristes qui, pour certaines, ne siègent pas très loin de la place Vendôme. (M. le secrétaire d'État sourit.)

Toutefois, le patrimoine affecté garantit-il la protection du patrimoine professionnel de l’entrepreneur ? Je n’en suis pas sûr, dans la mesure où le recouvrement de ses créances personnelles portera, en cas d’insuffisance du patrimoine non affecté, sur le patrimoine affecté à hauteur du montant du bénéfice du dernier exercice clos.

Dans un tel cas de figure, les créanciers professionnels verront leurs garanties affaiblies, ce qui peut porter préjudice à la vie de l’entreprise.

Par ailleurs, et nous en débattrons lors de la discussion des articles, je ne partage pas l’opinion de la commission des lois, qui a autorisé le cumul des patrimoines affectés, alors que vous-même, monsieur le rapporteur, avec affirmé dans votre rapport que « cette solution aurait l’inconvénient de la complexité ».

Le dispositif s’apparente de plus en plus à une « usine à gaz », pour reprendre le terme qu’a employé l’un de mes collègues tout à l’heure.

La pluralité des patrimoines affectés risquerait de favoriser un certain nombre d’abus. Des entrepreneurs pourront en effet multiplier les structures afin de se verser des dividendes non soumis à cotisations sociales.

Cette solution pose problème, à l’instar du régime fiscal et social de l’EIRL ; d’ailleurs, sur ce point, un débat houleux mais fort intéressant, mené par MM. Carrez et Méhaignerie, a eu lieu à l’Assemblée nationale.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Ils ont été battus !

M. Richard Yung. Qu’ils aient été battus n’empêche pas de lire avec intérêt leurs arguments !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Et ceux du Gouvernement aussi !

M. Richard Yung. Ce ne sont pas de farouches socialistes comme nous ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est une conjonction intéressante ! (Nouveaux sourires.)

M. Richard Yung. En effet ! Nous y reviendrons dans le débat, car il s’agit d’un des points sur lesquels nous voudrions limiter le dispositif.

De même, la réduction à deux ans du droit de reprise de l’administration fiscale nous apparaît comme une mesure non demandée et non nécessaire parce qu’elle n’est pas directement liée au dispositif qui nous occupe. Dans une période où – tout le monde le répète – nous sommes en pénurie de finances publiques, il paraît assez paradoxal de créer une dérogation de ce type.

Il est également à craindre que le statut d’EIRL ne conduise aux mêmes abus que le statut d’auto-entrepreneur. Je fais référence ici à un phénomène qui, sans constituer un fait général, n’en reste pas moins réel : certains chefs d’entreprise – peu scrupuleux, je le reconnais – forcent leurs salariés à adopter le statut d’auto-entrepreneur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y a un code du travail !

M. Richard Yung. Oui, mais on risque d’avoir le même type d’abus pour ce nouveau statut, à savoir que des salariés seront en EIRL et gagneront 700 euros par mois ! S’il s’agit d’une mère de famille qui travaille en complément, ce n’est pas gênant, mais, dans les autres cas…

Dans son édition de vendredi dernier, le Parisien, qui n’est pas un journal déchaîné (Sourires), fournissait un certain nombre d’exemples assez probants.

Enfin, nous nous opposons au principal cavalier – mais ce n’est pas un des cavaliers de l’Apocalypse -, je veux dire la transformation d’OSEO, au détour du projet de loi.

Je souscris à l’idée d’utiliser OSEO et d’autres sociétés de cautionnement pour aider au montage des financements, parce que le vrai problème des PME en France, vous le savez comme moi, monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas tant leur naissance que leur croissance.

Nous sommes en effet incapables de faire grimper nos petites et moyennes entreprises à 300 ou 400 salariés, à 5, 10 ou 15 millions d’euros de chiffre d’affaires comme le font les Allemands. Et nous ne savons pas le faire parce que le système financier et bancaire ne suit pas.

Si nous partageons l’objectif de soutien de la croissance, nous ne pensons pas qu’il soit opportun d’y répondre au détour d’une loi sur les EIRL. Il faudrait au contraire qu’un vrai débat ait lieu sur le sujet. Il est d’ailleurs assez surprenant que les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat n’aient pas été saisies.

Telles sont les observations dont je souhaitais vous faire part, mes chers collègues. Nous considérons l’objectif avec sympathie, mais nous voulons encadrer un certain nombre de ses dispositions qui nous paraissent dangereuses. Nous tirerons bien sûr les conclusions qu’il faudra du débat.

[...]

Mme la présidente. L'amendement n° 13, présenté par MM. Yung, Bérit-Débat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 6

Compléter cet alinéa par les mots :

, pour une durée de trois ans au maximum suivant le dépôt de la déclaration prévue à l'article L.526-6-1.

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Cet amendement tend à limiter à trois ans au maximum, suivant le dépôt de la déclaration, la durée d’une activité professionnelle dans le cadre du statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée.

J’ai bien entendu vos explications, monsieur le secrétaire d’État, mais vous me permettrez d’avancer quelque peu masqué. Il s’agit en effet d’un amendement d’appel, car nous souhaitons ouvrir le débat sur ce sujet.

Vous avez tous pris connaissance, mes chers collègues, de l’amendement n° 26 déposé par M. Arthuis, par ailleurs président de la commission des finances, qui tend à limiter à trois ans le statut d’auto-entrepreneur. Or nos débats ont montré que l’EIRL, encore en gestation, est proche par bien des aspects, en particulier la fiscalité et les cotisations sociales, du dispositif de l’auto-entrepreneur.

Selon M. Arthuis, il convient de limiter les effets de seuil et les situations de distorsion de concurrence : nous avons repris à notre compte ses arguments pour l’EIRL.

[...]

Mme la présidente. L’amendement n° 14, présenté par MM. Yung, Bérit-Débat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 7, première phrase

Après les mots :

est titulaire,

rédiger ainsi la fin de cette phrase :

acquis ou nés dans le cadre de son activité professionnelle et nécessaires à celle-ci.

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Nous sommes dans la situation où une personne physique envisage d’affecter des biens, des capitaux, des droits à une activité, sans que soit créée une personne morale, mais en isolant ces biens, capitaux et droits de son propre patrimoine.

La faible capitalisation des entreprises individuelles au moment de leur création est une réalité bien française. Certes, il faut prendre en compte la nature de l’activité, selon qu’elle est à haute ou faible intensité capitalistique, mais le plus souvent, au début en tout cas, la dotation en capital est assez faible.

Or l’accès au crédit pour l’entrepreneur sera fonction de la solvabilité de son entreprise, et si cette dernière peut reposer sur les qualités de l’entrepreneur, elle est d’abord fondée sur l’évaluation chiffrée et objective que feront les banques.

On peut penser que l’entrepreneur aura tendance à dédier plus qu’il ne faut de moyens, matériels et financiers, pour constituer un patrimoine professionnel et être crédible à l’égard de la société de financement à laquelle il s’est adressé. Si l’on en juge par la prise de risque des établissements bancaires en matière de création d’entreprise, il y sera même très fortement incité. ..

Cette préoccupation n’est pas simplement théorique. Elle pose la question de la répartition du patrimoine. Nous avons voulu préciser le dispositif et supprimer le risque d’insécurité juridique sur la détermination du patrimoine d’affectation.

[...]

Mme la présidente. L'amendement n° 17, présenté par MM. Yung, Bérit-Débat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 8

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Dans le cadre de son activité professionnelle, l'entrepreneur individuel ne peut en aucun cas être placé, directement ou par personne interposée, dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard d'un donneur d'ouvrage. »

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Tout récemment, nous avons eu la chance de prendre connaissance du bilan dressé par le Sénat, sous la direction de M. Marini, sur le régime de l’auto-entrepreneur.

Il en ressort que la crainte concernant le risque de substitution entre salariat et auto-entrepreneur, que le groupe socialiste avait manifestée, en séance publique, lors de la discussion du projet de loi créant ce nouveau régime, était fondée. Ce n’était pas simplement une vue de l’esprit de notre part !

Des employeurs peu scrupuleux obligent en effet des salariés, voire des personnes étrangères en situation précaire, à adopter ce statut.

En période de crise, ce chantage à l’emploi est plus facile à exercer, les employeurs expliquant qu’ils n’ont plus de quoi payer les charges sociales, ou bien qu’il s’agit d’une période transitoire, faisant miroiter une embauche définitive en contrat à durée indéterminée.

Ce ne sont souvent que de belles promesses, car, en réalité, ceux qui sont soumis à ces statuts, que ce soit celui de l’EURL ou celui, à venir, de l’EIRL, non seulement doivent désormais payer eux-mêmes leurs charges, mais encore ne perçoivent ni prime de précarité ni congés payés. En outre, les heures supplémentaires qu’ils effectuent ne sont pas comptabilisées puisque le code du travail ne s’applique pas. Enfin, les personnes ayant choisi ce régime peuvent être remerciées sans préavis et ne bénéficient d’aucun droit au chômage.

Nous craignons que, avec l’EIRL, nous rencontrions les mêmes difficultés majeures que celles que nous rencontrons avec l’EURL. Libérer les énergies créatrices et entrepreneuriales, oui, monsieur le secrétaire d’État, mais pas au prix d’une régression sociale !

On pourrait nous rétorquer que ce que nous dénonçons est un banal phénomène de travail dissimulé ou falsifié et que les employeurs indélicats n’ont pas attendu ce nouveau statut pour faire travailler au jour de faux indépendants ou au noir de vrais ouvriers, et que dès lors qu’il existe un lien de subordination, un contrat passé entre un sous-traitant et un donneur d’ordre s’expose à être requalifié en contrat de travail ordinaire.

C’est l’argument qui nous a été opposé tant en commission qu’en séance publique.

M. le secrétaire d’État a annoncé qu’il avait donné des instructions pour réprimer durement ces fraudes. Je m’en réjouis et je souhaite que cela soit réellement suivi d’effet. Mais, pour mettre en accord le discours et les actes, nous proposons de renforcer l’information sur le caractère illégal de ces pratiques visant à dissimuler une relation salariale de subordination sous la forme d’une relation commerciale de sous-traitance.

[...]

M. le président. L'amendement n° 16, présenté par MM. Yung, Bérit-Débat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéa 16

Remplacer les mots :

Le cas échéant

par les mots :

À peine d'irrecevabilité

et après le mot :

attestant

insérer les mots :

, s'il y a lieu,

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Cet amendement vise à introduire une sanction d’irrecevabilité lorsque les documents prévus ne sont pas remis au moment du dépôt de la déclaration d’affectation.

Le texte proposé pour l’article L. 526-7 du code de commerce énumère les éléments qui doivent accompagner la déclaration d’affectation.

L’Assemblée nationale a réécrit cet article. Le texte initial prévoyait que la déclaration d’affectation devait être accompagnée d’un certain nombre de pièces, nécessaires « à peine d’irrecevabilité ». Les députés ont renoncé à cette formule pour imposer aux organismes chargés de la tenue des registres une simple obligation de vérification du contenu de la déclaration. Ils vérifient donc non pas la teneur des pièces, mais seulement leur présence, ce qui est assez étrange.

M. le secrétaire d’État a estimé que cette formule juridique était trop stricte. Il a par ailleurs ajouté qu’elle ne correspondait pas à la philosophie du texte.

La philosophie du texte n’est pas seulement d’aller vers une simplification extrême des procédures administratives. Son objet premier, à écouter le Gouvernement, vise en premier lieu la protection des entrepreneurs, sans méconnaître les droits des conjoints, des enfants et des créanciers personnels et professionnels.

Dans la composition d’un patrimoine d’affectation peuvent figurer des biens « sensibles » pour la famille de l’entrepreneur et pour les créanciers. Tel est le cas, par exemple, des biens immobiliers, des biens d’un montant élevé ou des biens communs ou indivis. Cela explique qu’il existe un régime particulier pour ces catégories de biens, défini aux articles L 526-8, L. 526-9 et L. 526-10 du code de commerce.

Curieusement, si le texte que nous examinons envisage bien la sanction d’inopposabilité en cas de non-respect de ces règles lorsque l’affectation intervient postérieurement à la déclaration constitutive, rien n’est prévu pour sanctionner le même non-respect constaté au moment de la déclaration d’affectation elle-même. Admettez que cette situation est pour le moins curieuse. Il y a donc un vide qu’il convient de combler, et c’est l’objet du présent amendement.

[...]

M. le président. L'amendement n° 18, présenté par MM. Yung, Bérit-Débat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéas 2 à 4

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Comme nous l’avons déjà dit lors de la discussion générale, les statuts d’EURL et d’EIRL nous paraissent peu différents. Ainsi, cet article aligne en fait le régime fiscal de l’EIRL sur celui de l’EURL.

La possibilité, pour l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, d’opter pour l’impôt sur les sociétés a été présentée par M. le secrétaire d’État comme un nécessaire facteur d’équité, permettant d’aligner la situation de l’entrepreneur en nom propre sur celle de l’associé qui a constitué une société.

Pourtant, il est aujourd’hui aisé de créer une société et de s’assujettir ainsi à l’impôt sur les sociétés. La constitution d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée est rapide. Ainsi, au tribunal de commerce de Paris, le greffe en permet la constitution sous quarante-huit heures. Une EURL peut être créée sans capital minimal et avoir son siège au domicile de l’associé unique, dont la responsabilité est limitée à ses apports, ce qui protège ses biens personnels.

Il est quelque peu étonnant de soumettre une EIRL, qui n’est pas une société, à l’impôt sur les sociétés, ce qui lui permettra parfois d’être imposée à un taux très favorable. Nous pourrions en fournir des exemples, allant à l’encontre de ceux qu’a donnés M. le rapporteur.

Étant donné qu’il n’y a pas, sous ce statut, de frontière entre l’entreprise et l’entrepreneur, tous les revenus provenant de la première pourront être transférés au patrimoine personnel du second, dont la situation pourra dès lors être tout à fait florissante.

On ne voit donc pas pour quelle raison l’entrepreneur ne serait pas assujetti à l’impôt sur le revenu progressif. La justice fiscale n’a pas à être sacrifiée sur l’autel de l’EIRL. À l’heure où nous débattons du bouclier fiscal, nous ne souhaitons pas cautionner l’institution d’un nouveau cadeau fiscal.

[...]

M. le président. L'amendement n° 19, présenté par MM. Yung, Bérit-Débat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Nous proposons la suppression de l’article 3 bis, qui vise à étendre le bénéfice de la réduction à deux ans de la durée du droit de reprise de l’administration fiscale.

Nous ne méconnaissons nullement le rôle important que jouent les centres de gestion agréés et les associations de gestion auprès des TPE dans le domaine fiscal, mais nous entendons mettre l’accent sur la façon dont la multiplication des dérogations aboutit à rendre la matière fiscale totalement volatile. De ce point de vue, le présent article est presque caricatural.

Le ministre du budget lui-même a déclaré tout récemment que la France est malade de son instabilité fiscale. Or, au détour de l’adoption d’un amendement à l’Assemblée nationale, un dispositif qui ne visait que les EIRL a été étendu aux SARL, aux exploitations agricoles à responsabilité limitée et aux sociétés d’exercice libéral à responsabilité limitée.

S’il paraît légitime d’inciter les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée à adhérer à un organisme de gestion agréé, le présent article va bien au-delà, en élargissant le périmètre des entreprises concernées.

Nous souhaitons interpeller la majorité, pour la placer devant ses responsabilités et les contradictions de son discours : elle prône le retour à une certaine orthodoxie budgétaire tout en étendant le bénéfice d’avantages fiscaux qui creusent le déficit.

En l’occurrence, nous proposons donc de revenir au délai de droit commun, qui est de trois ans.

[...]

M. le président. L'amendement n° 20, présenté par MM. Yung, Bérit-Débat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéas 2, 3, 9 et 10

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. L’article 4 traite d’une clause dite curieusement « anti-abus ». Une telle clause empêcherait l’entrepreneur de se soustraire au paiement de ses cotisations sociales. Or le projet de loi, de façon assez incompréhensible, « autorise » dans une certaine mesure l’évasion sociale, puisque la fraude est « tolérée » dans la limite de 10 % de la valeur du patrimoine affecté ou du bénéfice net.

Autrement dit, il s’agit d’approuver par la loi une possibilité d’échapper au paiement des cotisations sociales. Bien entendu, les entrepreneurs « initiés » ne manqueront pas de s’en saisir en créant plusieurs patrimoines d’affectation pour collectionner les exonérations.

Les chiffres publiés vendredi dernier par le ministère du budget indiquant que le déficit du régime général de la sécurité sociale dépasse 20 milliards d’euros, nous ne saurions nous satisfaire de la création d’une nouvelle niche sociale.

Tout au long des débats à l’Assemblée nationale, M. le secrétaire d’État et les membres du groupe UMP ont soutenu que la cause de l’échec de l’EURL résidait dans la difficulté, pour l’entrepreneur, de créer une société, autrement dit une personne morale distincte de sa propre personne. Il faut donc aller jusqu’au bout de la logique : l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée n’étant pas l’associé d’une société, il ne peut se rémunérer par des dividendes.

[...]

M. le président. L'amendement n° 21, présenté par MM. Yung, Bérit-Débat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Alinéas 1 et 2

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. L’article 5 vise à habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance.

L’Assemblée nationale avait étendu le champ de l’habilitation aux dispositions d’harmonisation nécessaires en ce qui concerne les règles liées au surendettement des particuliers, ainsi que le régime du PACS et des concubins s’agissant du droit des régimes matrimoniaux.

Même si les régimes matrimoniaux et le droit des successions ont été exclus du champ de l’habilitation, ce dernier demeure excessivement large. Nous n’aimons pas les ordonnances. L’article 5 tend à dessaisir le Parlement de ses prérogatives essentielles. Travaillant dans l’urgence, nous n’avons pas le temps de l’étudier sérieusement.

Je rappelle que le Conseil constitutionnel exige que le Gouvernement indique « avec précision au Parlement, lors du dépôt d’un projet de loi d’habilitation et pour la justification de la demande présentée par lui, quelle est la finalité des mesures qu’il se propose de prendre ».

Telles sont les raisons pour lesquelles nous présentons cet amendement de suppression.

[...]

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 5 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

L'amendement n° 22 est présenté par MM. Yung, Bérit-Débat et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

[...]

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l'amendement n° 22.

M. Richard Yung. Nous sommes bien sûr favorables à un accroissement du rôle d’OSEO dans le financement et le cautionnement des petites et très petites entreprises, même si, selon nous, les banques commerciales devraient aussi prendre leur part du fardeau du financement de l’économie, ce qui pour l’heure n’est pas le cas.

Le projet de loi de régulation bancaire et financière déposé en décembre dernier à l’Assemblée nationale prévoyait la réforme d’OSEO, avec la fusion des trois sociétés actuelles, OSEO Financement, OSEO Garantie et OSEO Innovation, en une société anonyme unique.

Ce projet de loi, dont l’exposé des motifs précise qu’il « met en œuvre de premières décisions de la communauté internationale pour renforcer la régulation du secteur financier », n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour, alors que le Gouvernement ne cesse d’invoquer la nécessité de réguler à nouveau les marchés financiers. Ce n’est donc pas réellement une priorité !

Sur la forme, cet article est un cavalier législatif. L’Assemblée nationale ne l’aura pas examiné et les députés le découvriront lors de la CMP. La commission des finances du Sénat n’en a pas discuté non plus.

Sur le fond, nous ne sommes pas nécessairement opposés à cette réforme, mais nous voudrions pouvoir en débattre de manière approfondie, car deux problèmes au moins se posent : quelle part du capital de la nouvelle société anonyme unique sera réservée à l’actionnaire public ? Cette part ne se réduira-t-elle pas à l’avenir, lors des augmentations de capital, au profit de banques et d’acteurs privés ?

En outre, l’établissement OSEO avait absorbé l’ANVAR, l’Agence nationale de valorisation de la recherche, chargée d’encourager l’innovation et son exportation : qu’adviendra-il de cette partie importante des activités d’OSEO ?

Sur ces différentes questions, le rapport de la commission saisie au fond est très laconique et ne donne guère d’explications.

Telles sont les principales motivations de notre demande de suppression de ce cavalier d’origine parlementaire, d’ailleurs sans doute commandé…

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Je voudrais souligner que nous avons abordé ce débat dans un état d’esprit constructif. En effet, nous partageons l’idée qu’il faut encourager l’entreprise individuelle en France et, dans cette perspective, la création du patrimoine d’affectation est une bonne chose.

Cependant, je suis de ceux qui pensent que le vrai problème n’est pas tant d’encourager la création d’entreprise, qui est déjà importante dans notre pays, que de trouver des moyens d’accompagner leur croissance.

Cela étant, nous sommes réticents devant l’empilement des statuts : on en dénombre désormais cinq ou six pour les très petites entreprises. Cela crée une certaine confusion, et je suis persuadé que nombre de créateurs d’entreprise peinent à s’y retrouver.

Nous avons présenté un certain nombre d’amendements portant sur des questions importantes, par exemple celle des patrimoines affectés multiples. Nous avons formulé des critiques sur la création de nouvelles niches fiscales et sociales, alors même que le Gouvernement, en particulier cet après-midi par la voix du Premier ministre, a annoncé vouloir les réduire. Enfin, nous avons dénoncé l’insertion dans le texte d’un certain nombre de cavaliers, le plus important d’entre eux concernant OSEO.

Toutes ces raisons nous amènent à voter contre ce texte tel qu’il est issu de nos travaux – à regret, je dois l’avouer.

[...]

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 177 :

Nombre de votants 335
Nombre de suffrages exprimés 297
Majorité absolue des suffrages exprimés 149
Pour l’adoption 158
Contre 139

Le Sénat a adopté.