Le 9 mars, le Sénat a examiné, en nouvelle lecture, le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises.

À l’issue de la discussion générale, l’un des trois rapporteurs du texte, Jean-François Husson, a présenté une motion tendant à opposer la question préalable, prétextant que « le sujet des privatisations constitue le principal obstacle à la poursuite d’un échange utile et fructueux entre les assemblées ».

Au nom du groupe La République En Marche, je me suis exprimé contre cette motion. J’ai notamment dénoncé la posture politicienne adoptée par la majorité conservatrice du Sénat.

L’adoption de la motion (191 voix pour et 50 voix contre) a entraîné le rejet du projet de loi, qui sera adopté définitivement par l’Assemblée nationale le 11 avril.

Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu de mon intervention et voir la vidéo en cliquant ici.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, contre la motion.

M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la majorité de droite de notre assemblée a choisi de déposer une motion tendant à opposer la question préalable au texte adopté en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale.

Selon les termes de cette motion, le texte ne permettrait pas « d’aller plus loin dans la recherche de compromis et de dispositifs plus équilibrés entre les deux assemblées sur les différents volets du texte ». En fait, vous cherchez à imposer vos vues à l’Assemblée nationale, en particulier sur la question de la privatisation d’ADP.

Vous cherchez un prétexte pour rejeter ce texte, afin de pouvoir mener campagne contre celui-ci, une fois qu’il sera adopté et la loi promulguée. C’est dommage, car la recherche du compromis est l’essence même du débat parlementaire, d’autant que le groupe Les Républicains s’est fixé « comme objectif de garantir l’équilibre des pouvoirs en se gardant de toute opposition caricaturale ». C’est écrit noir sur blanc dans la déclaration politique publiée sur le site internet du Sénat ! Je vous laisse juge de vos écrits, chers collègues. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Encore une fois, avec le vote de cette motion, le Sénat sortira de la scène et ne sera pas un acteur législatif actif. Après cela, étonnez-vous que la suppression du Sénat soit l’une des premières revendications du moment ! (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. Daniel Laurent. N’importe quoi !

M. Jean-Pierre Grand. Ces propos sont honteux dans notre assemblée !

M. Pascal Savoldelli. Ce n’est pas acceptable ! Qu’est-ce que c’est que ce chantage ?

M. Richard Yung. Chers collègues, ce n’est pas du chantage, c’est la vérité ! (Mêmes mouvements.)

Mme Éliane Assassi. Si, c’est du chantage !

M. le président. Mes chers collègues, la parole est à Richard Yung, et à lui seul.

M. Richard Yung. Madame, messieurs les rapporteurs, dans l’exposé des motifs de votre motion, vous expliquez que le projet de loi « devait favoriser la croissance et la transformation des entreprises ». L’utilisation de l’imparfait traduit le refus de la majorité sénatoriale de reconnaître que la loi Pacte est un bon texte.

M. Jean-François Husson, rapporteur. C’est faux ! Il suffisait de nous écouter !

M. Richard Yung. Cette loi permettra aux entreprises de grandir, d’embaucher et d’innover. Cette loi facilitera l’accès des entreprises à des financements diversifiés. Cette loi aidera les entrepreneurs à rebondir. Enfin, cette loi est importante sur le plan social avec, par exemple, la protection des conjoints collaborateurs, le développement de l’actionnariat salarié, le développement de l’épargne salariale et la suppression du forfait social dans les entreprises de moins de cinquante salariés.

Si la loi Pacte est une bonne loi, c’est aussi parce que le Sénat a permis d’obtenir plusieurs avancées qui ont été maintenues par l’Assemblée nationale. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme Éliane Assassi. Le Sénat est donc bien utile ?

M. Richard Yung. Réjouissez-vous, mes chers collègues !

M. Jean-François Husson, rapporteur. Cessez les paraboles !

M. Richard Yung. Au lieu de s’en réjouir et de reconnaître que le texte soumis à notre examen est équilibré, les auteurs de la question préalable continuent de faire des privatisations la pomme de discorde entre les deux chambres.

M. Jean-François Husson, rapporteur. Il n’y a pas que cela !

M. Richard Yung. Cet argument est d’autant moins recevable qu’il émane de parlementaires qui, en 2017, ont soutenu un candidat à l’élection présidentielle, qui plaidait pour la reprise des privatisations.

M. Jean-François Husson, rapporteur. Il ne s’agit pas forcément des mêmes !

M. Richard Yung. Cet argument n’a pas non plus de sens au regard des garanties supplémentaires qui ont été apportées en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et le Gouvernement. J’en ai dénombré au moins treize, mais je n’en citerai que quatre.

Tout d’abord, le texte prévoit la possibilité pour l’État de révoquer les dirigeants d’ADP chargés des principales missions opérationnelles, en cas de manquement d’une particulière gravité à leurs obligations.

Ensuite, il y aura une évaluation tous les dix ans, et non au bout de trente-cinq ans, des dispositions du cahier des charges et de leur mise en œuvre.

En outre, le Gouvernement est habilité à conférer à l’Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires le statut d’autorité administrative indépendante, dont elle ne dispose pas aujourd’hui.

Enfin, le projet de loi prévoit la possibilité, pour les collectivités territoriales, de déléguer à leur exécutif le droit de prendre des participations au capital d’ADP.

L’avenir montrera que ces mesures sont fondées et permettront d’aller de l’avant.

Non, la privatisation d’ADP ne porte pas atteinte à la souveraineté de l’État ! Ce dernier conservera ses missions régaliennes, dont la police aux frontières, le contrôle des douanes, l’autorité de la Direction générale de l’aviation civile.

Non, il n’y a pas de monopole naturel pour les aéroports franciliens.

Non, la privatisation d’ADP ne reproduira pas les mauvaises pratiques de la privatisation de la gestion des autoroutes, qui a été engagée, il y a quelques années, par la droite. L’existence d’un cahier des charges et d’un contrat de régulation économique rendra impossible la conclusion d’accords secrets préjudiciables aux usagers, comme celui qui a été signé en 2015 par le gouvernement Valls et qui accorde la neutralité fiscale aux concessionnaires d’autoroutes.

Non, la privatisation d’ADP ne devrait pas entraîner de hausse des tarifs des redevances, en dehors de ce qui est prévu.

Pour ce qui concerne la privatisation de la Française des jeux, le dispositif soumis à notre examen rend inopérantes les critiques exprimées en première lecture par la majorité sénatoriale.

Outre le maintien des mesures relatives à la réforme de la fiscalité des jeux d’argent et de hasard – au fond, la Française des jeux est essentiellement une machine à générer du « cash fiscal » –, les députés ont précisé l’habilitation du Gouvernement à refondre la régulation du secteur. La qualité d’autorité de supervision sera ainsi attribuée à la future autorité de régulation unique. Il s’agira d’un grand progrès en matière de contrôle du secteur.

Par ailleurs, je note avec satisfaction que treize articles additionnels issus des travaux du Sénat figurent parmi les quatre-vingt-dix-neuf articles qui ont déjà été adoptés conformes. Plusieurs d’entre eux concernent la modernisation du réseau des chambres de commerce et d’industrie.

Je me réjouis également de constater que d’autres dispositions sénatoriales sont quasi-conformes, comme la possibilité pour un cédant d’entreprise de proposer un tutorat bénévole au repreneur, l’interdiction du démarchage, de la publicité en ligne, du parrainage et du mécénat pour les offres sur actifs numériques non régulées – cela concerne les bitcoins, par exemple –, ou encore la clarification et l’harmonisation des règles de prescription applicables aux actions en contrefaçon.

Il faut également se féliciter que le Sénat ait été suivi par l’Assemblée nationale s’agissant de l’assurance-vie. Le dispositif relatif à la transférabilité des contrats sans conséquence fiscale apparaît tout à fait satisfaisant. De plus, grâce au Sénat, les assureurs auront l’obligation de présenter des unités de compte orientées vers des fonds labellisés « ISR», c’est-à-dire « verts» et « solidaires». Il s’agit, là encore, d’un grand progrès social.

Par ailleurs, il importe de rappeler que l’Assemblée nationale a confirmé la suppression de douze articles. Je tiens toutefois à souligner que plusieurs de ces dispositions, dont certaines avaient été introduites par le Sénat, étaient discutables.

Plusieurs d’entre elles constituaient un mauvais message envoyé aux salariés et aux organisations syndicales : je pense notamment au relèvement de cinquante à cent salariés des seuils fixés dans le code du travail, ainsi qu’au relèvement de deux cents à deux cent cinquante salariés du seuil pour l’obligation de mise à disposition d’un local syndical. À mon sens, il s’agissait d’une mesure tout à fait vexatoire et inutile.

Je me réjouis aussi que l’Assemblée nationale ait rétabli les mesures de progrès qui avaient été supprimées par la majorité sénatoriale,…

M. Jean-François Husson, rapporteur. Comment cela ? Non !

M. Richard Yung. … en particulier la possibilité pour les sociétés de se doter d’une « raison d’être », c’est-à-dire d’ajouter un objectif de nature sociale, culturelle ou associative dans leur statut.

Mes chers collègues, les remarques que je viens de formuler montrent que ce texte est un bon compromis, contrairement à ce que j’ai entendu. Le groupe La République En Marche souhaite que notre assemblée l’adopte conforme, en vue d’envoyer un signal fort en direction des entreprises et de leurs salariés.

C’est pourquoi nous voterons contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)