Le 25 mars 2010, je suis intervenu en séance lors de la discussion de la proposition de loi du groupe socialiste sur l'adoption par les partenaires liés par un pacte civil de solidarité, proposition qui a malheureusement été rejetée.

Vous trouverez ci-dessous mon intervention. Vous pouvez aussi lire l'intégralité des débats en cliquant ici et un article du Nouvel Observateur sur ce débat en cliquant là.

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi avant toute chose de saluer l’initiative de notre excellent collègue Jean-Pierre Michel, qui cherche à faire progresser en priorité les droits des enfants adoptés et ceux des personnes liées par un PACS. Il s’agit pour lui d’un engagement fort depuis longtemps. Vous connaissez d’ailleurs le rôle important qu’il a pu jouer lors de l’examen du texte qui est devenu la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité.

Cette loi de 1999 s’inscrit dans la lignée des grandes réformes ayant fait progresser les libertés individuelles comme celle portant abolition de la peine de mort ou celle qui est relative à l’interruption volontaire de la grossesse. Dix ans après son adoption, les mentalités des Français ont beaucoup évolué. À droite comme à gauche, les craintes se sont estompées et le PACS est devenu naturel dans notre paysage juridique. Espérons que l’on observera une évolution comparable au sein de notre Haute Assemblée, qui est réputée – c’est certainement légitime – pour sa sagesse.

En tout cas, je suis optimiste. En effet, au cours des dix dernières années, nous avons beaucoup progressé en matière de droits des partenaires liés par un PACS. Citons, par exemple, l’exonération des droits de mutation par décès, l’abattement en matière de droits de mutation à titre gratuit entre vifs, l’imposition commune ou l’extension du bénéfice du capital décès au partenaire lié à un fonctionnaire par un PACS. Je rappelle également que les partenariats civils étrangers sont désormais reconnus en France.

En même temps que le PACS se généralisait – 150 000 sont signés chaque année –, il changeait de nature. En effet, contrairement à l’une des idées d’origine, 85 % des PACS concernent des couples hétérosexuels. Il n’est donc plus seulement patrimonial, madame le rapporteur. Après dix années de pratique, on s’aperçoit qu’il est devenu une nouvelle forme de structure familiale.

Vous rejetez le texte, car vous considérez qu’il ferait du PACS un concurrent du mariage.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas ce qu’elle a dit !

M. Richard Yung. Je le répète, 85 % des PACS concernent des couples hétérosexuels.

Disons les choses clairement : vous craignez surtout qu’il n’officialise de manière indirecte l’homoparentalité.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur, et M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Richard Yung. C’est du moins mon ressenti.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est plutôt une affirmation !

M. Richard Yung. Non, monsieur le président Hyest !

Or ce texte vise essentiellement à reconnaître un état de fait que vous refusez d’admettre. Jean-Pierre Michel, pour sa part, prend acte de cette réalité en proposant une simple adaptation de notre droit à l’évolution de la société. L’homoparentalité est un fait indéniable : beaucoup d’enfants dans le monde ont été, sont et seront élevés par deux parents de même sexe. Ils ne sont, semble-t-il, ni plus malheureux ni moins heureux que les enfants de couples hétérosexuels. De nombreuses études, que je ne vais pas citer maintenant, le démontrent.

On parle beaucoup des droits légitimes des enfants. Naturellement, nous avons tous cela présent à l’esprit, mais qui les définit ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’un paravent facile pour refuser tout progrès de la législation ?

L’objectif de la présente proposition de loi est de répondre au retard de notre code civil sur la question de l’adoption. Ce dernier dispose en effet que l’adoption est ouverte aux « époux non séparés de corps, mariés depuis plus de deux ans ou âgés l’un et l’autre de plus de vingt-huit ans » ainsi qu’à « toute personne âgée de plus de vingt-huit ans ».

Ainsi, une personne célibataire peut adopter. Comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme, puis le tribunal administratif de Besançon le 10 octobre 2009, aucune discrimination ne peut être faite sur le fondement de l’orientation sexuelle, puisque cet élément est une composante de la vie privée. L’agrément, véritable sésame afin de pouvoir par la suite adopter, peut donc être accordé à une personne célibataire qu’elle soit ou non homosexuelle.

À l’inverse, deux personnes ayant contracté un PACS, hétérosexuelles ou homosexuelles, ne peuvent adopter conjointement. Leur seule possibilité est que l’un des partenaires adopte en France ou à l’étranger. L’autre partenaire ne peut alors établir de lien avec l’enfant que par un ensemble de dispositifs juridiques, qui sont d’ailleurs énumérés dans le rapport : la délégation volontaire, le partage de l’exercice de l’autorité parentale et la tutelle testamentaire.

Ces outils juridiques, aussi nécessaires soient-ils, n’en restent pas moins insuffisants. Ils ne sauraient satisfaire les couples pacsés qui désirent fonder une famille dans le cadre de laquelle les deux parents ont les mêmes liens avec l’enfant. De plus, ils n’interviennent qu’après décision du juge, c’est-à-dire a posteriori, après l’arrivée de l’enfant et à l’issue de délais, qui peuvent être très longs.

Sachez que l’on nous oppose souvent ce type d’argumentation. Lorsque nous plaidons pour l’action de groupe, par exemple, on nous rétorque que les outils juridiques existants permettent déjà de lutter contre les délits en matière de droit de la consommation. En réalité, cela ne marche pas.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Comparer le droit de la consommation et le droit civil, c’est osé !

M. Richard Yung. Je parle du principe, monsieur le président Hyest. C’est agiter le drapeau rouge pour mieux cacher le drapeau rouge, comme on disait quand j’étais jeune. (Sourires.)

La sécurité juridique est donc faible, notamment pour l’enfant. Or c’est justement sur ce point – la sécurité affective et juridique de l’enfant – que vous centrez votre raisonnement, madame le rapporteur, pour rejeter cette proposition de loi. Pourtant, je le rappelle, l’homoparentalité est un fait. De nombreux enfants sont précisément dans cette situation d’insécurité du fait d’une lacune de notre droit. Votre raisonnement pourrait donc s’inverser.

La situation d’un enfant vivant dans une famille homoparentale n’est pas prévue par le code civil. Il convient donc de combler ce vide.

À lire votre rapport, seul le mariage permettrait un environnement sécurisé. Cette institution serait le gage d’une incommensurable stabilité pour le couple et, par conséquent, d’une sécurité affective pour l’enfant. Cette image du mariage est un peu désuète et en décalage avec la réalité. Entre l’époque où nous avions vingt ans et aujourd’hui, les temps ont changé. Désormais, beaucoup de couples ont des enfants et fondent une famille hors mariage.

En outre, la stabilité offerte par le mariage n’est pas immuable. Ainsi, en région parisienne, près de la moitié des couples finissent par divorcer. Dans le même temps, plus d’un quart des dissolutions de PACS débouchent sur un mariage.

Le PACS est plus souple que le mariage et plus protecteur que le concubinage. On parle ainsi d’un troisième mode de conjugalité. Il ne s’agit donc pas seulement d’un simple contrat patrimonial.

Dans ces conditions, il me semble que le PACS peut, à juste titre, ouvrir droit à l’adoption. Mais, de toute façon, dans la mesure où l’adoption est permise aux célibataires, l’argument selon lequel une famille doit être issue d’un mariage ne peut plus être invoqué.

Le mariage offre, je vous l’accorde, une garantie par rapport au PACS : le divorce. En effet, celui-ci implique l’intervention du juge aux affaires familiales, qui statue sur la situation de l’enfant au nom de son intérêt supérieur. Cette garantie devrait donc être accordée dans le cadre d’une adoption par des partenaires liés par un PACS. C’est le sens de l’amendement que Jean-Pierre Michel présentera tout à l’heure.

La Haute Assemblée a déjà permis aux personnes pacsées d’obtenir de nouveaux droits. Il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin. Suivons l’évolution de la société. C’est pour cette raison que je vous propose, mes chers collègues, d’adopter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)