J’ai appris en début de semaine que le Tribunal de grande instance d’Agen a accepté la modification de la mention du sexe dans l’acte de naissance d’une personne transgenre, née de sexe masculin, sans que cette dernière n’ait à justifier d’une intervention chirurgicale.

En l’occurrence, la personne souhaitait se voir reconnaitre un état civil en adéquation avec son identité de genre et son image sociale sans pour autant renoncer à l’intégralité de son corps. Je salue la sagesse des juges qui ont répondu positivement à cette demande légitime. Au demeurant, cette décision ne devrait en théorie pas surprendre. Depuis la circulaire du 14 mai 2010, les juridictions saisies par une demande de modification d’état civil sont incitées à donner un avis favorable à cette demande « sans exiger l’ablation des organes génitaux ».

Pourtant, les principes posés par cette circulaire ne sont qu’aléatoirement respectés par les juridictions dont les décisions dépendent bien plus souvent de la bonne volonté du juge local et de sa sensibilité à cette question que du bienfondé de la demande. Notre République ne saurait tolérer une telle inégalité de traitement. Les libertés et les droits attachés à la personne humaine, y compris le droit au respect et à la reconnaissance de son identité de genre, doivent être garantis de manière uniforme sur l’ensemble du territoire. C’est la raison pour laquelle je souhaite que le législateur intervienne pour fixer dans la loi les conditions d’un changement d’état civil des personnes transgenres.

Dans cette optique, je participe au Sénat au groupe de travail sur l’identité de genre, animé par ma collègue Maryvonne Blondin et soutenu par la Ministre des droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem, dont l’objectif est d’élaborer une proposition de loi sur ce sujet. Notre travail s’appuie notamment sur la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par Michèle Delaunay en décembre 2011. Les auditions que nous avons déjà débutées nous ont convaincu de la nécessité de réformer la procédure de changement d’état

Alors que la Chancellerie a reconnu en mars 2010 que « le principe du respect dû à la vie privée justifie que l’état civil indique le sexe dont la personne a l’apparence », la reconnaissance officielle de cette identité de genre souffre d’une judiciarisation injustifiée de la procédure de changement d’état civil. Aujourd’hui, les délais de jugement peuvent atteindre 8 ans, provoquant une détresse et un découragement profond chez les personnes transgenres. Ces dernières déboursent en outre des frais de justice très élevés sans avoir la certitude que leur demande aboutisse, faute d’homogénéité des règles appliquées par les juges. L’incompréhension des personnes transgenres devant ce parcours du combattant pour obtenir le changement d’une simple lettre sur leur état civil est d’autant plus grande qu’elles vivent au jour le jour une identité que leur environnement social leur reconnait déjà.

Surtout, la procédure doit être humanisée. L’obligation de subir une intervention chirurgicale de réassignation sexuelle doit être définitivement rayée des critères de changement d’état civil. Cette mutilation imposée constitue une atteinte intolérable à l’intégrité corporelle des personnes transgenres. Mais il faut aller plus loin et rejoindre la Suisse, l’Allemagne et depuis quelques jours la Suède, en renonçant aux pratiques tout aussi barbares d’hormonothérapie et stérilisation forcée qui privent les personnes transgenres de la libre disposition de leur corps et de leur droit à la parentalité. Qu’elle soit de nature chirurgicale ou hormonale, toute opération forcée est une violation du corps des personnes transgenres. C’est pourquoi la démarche juridique doit être complètement dissociée du parcours de soins de la personne requérante. Le suivi psychiatrique ne saurait également être un préalable au changement d’état civil – notons d’ailleurs qu’en 2010 la transsexualité a été déclassifiée des affections psychiatriques de longue durée – qui doit reposer avant tout sur l’autodiagnostic et le vécu identitaire et social des personnes transgenres.

Fort de ces principes, qui, du reste, correspondent aux standards internationaux (ONU) et européens (Conseil de l’Europe) en la matière, la proposition de loi que nous déposerons devra prévoir un changement d’état civil libre et simplifié pour les personnes transgenres.

(voir aussi l'article du Point: Transsexuels : vers une reconnaissance de l'identité de genre ?)