Le Bulletin Quotidien, mardi 5 mai 2020

Six jours après avoir dévoilé à l'Assemblée nationale la stratégie de déconfinement, le Premier ministre Edouard PHILIPPE a livré hier au Sénat un discours plus politique. Il ne s'agissait plus de détailler l'ensemble de la stratégie qui sera mise en œuvre dans six jours, mais de la justifier face aux oppositions, majoritaires au Palais du Luxembourg, et surtout de répondre aux inquiétudes des élus locaux, invités à la décliner sur le terrain, devant la chambre représentative des collectivités territoriales.

« Nous sommes à un moment critique », a développé dans une longue anaphore introductive le Premier ministre, évoquant tout à la fois la situation inédite en France comme dans le reste du monde où la crise sanitaire « déboussole » jusqu’aux grandes puissances, les inconnues qui ont accompagné la propagation du virus ainsi que celles sur « l’été, l’automne et l’avenir ». « Le confinement se justifiait par l’urgence », mais « nous ne pouvons pas rester confinés », a estimé

M. PHILIPPE, mettant davantage en exergue « le coût social, humain (…) colossal», que les effets économiques tout aussi importants et la menace d’écroulement brandie la semaine passée.

« Le confinement déchire le tissu social », a-t-il souligné, en rappelant les « filets de sécurité » décidés par le gouvernement et en annonçant une nouvelle aide de 200 euros qui sera versée en juin à 800 000 personnes : les étudiants ayant perdu leur travail ou leur stage ainsi que les étudiants ultramarins isolés qui n’ont pas pu rentrer chez eux (plus loin, il a précisé que le gouvernement profiterait « du déconfinement pour organiser le retour chez eux des étudiants ultramarins qui en ont exprimé le souhait dans le recensement qui vient de s’achever ») et les « jeunes de moins de 25 ans, précaires ou modestes, qui touchent les aides pour les logements ». L’ensemble des mesures prises pour faire face aux conséquences économiques de la crise économique ont constitué « un effort considérable pour les finances publiques mais nous sommes fiers que notre pays puisse les consentir ».

Le Premier ministre a ensuite rappelé les principes directeurs du déconfinement. La progressivité d’abord, avec des marches de trois semaines qui n’excluent ni la possibilité d’y demeurer plus longtemps ni d’en redescendre (l’objectif étant que les services de réanimation n’aient pas à accueillir au-delà de leurs capacités). La territorialité, incarnée par la carte des départements : quotidiennement actualisée, elle a vocation à devenir bicolore d’ici jeudi avec uniquement des départements rouges ou verts. Enfin, la surveillance de la propagation du coronavirus, à travers le triptyque maintes fois répété : « protéger, tester et isoler ». Pour protéger, les gestes barrière que sont la distanciation physique et le lavage régulier des mains « restent l’alpha et l’oméga », en parallèle du port du masque, recommandé voire obligatoire, selon les lieux.

Le Premier ministre a ici voulu répondre au « malentendu » qui a « échauffé quelques esprits peut-être en mal de polémique » sur les volumes de masques promis à la vente par la grande distribution. « Je peine à comprendre l’intérêt de la grande distribution à cacher masques en période de confinement », a-t-il ironisé, avant de rappeler à « tous ceux qui pensent qu’il suffit de commander des masques pour les obtenir, (avoir)un long historique qui prouve le contraire ».

Les tests virologiques, constitueront ensuite « le fer de lance de notre stratégie », et seront suivis de deux autres étapes : le traçage par la médecine de ville et les brigades sanitaires (si des clusters apparaissaient, il appartiendrait alors aux ARS et préfets de les gérer, a-t-il indiqué) et éventuellement l’isolement, à domicile ou dans des lieux d’hébergement collectifs dédiés, identifiés par les préfets. Plus tard au cours du débat, M. PHILIPPE a indiqué craindre davantage le manque de « bras » pour analyser les tests et remonter les « chaînes de contamination » que de tests en eux-mêmes.

Au risque de brouiller le message de son Premier ministre, le président de la République Emmanuel MACRON a tenu à « rassurer nos concitoyens » en précisant, au même moment, que les « derniers détails » sur le déconfinement seront annoncés jeudi par le gouvernement. « Nous organisons tout d’ici là (...). Et on fera les choses en bon ordre partout sur notre territoire », a-t-il promis

Incitation à la reprise éducative et économique

M. PHILIPPE a ensuite enjoint à la reprise tant des écoles, que du travail et donc des transports publics.

Rappelant le calendrier déjà égrené la semaine passée (reprise le 11 mai partout et sur la base du volontariat des crèches, écoles maternelles et primaires ; reprises le 18 mai dans les départements verts du collège, où le masque sera obligatoire uniquement lorsque la distanciation physique ne sera pas possible, en commençant par les 6e et 5e, décision à la fin du mois d’une reprise au 2 juin pour les lycéens), il a estimé que « là où la rentrée peut avoir lieu, elle doit avoir lieu », en particulier pour ceux des enfants qui en ont le plus besoin, et invité au « discernement de chacun » pour les identifier. Cinq mois de décrochage scolaire, pour des dizaines de milliers de jeunes, c’est probablement une bombe à retardement », a-t-il prévenu, faisant de « la réouverture des écoles (…) une priorité, sociale et républicaine, qu’il faut évidemment concilier avec nos impératifs sanitaires ».

« La vie économique doit reprendre impérativement et rapidement, avec des aménagements, avec de la bonne volonté », a poursuivi M. Edouard PHILIPPE. Il a incité les entreprises à poursuivre le recours au télétravail, ou à défaut à l’étalement des horaires, tant pour respecter la distanciation physique dans les lieux de travail que pour éviter le recours aux transports en commun

Le télétravail concerne 5 millions de Français, a indiqué la ministre du Travail Muriel PÉNICAUD, qui a précisé hier « raisonnable de dire » que l’on va avoir un télétravail massif jusqu’à l’été.

Le Premier ministre a sèchement répondu aux inquiétudes exprimées par des opérateurs, souvent publics, de transports urbains dont il a dit avoir pris connaissance ce dimanche par voie de presse, les renvoyant à l’éthique de responsabilité. La RATP, la SNCF, Keolis et Transdev ont prévenu qu’ils n’étaient pas en mesure d’assurer la distanciation physique sans une « limitation drastique des flux en amont » à un maximum de 10 % à 20 % de la capacité des véhicules. Leur répondant, la ministre de la Transition écologique et solidaire Elisabeth BORNE a évoqué l’hypothèse de fermetures de « certaines stations, certaines correspondances pour pouvoir s’assurer que le flux d’entrées dans les transports en commun est bien maîtrisé ». Elle a toutefois prévenu que ce sera aux entreprises de faire respecter cette distanciation, « avec des renforts de la sécurité civile, des polices municipales et avec le soutien des forces de l’ordre », et confirmé que le défaut de port de masque sera puni d’une amende de 135 euros.

Le Premier ministre a aussi mis en avant la nécessité de « continuer à accompagner les entreprises en difficulté » : le dispositif d’activité partielle dont bénéficient 11,7 millions de salariés dans 911 000 entreprises « restera en vigueur jusqu’au 1er juin », puis sera adapté « progressivement ».

À cet égard, la ministre du Travail, Mme Muriel PÉNICAUD, a précisé hier sur BFMTV que le chômage partiel restera pris en charge « à taux plein » après le 1er juin dans « tout ce qui est hôtellerie, restauration, bars, événementiel, une bonne partie du secteur culturel... ». Ainsi, « tous les secteurs qui ne peuvent pas opérer par décision administrative continueront à pouvoir bénéficier du chômage partiel pour leurs salariés à taux plein », a-t-elle déclaré. Le taux sera en revanche bien réduit pour les autres entreprises, qui devront assumer « une petite partie » des salaires de leurs employés qui resteront en chômage partiel. « On est en train de discuter de proportions, mais qui seront raisonnables », a-t-elle assuré.

Le fonds de solidarité sera prolongé « jusqu’à la fin du mois de mai » et « même renforcé pour les TPE qui ont fait l’objet de mesures de fermeture administrative », a également précisé le chef du gouvernement. « Tous les commerces qui ont été fermés » auront accès au « deuxième étage de ce fonds qui donne droit à une subvention pouvant aller jusqu’à 5 000 euros », a-t-il précisé, et ce « y compris s’ils n’ont pas de salariés, ce qui est souvent le cas pour un coiffeur, un fleuriste ou un libraire ». « Les reports de charges fiscales et sociales resteront autorisés jusqu’à fin mai », a ajouté

M. PHILIPPE, indiquant que le gouvernement était prêt à « convertir ces reports en exonérations définitives de charges, non seulement pour les entreprises du secteur de la restauration et du tourisme, mais aussi pour toutes les TPE ayant fait l’objet de mesures de fermeture ». « Ce sont des mesures exceptionnelles qui témoignent de notre détermination à soutenir toutes nos entreprises pour qu’elles puissent repartir le plus vite et le mieux possible », a-t-il souligné.

Les reports de paiement de charges sociales accordés aux entreprises en difficulté du fait de la crise s’élèvent à 17 milliards d’euros depuis le 15 mars, a indiqué hier le ministre de l’Action et des comptes publics Gérald DARMANIN, qui a confirmé le maintien de ce dispositif en mai. Le bilan provisoire de 17 milliards d’euros concerne les charges sociales des régimes général, agricole et Agirc-Arcco. La nouvelle possibilité de report concernera « 220 000 employeurs de plus de 50 salariés et 1,5 million d’établissements de moins de 50 salariés en paiement mensuel », a précisé le ministère. Ces reports sont automatiques pour les plus d’un million d’indépendants mensualisés et les 500 000 qui payent leurs cotisations sur une base trimestrielle, même si « les travailleurs indépendants qui le peuvent sont appelés à régler les cotisations dues par virement », indique le ministère.

Annulations de charges patronales pour les petits commerces

Franchissant une étape supplémentaire, M. DARMANIN devrait prochainement détailler les modalités des annulations de charges patronales dues par les petits commerces, selon « Les Échos ». Cette décision concernerait toutes les entreprises de moins de 10 salariés frappés par une décision de fermeture administrative pendant le confinement décrété jusqu’au 11 mai. Leurs échéances pour mars, avril et mai seraient supprimées. Jusqu’à présent, seuls les secteurs de la restauration, du tourisme ou de la culture avaient été évoqués pour ces annulations, pour un montant limité à environ 750 millions d’euros qui va donc être nettement revu à la hausse. Pour donner un ordre de grandeur, le montant des cotisations dues en mars par le commerce non-alimentaire s’élevait à 2,3 milliards d’euros, détaille le quotidien.

Adaptation en Outre-mer, réexamen de la reprise de la vie cultuelle et annonces prochaine pour la culture

Concernant l’Outre-mer, « la principale adaptation de la stratégie nationale porte sur le maintien des interdictions d’arrivée dans ces territoires au-delà du 11 mai ». « Seules les personnes ayant des motifs familiaux ou professionnels impérieux ou une obligation de santé pourront se rendre Outre-mer » et elles « demeureront soumises à l’obligation de quatorzaine », a-t-il rappelé. Un réexamen de ces mesures qu’il a reconnues « très contraignantes » est prévu « début juin ». La situation est singulière à Mayotte, où « le virus circule activement » désormais. « La prolongation du confinement est l’unique manière d’éviter la saturation d’un système hospitalier déjà très sollicité par l’épidémie de dengue, elle aussi mortelle pour les Mahorais », a-t-il souligné, tout en prévoyant qu’un « point » serait fait le 14 mai « pour envisager l’assouplissement du confinement et en particulier le retour à l’école primaire le 18 mai ».

Le Premier ministre s’est ensuite attaché à « trois emblèmes » : la vie culturelle, la vie cultuelle et les élections municipales. Reconnaissant qu’il y a « urgence pour la culture », il a rappelé que le président de la République annoncera demain de nouvelles décisions. Concernant la vie cultuelle, il a rappelé la date du 2 juin annoncée pour la reprise des cérémonies. Conscient néanmoins « que la période du 29 mai au 1er juin correspond, pour plusieurs cultes, à des fêtes ou à des étapes importantes du calendrier religieux », il a entrouvert une porte : « si la situation sanitaire ne se dégrade pas au cours des premières semaines de levée du confinement, le gouvernement est prêt à étudier la possibilité que les offices religieux puissent reprendre à partir du 29 mai ». « Je comprends l’impatience des ministres du culte, de toutes les confessions. Je leur demande instamment d’attendre, en conscience, pour que nous n’ayons pas à regretter une décision précipitée », a réitéré le Premier ministre.

Le Conseil scientifique va rapidement se prononcer sur l’installation des conseils municipaux et communautaires élus à l’issue du premier tour

Surtout, M. Edouard PHILIPPE a évoqué les suites du premier tour des élections municipales, sujet majeur pour les sénateurs, dont la moitié doit être renouvelée le dernier week-end de septembre notamment par les nouvelles équipes municipales, à condition que celles-ci soient en place depuis un temps suffisamment long pour permettre au préalable la campagne électorale.

Rappelant les termes de l’article 19 de la loi du 23 mars dernier, il a estimé « possible pour le gouvernement de demander un avis au conseil scientifique sur la question de l’installation des conseils élus et des conseils communautaires (déjà élus lors du premier tour, NDLR) sans attendre le 23 mai », date à laquelle est attendu le rapport sur l’état sanitaire du pays qui déterminera si le second tour des municipales peut avoir lieu en juin ou non.

Observant que « dans les 30 000 communes qui ont élu un Conseil municipal complet, beaucoup plaident pour une installation rapide des équipes qui disposent, depuis le 15 mars, de la légitimité du suffrage », le Premier ministre a donc saisi dès hier le Conseil scientifique sur ce premier sujet. Dans le détail, le Conseil doit se prononcer tant sur les risques et précautions à prendre « pour l’élection du maire et des adjoints dans les communes où le conseil municipal a été élu au complet dès le premier tour » que « pour les réunions des conseils communautaires ». Sur la base de cet avis,

M. PHILIPPE remettra au parlement « un rapport dans les plus brefs délais qui permettra de dire si, et surtout quand, cette installation est possible». « S’agissant du deuxième tour, il faut encore attendre un peu », a-t-il poursuivi. Précisant que si sa tenue n’est pas possible en juin, « nous devrons décider collectivement, d’une part, de sa date, et d’autre part, des modalités de son report qui emporterait avec lui un certain nombre de conséquences», comme le report des élections sénatoriales.

Réservé sur la réécriture du régime de responsabilité, le Premier ministre s’en remet à la sagesse du Parlement

Enfin, le Premier ministre a reconnu devant les sénateurs que le sujet de la responsabilité des élus et des dirigeants d’entreprises n’est pas un petit sujet. Après avoir fait l’éloge du régime équilibré instauré par loi Fauchon, il a admis que « les inquiétudes sont là et il faut y répondre ». « Il appartiendra au Parlement de dire si le sujet doit être traité à l’occasion d’un amendement ou d’un texte spécifique », a-t-il conclu, quelques heures avant l’examen du projet de loi.

Lui-même a fait part de « deux convictions » en la matière. « La première est que notre Constitution nous invite à ne pas aborder cette question de manière segmentée, en pensant à telle catégorie de responsables ou à telle autre » : élus locaux, représentants de l’État et chefs d’entreprises doivent être soumis au même régime. « La seconde est que cette question mérite d’être traitée avec prudence, car nos concitoyens veulent que les maires agissent sans blocage, mais ils ne veulent pas non plus que les décideurs, publics ou privés, s’exonèrent de leurs responsabilités », a ajouté M. PHILIPPE. « Préciser la loi, rappeler la jurisprudence, qui oblige le juge à tenir compte des moyens disponibles et de l’état des connaissances au moment où l’on a agi, ou pas agi, oui. Atténuer la responsabilité, je suis nettement plus réservé », a-t-il résumé.