Je suis intervenu en séance le 22 février 2010 lors du débat sur le projet de loi relatif à l’action extérieur de l’état, réformant la diplomatie culturelle de la France.

Les sénateurs socialistes ont finalement voté contre ce projet de loi qui fait l’impasse sur son financement et n’assure ni le rattachement à notre réseau culturel ni une gestion des personnels débouchant sur des perspectives de carrière et en lui donnant le statut d’EPIC introduit dans le texte une gestion commerciale de la culture.

 

Sur l’amendement n° 31 (article 1), présenté par le Gouvernement tendant à exclure les établissements publics ayant une activité de crédit du champ de la nouvelle catégorie d’établissements publics, et donc de fait visant l’Agence française de développement

 

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. En dépit de son activité de prêts, qui va croissante, l’AFD n’est pas une banque commerciale, mais une banque au service de l’action extérieure de l’État. D’ailleurs, les documents de cadrage pluriannuels et annuels sont déjà révisés par l’ambassadeur et le poste diplomatique.

J’ajoute que ces prêts, consentis à des conditions particulières, sont financés par le contribuable français. Il me paraît donc tout à fait normal que l’ambassadeur ait son mot à dire.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 31.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Sur l’article 2 « Les établissements publics contribuant à l'action extérieure de la France sont administrés par un conseil d'administration »

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l'article.

M. Richard Yung. L’article 2 traite de la composition du conseil d’administration des établissements publics contribuant à l’action extérieure de la France.

Je me réjouis de constater que la commission des affaires étrangères a adopté notre amendement qui tendait à augmenter le nombre de parlementaires siégeant au conseil d’administration. J’espère également que le pluralisme politique y sera respecté.

Le conseil d’administration comprendra évidemment des représentants de l’État et du ministère des affaires étrangères. Toutefois, des représentants des ministères de la culture et de l’enseignement supérieur et de la recherche y auraient également leur place.

En ce qui concerne les collectivités territoriales et les organismes partenaires, je ne saurais être plus éloquent que ma collègue Maryvonne Blondin, qui a très bien expliqué le travail qui a été fait. Selon nous, on ne peut pas se contenter de prévoir seulement la possibilité de leur représentation. Ces institutions doivent siéger au conseil d’administration, d’autant que les coopérations dites « décentralisées » sont de plus en plus importantes.

L’alinéa 8 du présent article nous pose un problème. Nous ne voyons pas ce qui pourrait justifier une exception à la loi relative à la démocratisation du secteur public.

Je rappelle que cette dernière permet une représentation des élus du personnel au moins égale à un tiers des membres du conseil d’administration à partir du moment où l’EPIC compte plus de 200 salariés.

Si, en dépit de notre magnifique plaidoyer en faveur d’un établissement public administratif, vous persistez dans le choix de l’EPIC, vous devez alors en accepter toutes les conséquences, notamment vous conformer à la loi de démocratisation du secteur public. De surcroît, en la matière, la disposition que vous proposez risque d’encourir la censure du Conseil constitutionnel.

Dans les conseils d’orientation qui sont prévus – cette mesure est positive –, il manque, en particulier pour l’AFEMI, une représentation des principaux utilisateurs, c’est-à-dire des étudiants.

Enfin, en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France et comme nombre d’entre nous, je regrette l’absence de représentants de l’Assemblée des Français de l’étranger au sein des conseils d’administration : même si l’action culturelle extérieure ne leur est pas directement destinée puisqu’elle a vocation à concerner tout le monde, ces représentants, grâce à leur très bonne connaissance de la vie culturelle locale, pourraient se faire l’écho de l’opinion des citoyens des pays où ils sont implantés. Il s’agit donc d’un oubli malheureux.

Article 5, « I. - Il est créé un établissement public à caractère industriel et commercial, dénommé « Agence française pour l’expertise et la mobilité internationale », placé sous la tutelle du ministre des affaires étrangères et soumis aux dispositions du chapitre Ier... »

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Tout d’abord, l’argument du nombre qui vient d’être avancé ne me paraît pas péremptoire. D’autres établissements publics disposent de conseils d’administration d’une telle dimension, voire plus importante.

Ensuite, et surtout, le message envoyé au personnel n’est pas positif. Le fait que les personnels soient représentés au sein du conseil d’administration est une conquête importante : ils sont tout de même parmi les premiers concernés par l’activité de l’agence ! On ne peut pas leur dire qu’ils ne comptent pas vraiment et que leur présence au conseil n’est pas importante.

J’insiste, le message envoyé me semble négatif et ne porte pas ce « jeune enfant » dans les meilleures conditions possible sur les fonts baptismaux.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.

M. Richard Yung. Je le répète, la création de l’Agence pour l’expertise et la mobilité internationales va dans le bon sens. Nous en ressentons tous l’impérieuse nécessité. Depuis des années, en effet, nous avons conscience que, dans ce contexte de compétition internationale, la très grande expertise dont dispose notre pays et qui couvre de nombreux domaines, même si elle a tendance à s’évaporer quelque peu, devrait être mieux valorisée.

En revanche, je suis plus réservé ou plus hésitant sur le périmètre de ce nouvel opérateur, c’est-à-dire sur les métiers qu’il recoupe. Il est proposé de fusionner des activités de nature très différente, entre lesquelles il n’existe aucune synergie, pour reprendre un terme à la mode.

Ainsi, l’expertise technique internationale, c’est-à-dire le savoir-faire de tous nos assistants techniques dans les différents domaines que sont, notamment, la santé, l’urbanisme ou les travaux publics, n’a pas grand-chose à voir avec l’accueil des étudiants et des boursiers étrangers en France ; il s’agit là d’un métier de prestation de service et de valorisation de notre politique d’accueil des étudiants. Il en est de même pour la mobilité universitaire, sauf à la considérer comme un sous-produit de l’expertise internationale.

En outre, et cela rejoint le débat que nous avons eu tout à l’heure, la mise à l’écart de l’Agence française de développement, l’AFD, pose problème.

De mon point de vue, il aurait été préférable de s’inspirer du modèle allemand et de la GTZ, cette agence fédérale de coopération que certains d’entre vous connaissent : regroupant à la fois l’activité financière, qu’il s’agisse des dons ou des prêts, et l’activité ingénierie, elle est extrêmement puissante et donne une importante force de frappe aux Allemands, en particulier à Bruxelles. Or, nous le savons, c’est là qu’il faut aller chercher l’argent pour financer les projets.

Par ailleurs, intégrer l’AFD aurait eu le mérite de la cohérence. En 2006, France Coopération Internationale s’est vu confier le recrutement, la formation et la gestion des experts techniques internationaux intervenant dans les secteurs transférés à l’Agence française de développement. Il aurait donc été logique de rapprocher ce volet d’activités de l’Agence.

Monsieur le ministre, au regard des différents éléments constitutifs de cette nouvelle structure, avez-vous une idée du budget qui lui sera dévolu ?

J’évoquerai, en conclusion, la situation des personnels, qui constitue le principal problème de la réforme, comme M. le rapporteur l’a bien souligné. Certes, les contractuels de droit privé seront repris par la nouvelle agence. Toutefois, l’avenir des contractuels de droit public semble plus incertain. Monsieur le ministre, comment l’intégration de ces derniers est-elle envisagée ?

Article 6, « I. - Il est créé un établissement public à caractère industriel et commercial pour l’action culturelle extérieure, dénommé « Institut Victor Hugo », placé sous la tutelle du ministre des affaires étrangères et soumis aux dispositions du chapitre Ier... »

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.

M. Richard Yung. Mes collègues ayant déjà abordé de nombreux aspects de l’article 6, je serai bref.

Le premier point que je veux souligner ne concerne pas le contenu même de l’article – je m’en excuse auprès du président de Rohan –, mais le contexte.

Tout ce dont nous discutons en ce moment, la politique envisagée dans son ensemble, toutes les structures qui sont proposées ne serviront à rien si nous continuons dans la voie de la désertification du champ culturel et des moyens qui sont consacrés à la politique culturelle extérieure.

Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l’heure avoir créé quatorze instituts et en avoir fermé onze. Les chiffres que j’ai sont légèrement différents, mais peu importe.

Cependant, la réalité, c’est la diminution de 10 % des crédits chaque année depuis près de cinq ans. Autrement dit, c’est la grande misère de l’activité culturelle et là est le fond du problème. Les changements de structure que nous opérerons n’y changeront rien. La vraie vie d’un directeur de centre culturel, d’institut français, ou de toute autre structure culturelle française à l’étranger, c’est de trouver mille euros pour monter une exposition de photographie ! Voilà son vrai problème ! Il n’est aucunement préoccupé par des grands débats sur l’avenir de la culture française dans le monde. Il faut avoir cet élément présent à l’esprit.

Nous savons d’ailleurs que la loi de finances rectificative 2010 annule cinq millions d’euros dans le programme 185 « Rayonnement culturel et scientifique ». La révision générale des politiques publiques, ou RGPP, est passée par là…

Le 11 décembre dernier, un certain nombre de hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay, réunis au sein du cercle Paul-Claudel…tiens, Paul Claudel,… nous aurions pu choisir ce nom, d’autant que c’était un diplomate.

Les hauts fonctionnaires que j’évoquais ont donc dénoncé une « incroyable, et pour tout dire scandaleuse, liquidation du réseau culturel français dans le monde », et ont reproché au Gouvernement et à vous-même de ne pas manifester d’intérêt réel pour l’influence culturelle de la France dans le monde. (M. le ministre proteste.) Ce n’est pas moi qui le dis,…

M. Bernard Kouchner, ministre. On ne sait d’ailleurs pas qui le dit !

M. Richard Yung. … c’est ce groupe !

Je poserai deux questions. La première a déjà été posée tout à l’heure, mais je souhaiterais savoir si l’on a préfiguré le budget – c’est une obsession, me direz-vous ! – du nouvel institut. Le chiffre de 70 millions d’euros est évoqué, 40 millions d’euros étant prévus pour la formation des agents et 30 millions d’euros correspondant au budget actuel de CulturesFrance.

La seconde question est également similaire à celle qui a été déjà posée au sujet de l'Agence française pour l'expertise et la mobilité internationales : elle concerne les garanties que vous apporterez aux personnels de CulturesFrance qui seront transférés à la nouvelle agence, et en particulier aux agents contractuels de droit public. Ces derniers sont en effet tributaires de leur transfert à la nouvelle structure, alors que les agents de droit privé seront intégrés par le biais du statut du nouvel établissement public.

Article 6 ter (nouveau), « Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard trois ans après l’entrée en vigueur de la présente loi, un rapport sur la diplomatie d’influence de la France, ... »

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.

M. Richard Yung. Nous regrettons un certain manque d’audace. Tout le monde a bien conscience de la nécessité d’une continuité entre l’agence et les services extérieurs qui conduisent la politique culturelle sur le terrain.

C’est tellement vrai que l’on a commencé à procéder à la fusion des services de coopération et d’action culturelle, les SCAC, des instituts et des centres culturels. Par conséquent, sur place, on constitue l’outil efficace.

Par ailleurs, nous avons longuement délibéré sur l’établissement public, c’est-à-dire la tête. Mais entre celle-ci et le réseau, il faut bien quelque chose. Or là, il n’y aura rien. Le grand danger, c’est bien sûr la séparation des deux et le fait que l’Institut français risque d’être « cantonné », si je puis dire, à l’élaboration d’un catalogue d’actions culturelles qu’il proposera aux différents services décentralisés, mais chacun fera ce qu’il voudra. Ce système n’est donc pas satisfaisant.

Monsieur le ministre, je sais que vous vous êtes heurté à de fortes résistances.

La première concerne le coût. On nous a objecté qu’il reviendrait beaucoup plus cher d’intégrer l’ensemble du dispositif. J’aimerais comprendre pourquoi : s’agit-il du problème de statut du personnel ? Donnez-nous quelques chiffres à ce sujet.

M. Bernard Kouchner, ministre. 50 millions !

M. Richard Yung. La seconde résistance que vous avez rencontrée émane de ceux que, dans le langage du Quai d’Orsay, l’on appelle « les brahmanes » – c’est une jolie expression –, c’est-à-dire les grands ambassadeurs. (M. le président de la commission des affaires étrangères s’exclame.) Les brahmanes sont normalement les garants de la sagesse, monsieur le président de Rohan.

D’une certaine façon, je comprends pourquoi les ambassadeurs résistent car avoir la possibilité de mener des actions culturelles, c’est un outil supplémentaire et même la cerise sur le gâteau. En cas de négociations difficiles avec tel ou tel pays, on peut, pour les conclure, proposer d’organiser une exposition sur les danseuses à l’Opéra Garnier au XIXe siècle, par exemple. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga s’exclame.) Cela fonctionne ainsi.

Nous avons sur ce sujet un vrai problème, un manque d’audace. Je le dis maintenant car je suis certain que nous retrouverons ce problème dans trois ans.