Vous trouverez ci-dessous l’intervention de François Rebsamen, Président du Groupe socialiste du Sénat, le mercredi 4 septembre dans le débat sur la situation en Syrie. Cette intervention reflète ma position personnelle et celles des sénateurs socialistes.

Monsieur le président,
Monsieur le ministre des affaires étrangères,
Mesdames, messieurs les ministres,
Mes chers collègues,

Comme le Premier ministre l’a souligné  « le régime de Bachar Al-Assad a commis l’irréparable ».

En effet, alors que chaque jour s’étalent aux yeux du monde les atrocités les plus extrêmes, le 21 août dernier, un nouveau palier a été franchi sur l’échelle de l’impensable en Syrie, l’arme chimique a été à nouveau employée et avec une ampleur inédite elle a frappé indistinctement combattants et populations civiles.

Une première fois, au mois d’avril dernier, le régime avait lancé plusieurs attaques et le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, en avait dénoncé les faits et publié les preuves au mois de juin. Ce n’était hélas que de premiers coups d’essai !

Le 21 août dernier, le régime a donc pris la décision de perpétrer un massacre de masse avec des armes marquées du sceau de l’opprobre et de l’interdit. Commis le premier jour de la mission des inspecteurs des Nations unies, nous ne savons pas si cet acte était un acte supplémentaire de provocation, ultime pied de nez à une communauté internationale enlisée, ou une volonté de brouiller les pistes, en fait quel pouvait en être le mobile ?

A n’en pas douter, Bachar al-Assad a voulu tester les limites tolérées par les puissances qui tentent de mettre un frein à la  répression sanglante qu’il inflige à une partie des populations de Syrie et d’imposer une solution politique.

En faisant cela, ce régime vacillant commet une double forfaiture

Il a franchi une « ligne rouge » tracée par la convention sur les armes chimiques de 1925. Un traité qui fut la réponse logique, humaniste et justifiée à l’horreur des gaz de combat employés de façon massive pendant la première mondiale et dont furent victimes des centaines de milliers de combattants.

Bachar al-Assad peut arguer de se situer en dehors de la Convention et c’est d’ailleurs ce qu’il sous-entend dans son entretien au Figaro quand il est interrogé sur la détention par l’armée syrienne de stock d’armes chimiques.

Mais la communauté internationale, à commencer par le Secrétaire général des Nations Unies, considère à raison qu’il s’agit bien d’un crime contre l’humanité.

C’est la première forfaiture.

Les combattants (justement) n’étaient même pas les seules cibles des attaques du 21 août ! Ce sont des civils, des femmes et des enfants, qui ont payé le lourd tribut de cette attaque aux portes de Damas. Ces femmes et ces enfants représentent la moitié des victimes.

Deuxième forfaiture Insupportable ! Ultime !

Cette nouvelle marche dans l’escalade de l’horreur intervient alors même que ce conflit a engendré en deux ans et demi, 3 millions de réfugiés et de déplacés. Le Haut-commissariat aux réfugiés estime à un million le nombre d’enfants aujourd’hui exilés. C’est donc toute une génération qui est en situation de détresse – imaginez, mes chers collègues, les conséquences pour la Syrie et pour les autres pays de la région touchés par le conflit dans les décennies à venir.

Alors que devons-nous faire ? Quel est notre DEVOIR ?

La communauté internationale, la France et ses alliés, ne peuvent rester les bras croisés face à cette nouvelle tragédie. Elle ne peut se contenter d’une simple condamnation morale qui n’atteindra jamais ce régime. Celui-ci n’a que faire des préoccupations humanitaires, seules sa propre survie et celle de son clan au pouvoir depuis des années, l’intéresse. Il est prêt à toutes les extrémités pour l’assurer.

Nous avons donc le devoir de l’arrêter, de mettre un coup d’arrêt à l’utilisation d’armes chimiques.

C’est le sujet de notre débat aujourd’hui.

Nous ne savons pas si nous obtiendrons l’aval de la Russie, et donc la résolution onusienne qui permettrait de conférer une légalité absolue à une intervention militaire. Pour autant, il s’agit bien de faire respecter le droit international, et les arguments en faveur de la légitimité d’une action coercitive ne manquent pas.

Même si la Syrie n’est pas partie prenante de la Convention pour l’interdiction des Armes Chimiques (1993), l’emploi des armes de cette sorte constitue incontestablement une violation du droit international. Selon les mots même du Secrétaire général des Nations Unies « toute utilisation d’armes chimiques par un quelconque camp et en n’importe quelle circonstance constituerait une violation du droit international humanitaire. » (Déclaration du SGNU, 21 août 2013).

Et c’est légitime ! Un régime politique quel qu’il soit ne saurait s’exonérer du respect d’un socle minimum de valeurs et de principes qui sont au fondement même de la communauté des humains. L’interdiction de l’emploi d’armes de destruction massive contre des populations civiles en fait naturellement partie. A ce propos, nous nous félicitons que la Coalition nationale syrienne s’engage à proscrire les armes chimiques dans un avenir que nous espérons proche. Par ailleurs, je veux ici rappeler que l’Assemblée générale des Nations Unies, afin de pallier les carences du Conseil de sécurité, a adopté plusieurs résolutions concernant la Syrie. La dernière, en date du 15 mai 2013, comporte 2 éléments essentiels :

  • D’abord que « la crise en République arabe syrienne menace sérieusement la sécurité de ses voisins et la paix et la stabilité régionales et a de sérieuses répercussions sur la paix et la sécurité internationales » (§ 6). Or l’existence d’une menace à la paix et à la sécurité internationales est une condition sine qua non du recours à la force.
  • Ensuite cette même résolution se réfère à la « persistance de violations flagrantes, généralisées et systématiques des droits de l’homme et des libertés fondamentales par les autorités syriennes et les milices progouvernementales chabbiha ». En l’espèce, il ne s’agit pas de violations ponctuelles des droits de l’homme, mais bien d’un manquement généralisé à son obligation de protéger sa population.

Nous ne sommes pas en présence d’un manquement à n’importe quelles règles du droit international, mais de violations de normes dites impératives du droit international, et je rappelle que ces normes impératives ont ceci de particulier qu’elles s’imposent à tous. Elles sont dues à la communauté internationale dans son ensemble, et il ne peut y être dérogé en aucune circonstance.

Peu importe donc que la Syrie n’ait pas ratifié le Statut de la CPI, l’interdiction de commettre des crimes contre l’humanité s’impose à ses dirigeants puisque la violation grave d’une norme impérative du droit international constitue un crime international.

Elle justifie donc pleinement une intervention coercitive en réponse.

La légitimité de l’intervention provient aussi des preuves et la France dispose d’un faisceau d’indices allant dans le sens de la responsabilité du régime.

Je tiens d’ailleurs à saluer ici l’efficacité de nos services de renseignement. Ils prouvent ainsi qu’ils sont l’une des clefs de voûte de notre autonomie stratégique, permettant à la France de disposer d’une liberté d’appréciation des situations de crise que peu de pays possèdent.

Cette autonomie stratégique et cette liberté d’appréciation sont au fondement de notre indépendance politique. C’est donc grâce à ces femmes et ces hommes que nous pouvons débattre aujourd’hui avec des éléments tangibles, objectifs et indiscutables.

Et que savons-nous aujourd’hui de cette attaque ?
Nous savons qu’elle était préméditée.
Nous savons qu’elle a été préparée en trois jours.
Nous savons enfin que la seule structure disposant de moyens matériels, logistiques et humains pour opérer ce type d’opération est l’armée syrienne. Qu’elle demande de l’entraînement, des infrastructures et un savoir-faire dont les insurgés sont dépourvus.

Mes chers collègues, j’entends ici et là des comparaisons hasardeuses avec les cas irakiens ou libyens. Rien n’est plus faux.

En Libye, la coalition internationale est intervenue sur le fondement d’une résolution, la 19-73, pour empêcher la Jamahiriya libyenne de massacrer des civils. Cette intervention a précipité la chute Mouammar Kadhafi.

Nous ne sommes pas non plus, comme Bachar al-Assad et les Russes le prétendent, dans la fantasmagorie des armes de destruction massive de l’administration Bush à propos de l’Irak. Dans ce cas-là, les missions d’inspection internationales n’avaient pu apporter d’éléments tangibles relatifs à un réarmement en matière d’armes de destruction massive.

De fait, ces actes sont donc constitutifs d’un crime contre l’humanité au sens du droit international et doivent donner lieu à une sanction qui ne peut être que de nature militaire.

En effet, ce crime ne peut et ne doit pas nous laisser indifférent.

Le massacre de la Ghouta ne peut être une réédition de Srebrenica où la communauté internationale, pourtant bien présente, s’était illustrée par sa passivité. Cette passivité serait une nouvelle faute qui entacherait notre mémoire.

Le massacre de la Ghouta ne peut attendre une justice qui serait hypothétiquement rendue sur le tard, après un jugement tout aussi hypothétique de ses responsables, comme dans le cas du massacre de 4 000 kurdes à Halabja commandité par Saddam Hussein.

Ce massacre massif et aveugle ne peut rester impuni et doit être sanctionné. Comme le Président de la République l’a déclaré, nous sommes en présence d’«une violation monstrueuse des droits de la personne humaine. » Le seul message que ce régime comprendrait est une vigoureuse intervention militaire.

Comme cela a été rappelé maintes fois par le Président de la République et le Premier ministre, il ne s’agit pas de libérer la Syrie. Il ne s’agit pas de renverser Bachar al-Assad. Il s’agit d’interdire à ce régime, qui ne connaît ni limite et ni retenue lorsqu’il s’agit de massacrer sa propre population, d’utiliser l’un des modes opératoires les plus effroyables de son arsenal.

Cette action militaire, au regard des faits et des éléments de droit que j’ai soulevé précédemment, est, je le pense, légitime et doit avoir une valeur de dissuasion. Il serait pour le moins curieux de considérer comme illégale une action qui vise à faire respecter le droit international.

Cela constitue un objectif. L’objectif principal de l’intervention militaire. Autrement dit, le « but de guerre » : Sanctionner militairement le régime et marquer notre détermination quant aux limites à ne pas franchir. C’est la seule et unique façon d’ouvrir la voie à une solution politique.

Pour marquer notre détermination, il faut envisager une action proportionnée mais ferme contre le régime de Damas dans le cadre d’une coalition internationale si le Conseil de sécurité est empêché d’agir.

Contrairement à ce que Bachar al-Assad a affirmé au Figaro, la France ne fait pas la guerre au peuple syrien. La France, et vous le savez, a été, depuis le début de la guerre civile, exemplaire. Notre diplomatie s’est distinguée par la recherche obstinée d’une solution politique visant le départ de Bachar al-Assad et un avenir meilleur pour la Syrie.

Contrairement à ce qu’il a pu être dit et écrit ici et là, il ne s’agit pas d’agir dans la précipitation mais d’intervenir dès lors qu’un faisceau de preuves est réuni.

Tout d’abord, et cela a été rappelé, nous n’agirons que dans le cadre d’une coalition qui devra être la plus large possible. Lorsque la France et les Etats- Unis convergent vers un même objectif qui est celui de la justice, du respect du droit international humanitaire, il s’agit là d’une vision partagée de la justice, apte à rassembler bien au-delà de nos deux pays.

Cette coalition ne pourra agir que dans le seul but de sanctionner le régime de Bachar al-Assad et donc se bornera à des actions ciblées et limitées dans le temps.

Je ne doute pas que le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de nos intérêts de la région. J’entends par là, nos implantations diplomatiques, mais également nos ressortissants et nos soldats engagés au Liban.

Le conflit syrien irradie déjà bien au-delà des frontières et menace aujourd’hui de déstabiliser l’ensemble de la région.

Bachar al-Assad, n’a d’ailleurs pas fait mystère de ces menaces, mais la France ne laissera pas intimider !

Enfin, pour clore cette polémique sur la nécessité d’un vote, je souhaiterai rappeler ici quelques éléments de droit, l’article 35 dispose que « Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n'est suivi d'aucun vote. »

Certains de ceux qui aujourd’hui réclament un vote s’y étaient farouchement opposés en 2008.

En l’état du débat, l’intervention est à peine à l’état de maturation, puisqu’il est à priori exclu que la France agisse seule. Demander un vote à ce stade n’a pas grand sens, la question ne peut intervenir que plus avant et il s’agit bien là de la seule responsabilité du Président de la République.

Nous mesurons les risques que comporte une telle intervention. Risque pour nos soldats, risque pour notre sécurité et nos intérêts. Mais c’est l’honneur et la grandeur de la France d’être en pointe dans le combat pour le respect des droits humains les plus élémentaires, ces mêmes droits bafoués depuis trop longtemps par le régime de Bachar al-Assad.

Malgré ces risques, nous savons aussi pertinemment qu’une non intervention aurait des conséquences bien plus graves pour l’ensemble de la région et même de la communauté internationale.

En effet à contrario, et je crois que c’est l’argument le plus fort en faveur de l’intervention, imaginons un seul instant que l’action du régime de Damas ne soit pas sanctionnée.

  • Le régime poursuivra l’utilisation d’armes chimiques, occasionnant de nouveaux massacres de masse, repoussant les forces insurgés, à commencer par les unités de l’Armée syrienne libre, dans leur dernier retranchement, et écartant du même coup toute solution politique.
  • Ce serait le plus mauvais signal envoyé aux puissances qui souhaitent se soustraire au droit international. L'Iran ne serait, par exemple, plus du tout dissuadée de poursuivre son programme nucléaire et, de manière générale, les dynamiques de prolifération des armes de destruction massives seraient encouragées.
  • La Convention pour l’interdiction des Armes Chimiques serait irrémédiablement abîmée. Et dans le même temps, le subtil et fragile édifice, fait de conventions et de traités, bâti à grand peine, auquel a contribué notre pays dans le cadre de sa politique extérieure, s’écroulerait. La lutte contre la prolifération et l’emploi des armes de destruction massive est un domaine dans lequel notre pays a toujours été précurseur, car nous avons conscience, et le Premier ministre l’a rappelé, qu’il s’agit d’un enjeu majeur de sécurité collective.
  • Enfin, ce n’est pas trop de le dire, il en va de la survie de l’avenir des révolutions arabes et de notre responsabilité à l’égard de ceux des peuples qui conquièrent leur liberté en versant le prix du sang. Les régimes autocratiques se verraient déliés du peu de scrupules qui les retiennent dans leur répression. Nous ne pouvons le tolérer.

De fait, les conséquences d’une non-intervention auraient des résultats plus graves pour l’ordre international qu’une intervention militaire opérée sans la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

Nous concevons qu’il s’agit là d’une décision difficile, et je veux saluer ici, le courage la détermination sans faille et la ténacité du Président de la République et de l’ensemble de l’exécutif. Les qualités mêmes dont ils ont su faire preuve à l’occasion de la crise malienne.

La France doit continuer à assumer ses responsabilités comme elle le fait depuis le début de la tragédie syrienne. Elle doit continuer d’œuvrer pour réunir les conditions permettant de sanctionner ce régime qui n’a pas droit à l’impunité. En même temps, elle doit poursuivre sa recherche visant à l’émergence d’une solution politique, seule horizon possible pour la Syrie, nous en sommes tous persuadés.