Le 3 juin, j’ai participé, dans le cadre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à l’audition de Pierre LÉVY, ambassadeur de France en Russie.

Vous trouverez, ci-dessous, des extraits du compte rendu de cette audition.

M. Christian Cambon, président. - Je salue nos collègues présents et ceux qui se joignent à nous par téléconférence.

Nous auditionnons aujourd’hui, depuis Moscou, notre ambassadeur de France en Russie, M. Pierre Lévy, qui occupe ces fonctions depuis janvier dernier, après avoir été ambassadeur en Pologne et en République tchèque et directeur de l’Union européenne au Quai d’Orsay.

Cette audition précède la réunion d’adoption de la partie française du rapport que nous avons préparé conjointement avec le Conseil de la Fédération de Russie. Nous devions nous rendre à Moscou fin mars avec le président du Sénat ; ce déplacement ayant été annulé en raison de la crise sanitaire, nous nous réunirons donc avec le Conseil de la Fédération en visioconférence fin juin. Cette manifestation revêtira un certain éclat, avec la remise officielle de notre rapport à l’ambassadeur de Russie en France.

Quelle est d’abord la situation intérieure en Russie ? Sur le plan sanitaire, la Russie est au troisième rang mondial des contaminations après les États-Unis et le Brésil, et le nombre de cas continue de progresser. Cette crise sanitaire fragilise-t-elle le président russe ? Vladimir Poutine a voulu déconcentrer le pouvoir et redonner des marges de manœuvre aux régions pour gérer la crise sanitaire. Les médias français présentent Vladimir Poutine comme affaibli : qu’en est-il réellement, alors que son projet de révision constitutionnelle, qui rend possible son maintien au pouvoir au-delà de 2024, sera examiné le 1er juillet ?

Sur le plan international, la pandémie n’a pas arrêté pas les crises, elle les a même accélérées. Nous sommes frappés de l’emprise croissante de la Russie en Libye, où elle paraît vouloir s’implanter durablement. Si son protégé, le maréchal Haftar, semble perdre du terrain, les conditions dans lesquelles s’effectue son repli paraissent traduire au moins une entente avec la Turquie. Nous assistons non seulement à un partage des zones d’influence en Libye - au mépris du processus de sortie de crise validé en janvier dernier à Berlin -, mais aussi, suivant les mots du ministre des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, devant notre commission, à une « syrianisation » de la Libye. Rien ne semble arrêter les Russes, qui auraient même fait circuler un milliard de dollars de fausse monnaie, saisis par Malte. Est-il encore temps d’amener la Russie à la raison, c’est-à-dire à la table des négociations politiques, au sujet de la Libye ?

Enfin, en ce qui concerne notre relation bilatérale, où en sont les échanges autour de l’agenda de sécurité et de confiance proposé par la France à la Russie à l’automne dernier ? Vous savez qu’au Sénat nous sommes des partisans et des acteurs mobilisés de ce dialogue. Mais nous ne sommes pas aveugles non plus : cette main tendue ne vient-elle pas un peu à contretemps, compte tenu de l’agressivité, parfois, de nos interlocuteurs russes ? Comment est-elle perçue par nos alliés européens ?

M. Pierre Lévy, ambassadeur de France en Russie. - Je suis très heureux de vous revoir. C’est un honneur pour moi de m’exprimer devant vous ce matin pour vous présenter ma mission en Russie, mais aussi vous écouter et répondre à vos questions.

Je sais que vous avez poursuivi vos contacts avec le Conseil de la Fédération en dépit de la crise du Covid-19. Le rapport d’information conjoint que vous allez adopter, après celui d’avril 2018, est une initiative très intéressante et je tiens à saluer la qualité de ce travail. C’est aussi une démarche originale, qui confronte deux points de vue : les écarts sont aussi extrêmement intéressants, dans le cadre d’un dialogue franc. À mes yeux, ce rapport est un jalon très important dans la relance de la relation franco-russe.

Je suis arrivé à Moscou le 15 janvier dernier, le jour même de l’annonce par le président Poutine, dans une adresse à la Nation, d’une réforme constitutionnelle et la veille de la démission du gouvernement de Dmitri Medvedev. Nous avons connu un mois et demi que je qualifierais de normal, avant que le pays ne bascule dans une situation exceptionnelle avec la crise du Covid-19. La crise agit comme un révélateur des spécificités de chaque pays et elle met à l’épreuve tout le système.

À la suite de la démission du gouvernement, c’est Mikhaïl Michoustine, un technocrate peu connu, qui dirigeait auparavant le service fédéral des impôts, qui a été désigné comme premier ministre. Le président Poutine a ensuite précisé les contours de la réforme constitutionnelle et notamment le renforcement annoncé des prérogatives du pouvoir exécutif. Les amendements à la constitution peuvent être divisés en trois paquets : un paquet institutionnel, un paquet économique et social et un paquet relatif aux valeurs. Le 18 mars, nouvelle surprise : devant la Douma, le président russe a donné son accord à l’adoption d’un amendement qui prévoit l’annulation des mandats présidentiels antérieurs dans la perspective des futurs scrutins, ce qui lui permet donc de se représenter en 2024 pour un ou deux mandats supplémentaires. Le Kremlin a ensuite annoncé qu’il souhaitait faire valider cette réforme par un vote le 22 avril, afin de donner une légitimité à ces changements. Cette phase de légitimation interne devait être suivie d’une phase de légitimation externe, avec la parade de la victoire prévue le 9 mai à l’occasion des cérémonies du 75e anniversaire de la fin de la guerre en Europe, en présence de nombreux chefs d’État invités, dont le Président de la République. Mais la crise a bouleversé le cours des évènements.

La Russie a été touchée par le virus plus tardivement que l’Europe occidentale : on observe un décalage d’environ quatre semaines. La situation a été plutôt bien gérée : la frontière avec la Chine a été fermée dès le mois de janvier. Le nombre de personnes contaminées quotidiennement a diminué et s’établit aujourd’hui à un plateau de l’ordre de 9 000. Le nombre de décès officiellement attribués au Covid-19 est relativement faible, de l’ordre de 5 000. Mais il est difficile d’avoir une image véritablement complète de la situation, et il y a des débats sur le mode de comptabilisation des décès.

La réponse à la crise a été largement confiée aux autorités régionales. Nous n’avons pas de date fédérale pour le déconfinement, mais les mesures d’isolement sont progressivement levées, en commençant par Moscou, et ce jusqu’à la fin du mois de juin.

Comme toutes les ambassades dans le monde, nous avons adapté notre dispositif. Notre priorité a été de répondre aux préoccupations des Français en Russie, qu’ils soient de passage ou résidents. Nous avons également maintenu la continuité de notre action diplomatique, tout en veillant à la santé de nos équipes. Nous avons activé un plan de continuité d’activité qui nous a permis de travailler en mode dégradé. Nous avons mis en place une cellule de réponse téléphonique qui a fonctionné 7 jours sur 7 et qui a répondu à plus de 3 500 appels. Plusieurs vols ont été spécialement affrétés pour permettre le retour en France d’un peu plus de 500 de nos compatriotes. La solidarité européenne a bien fonctionné puisque ces vols ont aussi permis le retour de citoyens d’autres États membres de l’Union européenne et, réciproquement, certains vols affrétés par d’autres États membres ont transporté des ressortissants français. Nous avons été tout particulièrement attentifs à la situation des Français qui se sont retrouvés en situation précaire du fait de la crise, et notamment les étudiants. Le lycée français de Moscou et l’Institut français ont pu assurer la continuité pédagogique grâce au téléenseignement. Nous avons été également très attentifs à la situation des entreprises françaises en Russie et avons organisé des conférences avec la chambre de commerce France-Russie, avec les conseillers du commerce extérieur ainsi qu’avec le Medef international, pour les soutenir et évaluer leurs difficultés de terrain. Toutes les entreprises françaises implantées en Russie ne bénéficient pas, à ce stade, des mesures de soutien décrétées par le gouvernement russe, en dépit de leur indéniable apport à l’économie du pays. Des décisions favorables ont été prises, au cas par cas, pour les entreprises françaises considérées comme systémiques. Mais j’ai demandé aux autorités russes que nos entreprises ne fassent l’objet d’aucun traitement discriminatoire.

Au plan économique, comme partout ailleurs, la crise du Covid-19 en Russie a été l’occasion d’un arbitrage entre préservation de la santé de la population et sauvegarde économique. La pression en faveur d’un redémarrage rapide de l’activité économique y a été très forte dès le début, en raison notamment de l’absence de filets de sécurité. Le gouvernement russe a annoncé un plan de soutien qui se déploie par petites étapes et semble moins important - de l’ordre de 2,5 % du PIB - que ce qui est fait en Europe occidentale ou aux États-Unis. Il s’agit d’une démarche progressive : un plan de relance est en cours de préparation et une révision budgétaire est programmée à l’automne. Ce n’est qu’à l’automne que nous pourrons prendre toute la mesure de l’impact économique de la crise. Mais celui-ci paraît déjà lourd. La Russie subit en effet une double crise, car, avant même la crise du coronavirus, elle a pâti de la chute du rouble consécutive à la baisse du prix du pétrole. L’économie russe devrait connaître une récession de l’ordre de 5 ou 6 % cette année. On s’attend à un effondrement de la demande intérieure et à la poursuite de la contraction du niveau de vie des ménages.

Au plan politique interne, la popularité du président Poutine n’a pas bénéficié d’un regain lié à la crise du Covid-19 comme cela a pu être observé dans d’autres pays. Sa cote de popularité baisse de façon régulière, tout en restant néanmoins supérieure à celle des principaux chefs d’État occidentaux. Il bénéficie en effet d’une prime à la stabilité et de l’absence d’alternative crédible. Le président Poutine doit désormais trouver un nouveau terrain d’atterrissage pour son agenda politique dont le calendrier a été perturbé par la crise. La parade du 9 mai a été reportée au 24 juin, mais sans le défilé populaire - le « régiment des immortels » - qui aura lieu le 24 juillet. Le vote sur la Constitution devrait être organisé à partir du 1er juillet, probablement sur six jours, mais il est à craindre que ce scrutin n’apparaisse en décalage avec les préoccupations immédiates de la population.

Au plan politique externe, il est probable que le monde de demain sera encore plus structuré qu’avant par la compétition stratégique entre les États-Unis et la Chine. La poursuite du rapprochement stratégique entre Moscou et Pékin, auquel nous assistons depuis 2014, risque de devenir de plus en plus asymétrique au profit, principalement économique, de la Chine. La Russie a donc peut-être intérêt à développer d’autres partenariats, notamment avec l’Union européenne, et tout particulièrement avec la France. De nombreux Russes considèrent en effet notre pays comme un partenaire naturel.

Le Président de la République a posé les principes d’une relance des relations avec la Russie dans son discours devant la conférence des ambassadeurs, puis lors de la rencontre de Brégançon en août 2019 avec l’annonce de l’agenda de sécurité et de confiance. Une méthode a été fixée, et c’est désormais l’ambassadeur Pierre Vimont, représentant spécial du Président de la République, qui en est l’artisan, avec Iouri Ouchakov, conseiller diplomatique du président Poutine. Des groupes de travail sont en cours de définition pour couvrir l’ensemble des domaines constitutifs de nos enjeux communs. Ces travaux ont bien entendu été suspendus pendant la crise du Covid-19, mais les contacts se sont poursuivis au plus haut niveau. Cette crise peut être une opportunité pour renforcer les relations entre nos deux pays. L’ambition fixée par le Président de la République est plus pertinente que jamais dans ce monde post-Covid. Ce réengagement du dialogue est fondamental pour travailler sur un agenda positif, mais aussi pour traiter des questions les plus sensibles comme les crises en Libye, en Syrie et en Ukraine. Cela nous permet aussi de montrer aux Russes que nous savons ce qui se passe et que nous sommes lucides. C’est aussi un des enseignements du rapport conjoint que vous présentez : vous n’hésitez pas à évoquer certaines questions délicates comme l’ingérence.

La question russe est l’une de celles qui divisent le plus les Européens. Un travail d’explication et de pédagogie auprès de nos partenaires s’impose, afin de leur montrer que le statu quo - qui consiste à se regarder en chiens de faïence - n’est pas une bonne approche dans le contexte actuel. Nous, Européens, voulons-nous être au menu ou à la table des grands de ce monde ?

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M. Richard Yung. - Quel est le contenu de la Constitution qui sera soumise au vote le 1er juillet hormis la possibilité pour Vladimir Poutine de rester en poste jusqu’en 2036 ?

Quelle est la situation économique russe qui ne semble pas très vaillante ? Sur quels domaines pourrions-nous coopérer avec les Russes ? Les sanctions économiques de l’Union européenne ont-elles un effet sur la Russie ?

Les Russes pratiquent régulièrement le piratage, le sabotage et l’assassinat dans de nombreux de pays. À quoi cela sert-il ? Cela ne fait que les désavantager...

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M. Pierre Lévy. - Je vous remercie pour toutes ces très intéressantes questions.

Nous suivons de très près la situation de Philippe Delpal. Il y a de graves carences dans le dossier d’accusation, ainsi que des manquements en termes de procédure. Cette affaire est un irritant dans notre relation bilatérale. Elle conduit à dégrader l’environnement des affaires en Russie en donnant une mauvaise image du pays qui a pourtant besoin de capitaux étrangers. Dès mon arrivée en Russie, je me suis rendu à une audience et j’ai fait des demandes pour rendre visite à Philippe Delpal. Celles-ci n’ont pu aboutir en raison du confinement, mais je viens d’introduire une nouvelle demande en ce sens. Je vous engage aussi à évoquer ce dossier dans vos contacts avec les autorités russes à chaque fois que cela vous sera possible.

La coopération entre l’Union européenne et la Russie était prometteuse, avec de nombreux projets, mais la crise ukrainienne y a mis un coup d’arrêt. Le consensus européen autour des sanctions tient toujours. Un socle minimal a été défini pour orienter nos relations avec la Russie : ce sont les cinq principes agréés par les ministres des affaires étrangères lors du Conseil des affaires étrangères de mars 2016. L’un de ces principes est relatif à l’engagement sélectif, c’est-à-dire la possibilité, alors même que la crise ukrainienne n’est pas réglée, de travailler sur un certain nombre de sujets. Nous considérons, et nous ne sommes pas les seuls, que ces cinq principes ne font pas une stratégie. Nous devons aller de l’avant et essayer de donner corps à cet engagement sélectif. L’agenda positif permet ainsi de travailler avec la Russie sur les questions d’énergie et de climat à partir d’enjeux très concrets tels que l’efficacité énergétique, la qualité de l’air, la gestion des déchets, etc. L’année 2021 sera celle de la coopération décentralisée entre la France et la Russie : ce sera aussi l’occasion d’avancer sur ces sujets. Les positions européennes sont toutefois encore extrêmement divisées. L’Europe doit d’abord se renforcer après la pandémie et les dernières initiatives auxquelles nous avons assisté vont dans le bon sens : l’Europe réagit comme il se doit. Les Russes ont parfois la tentation de vouloir affaiblir et diviser l’Europe. Ils ont parfois du mal à comprendre comment nous fonctionnons.

Les sondages montrent, depuis plusieurs années, un affaiblissement de la confiance de la population russe dans ses dirigeants politiques, et cela touche aussi le président Poutine. Cela ne date pas de la crise. Mais celle-ci a mis en lumière un grand nombre d’inégalités existantes : entre ceux qui travaillent dans le secteur public, le secteur parapublic ou les grandes entreprises d’une part, et ceux qui travaillent dans les PME ou le secteur informel d’autre part ; dans l’accès aux soins, que l’on soit à Moscou ou en province, ou selon la catégorie sociale à laquelle on appartient. Mais cette insatisfaction ne se transforme pas en opposition politique.

Vladimir Poutine reste populaire auprès d’une population vieillissante et rurale, et beaucoup moins dans les nouvelles générations.

La réforme constitutionnelle prévoit tout d’abord des amendements institutionnels avec le renforcement des prérogatives du Conseil d’État, l’extension des pouvoirs du président et la possibilité de remettre le compteur du nombre de mandats à zéro. Le texte réduit l’incertitude, mais ne la supprime pas : que fera Vladimir Poutine ? Le deuxième volet de la réforme est social, avec l’inscription dans la Constitution de mesures telles que l’indexation des retraites, le salaire minimum ou encore la protection sociale. Cela permet peut-être de faire mieux passer les problématiques institutionnelles auprès de la population. Une troisième série d’amendements, à caractère conservateur, porte sur les valeurs. On y trouve la croyance en Dieu, la vénération de la mémoire des défenseurs de la patrie, la mémoire des ancêtres, la vérité historique, l’orthodoxie, la primauté du droit national, les valeurs de la famille, etc. On ne sait pas encore exactement comment le vote va se dérouler : il aura lieu le 1er juillet et devrait s’étaler sur plusieurs jours, ce qui devrait faciliter la mobilisation de l’électorat.

La crise a montré la grande diversité de la Russie. Ce pays est un continent, avec de grandes inégalités. C’est un ensemble qui n’est pas facile à gérer et la verticale du pouvoir n’a pas forcément aussi bien fonctionné que l’on aurait pu s’y attendre. Le maire de Moscou a joué un rôle prédominant dans la réponse des autorités.

Les autorités russes répondent à la crise économique par des plans successifs en fonction de l’évolution de la situation. N’oublions pas que si la Russie présente des faiblesses structurelles, elle a aussi des atouts considérables et de la marge de manœuvre : sa dette publique ne dépasse pas 12-13 % de son PIB, elle affichait un excédent budgétaire et ses réserves s’élèvent à environ 560 milliards de dollars. Les sanctions européennes et américaines pénalisent le pays, notamment en termes d’accès aux capitaux. Une politique de substitution aux importations a également été développée. La gouverneure de la Banque centrale de la Fédération de Russie est extrêmement sérieuse. Je suis donc relativement optimiste.

À la mi-avril, la Russie a bloqué des exportations de blé afin de préserver sa consommation interne. À ma connaissance, ces restrictions, qui ont essentiellement touché l’Afrique du Nord et l’Arabie saoudite, ont été levées.

Vous avez fait référence aux déclarations de M. Jean-Yves Le Drian sur la « syrianisation » de la Libye. La situation sur le terrain est en effet très inquiétante, avec un risque d’escalade et des ingérences à la fois russes et turques. La Russie cherche à maximiser son influence pour essayer d’établir un condominium russo-turc. Notre intérêt est d’obtenir un cessez-le-feu ouvrant la voie à un règlement politique. Nous devons travailler avec les Russes à ce processus. Nos priorités sont l’opération navale européenne Irini, qui permet de contrôler le respect de l’embargo sur les armes avec le renouvellement de la résolution 2292, dont nous discutons actuellement au sein du Conseil de sécurité, et la mise en œuvre du processus de Berlin. En Syrie, pour l’instant, la situation est relativement stable, mais sans amélioration. Ni la Russie ni la Turquie n’ont intérêt à une escalade. Il faut trouver une issue politique, mais nous en sommes encore très loin. L’enjeu actuel est l’acheminement de l’aide humanitaire. C’est aussi une question dont nous discutons au sein du Conseil de sécurité, dont la France assure la présidence depuis le 1er juin.

L’engagement français à trouver une solution politique en Ukraine demeure, mais il y a eu très peu d’avancées depuis le sommet de Paris. Les discussions se poursuivent. Cette question constitue un véritable verrou stratégique dans la relance de la relation entre l’Union européenne et la Russie.

Nous sommes inquiets de constater que tous les grands piliers des équilibres stratégiques disparaissent ou s’affaiblissent, qu’il s’agisse du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), du traité Ciel ouvert, de la question de la modernisation du document de Vienne, du report de la conférence sur le TNP, etc. La question de la maîtrise des armements et de la stabilité stratégique est au cœur de notre approche, et nous le disons aux Russes dans le cadre du 2 + 2. Les enjeux de sécurité en Europe et pour l’Europe doivent être au cœur de l’agenda de sécurité et de confiance. La zone libre d’armes nucléaires au Moyen-Orient que vous avez évoquée est un vieux sujet, les travaux se poursuivent à l’ONU. Aujourd’hui, nos priorités sont que le dialogue avec l’Iran se poursuive et que le processus de paix au Proche-Orient reste sur les rails, sans gestes unilatéraux en termes d’annexion de territoires palestiniens qui compromettraient définitivement la solution à deux États sur laquelle la France s’est engagée. Sur ces questions aussi nous avons des échanges avec les Russes.

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M. Pierre Lévy. - Je connais bien la situation du lycée français de Moscou que j’ai visité dès mon arrivée. La demande d’autorisation est bloquée, car les autorités russes l’ont incluse dans un paquet plus large de négociations qui concernent aussi des travaux à réaliser en France. Nous essayons de démêler ce nœud. C’est pour nous un point essentiel, et n’oublions pas que le lycée français de Moscou accueille aussi beaucoup d’élèves russes : c’est un capital commun. C’est l’un des dossiers prioritaires sur lesquels nous travaillons.

Les activités de la marine russe se sont poursuivies pendant la crise, en dépit de déclarations apaisantes sur un éventuel moratoire. Nous avons suivi très attentivement les manœuvres que vous mentionnez en Manche et en mer du Nord. Cela nous montre qu’en dépit de l’épreuve exceptionnelle que constitue le Covid-19, les crises internationales, les tensions et les menaces sont toujours là : nous ne devons pas baisser la garde.

L’utilisation militaire de l’espace est l’un des sujets de discussion dans le cadre de l’agenda de sécurité et de confiance. La ministre de la défense a régulièrement l’occasion de le rappeler à son homologue - elle l’a fait lors de son dernier entretien le 14 mai -, ainsi que le chef d’état-major des armées, le général Lecointre, qui est venu en Russie en février.

Il faut trouver une solution politique en Syrie. Nous sommes sans complaisance à l’égard du régime syrien, et extrêmement vigilants sur la présence iranienne. Certains bruits faisaient état de tensions dans le clan au pouvoir autour d’intérêts économiques : je ne pense pas qu’il faille donner trop d’importance à ces éléments. Mais la situation évolue très peu, ce qui n’encourage absolument pas les millions de réfugiés à revenir. Il ne s’agit pas uniquement des conditions économiques et sociales, il s’agit aussi de la crainte que le régime syrien peut continuer d’inspirer.

Tous ceux qui peuvent participer au développement économique de l’Afrique et à sa sécurité sont les bienvenus. La France doit continuer à avoir des discussions avec tous les partenaires, dont la Russie, unilatéralement, mais aussi au travers de l’Union européenne. Mais nous voyons aussi ce qui se passe et nous le disons aux Russes. Les Africains aspirent à prendre leur destin en main : il faut donc encourager l’Union africaine et éviter toutes manipulations et instrumentalisations extérieures.

M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie pour l’ensemble de ces réponses. Nous sommes à vos côtés, avec notre diplomatie parlementaire qui a vocation à vous aider dans vos missions. Notre rapport est une contribution originale : c’est un cas unique de coopération entre deux assemblées pour rédiger conjointement un rapport officiel. Nous sommes sans naïveté et avons le souci de défendre les positions de la France, mais le dialogue est toujours préférable aux chiens de faïence que vous évoquiez tout à l’heure, surtout avec un pays aussi important que la Russie. Cela nous permet de rappeler notre attachement au respect du droit international. Nous avons beaucoup de sujets à examiner en commun, la situation en Libye n’étant pas l’un des moindres.