Libération, 19/03/2011, De notre correspondant à Tokyo Michel Temman

Philippe Faure raconte comment son équipe a tenté de gérer une situation inédite.

«Je me suis jeté sous mon bureau. La secousse était violente, interminable. On aurait dit des tirs de mortiers. Des objets sont tombés, se sont cassés. C’était la fin du monde. L’angoisse…» Peu après 14 h 46, le 11 mars, l’ambassadeur de France au Japon, Philippe Faure, a compris. Lorsque ce diplomate habitué aux séismes (il fut en poste à Mexico) découvre son personnel japonais «totalement blême», il craint le pire pour «sa» communauté française du Japon (près de 9 000 personnes). Une cellule de crise est montée dans l’atrium de la nouvelle ambassade montée sur ressorts, «qui a tangué comme un bateau».

Cette cellule est composée de 10 à 20 personnes (la vice-consule, une conseillère scientifique, une attachée culturelle, des volontaires internationaux et l’épouse de l’ambassadeur venue prêter main-forte) derrière un ordinateur, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Puis, c’est l’enchaînement infernal : le tsunami, les défaillances en série des réacteurs nucléaires de Fukushima. «J’étais obsédé par ces questions. Combien de Français avaient été touchés par le séisme et le tsunami ? Combien étaient concernés par les centrales défaillantes ou susceptibles de l’être ? On croyait à chaque fois que c’était fini, mais le pire continuait. Notre stress était maximal. Dans un moment pareil, le décalage horaire avec Paris est encore plus épuisant.»

«Précaution». L’ambassade doit alors informer vite et bien. «Dans l’urgence, en recoupant toutes les données, tout en gérant plus de 1 000 appels par jour», dit Jules Irrmann, le conseiller médias de l’ambassade. «Puis a été annoncée comme sûre une réplique de force 7, explique Philippe Faure. J’ai fait jouer alors le principe de précaution. Nous avons conseillé aux Français vivant à Tokyo de s’éloigner quelques jours. Ce bon sens m’a d’ailleurs été reproché par certains qui ont depuis pris l’avion…»

Vendredi soir, il restait au Japon près de 1 800 Français. Chaque jour, Philippe Faure dort trois heures à l’aube. Il veut être sur tous les fronts. Il gère quantité d’appels et de téléconférences (avec le Quai d’Orsay ou François Fillon hier) ; doit communiquer avec les autorités japonaises et avec Paris ; tenir d’incessantes réunions de crise ; suivre les avis et décisions des 500 entreprises françaises au Japon ou encore savoir quels Français feraient mieux de s’éloigner en priorité des zones à risques… «L’aide de Thierry Consigny, secrétaire général des Français de l’étranger, chargé du Japon, a été précieuse. Il a convaincu certains Français dont la situation n’était pas la meilleure de partir, et participé à la distribution des pastilles d’iode. L’aide de chacun n’était pas de trop.» Notamment celle d’Olivier Isnard, expert de l’Institut français de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), venu de Paris. «Un scientifique hors pair. Il nous aide à délimiter les risques.»

Sang-froid. L’ambassade a accueilli un psychiatre, le Dr Cremniter, venu calmer les esprits. «A la distribution des pastilles d’iode, des Français ne pourront garder leur sang-froid et voudront vous faire payer le séisme !» a dit Philippe Faure. «Nous avons monté en trente-six heures la mission de la sécurité civile. Avec l’aide de certaines entreprises, il a fallu trouver des bus, des camions et de l’essence. Et 120 sapeurs-pompiers et soldats. Des individus exemplaires. Tout comme ce cadre de Véolia qui a accepté de conduire un des bus. On lui a dit : "Vous êtes prêt à partir dans une zone irradiée où l’on va chercher des cadavres ?" Il a répondu : "Je suis un fils de résistant espagnol. J’ai appris l’entraide et la solidarité. On a besoin de moi, je viens."»