Le 6 novembre, en notre qualité de rapporteurs spéciaux du budget, mon collègue Roland du LUART et moi-même avons présenté devant la commission des finances du Sénat notre rapport sur les crédits de la mission « Action extérieure de l’État » (voir la note de présentation).

2014 sera une année de grand sérieux budgétaire pour de nombreuses missions. La mission « Action extérieure de l’État » ne fait pas exception même si les programmes (105, 185 et 151) connaissent une évolution contrastée.

Le budget global de la mission est en baisse de 0,7%, à périmètre constant et en euros courants. Les crédits sont ainsi légèrement inférieurs à l’annuité 2014 prévue par la dernière loi de programmation des finances publiques. Les emplois diminuent également (-290 équivalents temps plein, pour un plafond de 14.505 ETP en 2014).

Le ministère des affaires étrangères a donc dû faire des choix, qu’on imagine parfois difficiles, en préparant ce budget.

Les crédits du programme 151 « Français à l’étranger et affaires consulaires » augmentent de 5% par rapport à 2013, en net contraste avec les deux autres programmes.
Certes, une partie de l’augmentation est « subie » par le ministère des affaires étrangères :

  • d’une part, sur ce programme comme ailleurs, les charges de personnel augmentent alors même que les effectifs diminuent. Il faut voir là l’effet de facteurs inflationnistes propres aux personnels basés à l’étranger ;
  • d’autre part, 2014 sera une année électorale et 6 millions d’euros seront budgétés à ce titre (4 millions pour les élections à l’Assemblée des Français de l’étranger et 2 millions pour les élections européennes).

Cependant, deux véritables choix du Gouvernement sont à souligner et à saluer.
Je pense à la préservation des crédits d’aide sociale à destination de nos compatriotes établis hors de France. La ligne budgétaire correspondante (19,8 millions d’euros) est intégralement maintenue dans ce projet de loi de finances.
Je pense aussi et surtout à l’aide à la scolarité des élèves français étudiant dans des établissements français du premier ou du second degré situés à l’étranger. Quand le gouvernement de Jean-Marc AYRAULT a décidé la suppression de la prise en charge des frais de scolarité (PEC), dans le cadre du collectif budgétaire de l’été 2012, il a promis d’étendre les bourses scolaires à caractère social de sorte à « rattraper » budgétairement la fin de la prise en charge entre 2013 et 2015. Aujourd’hui, je suis heureux de constater que, même dans un contexte budgétaire difficile, le Gouvernement tient son engagement : les crédits affectés aux bourses progresseront ainsi sensiblement, passant de 110,3 millions d’euros à 118,8 millions d’euros.

Pour ce qui concerne le programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence », la baisse des crédits s’élève à 3%. Cela peut se comprendre, dès lors qu’une large part des crédits est destinée à des opérateurs de l’État, lesquels sont désormais invités à participer aux nécessaires efforts financiers à fournir. L’Institut français, Campus France et l’Agence française pour l’enseignement à l’étranger (AEFE) verront donc chacun leurs crédits diminuer en 2014.
Les crédits de l’AEFE diminueront de 8,5 millions d’euros pour s’établir à 420 millions d’euros. Le Gouvernement m’a indiqué que l’essentiel de la baisse sera, en fait, « absorbée » par la stabilisation du taux de cotisation patronale au compte d’affectation spéciale (CAS) pensions – alors qu’une augmentation de 1,34% était initialement programmée. Je prends acte de ces explications. Pour autant, il me semble important de préserver pleinement les moyens d’action de l’AEFE, en cohérence avec la priorité donnée par le Président de la République à l’éducation et à la jeunesse.

Dans un deuxième temps, j’ai présenté à mes collègues les conclusions de mes travaux de contrôle, qui, cette année, ont porté sur les conditions de recrutement et d’emploi des enseignants français à l’étranger.
Le décret du 4 janvier 2002 prévoit deux catégories de fonctionnaires détachés au sein des établissements d’enseignement français à l’étranger :

  • d’une part, les personnels expatriés, au nombre de 1.126 au 31 décembre 2012, qui sont recrutés par un contrat d’une durée de trois ans, renouvelable expressément deux fois pour une durée d’un an. Ces postes sont avant tout destinés aux missions d’encadrement, de formation et de contrôle. Une lettre de mission est jointe à leur contrat. Outre leur rémunération indiciaire, les personnels concernés perçoivent une prime d’expatriation ;
  • d’autre part, les personnels résidents. Au nombre de 5.372 fin 2012, ils sont censés être « établis dans le pays depuis trois mois au moins à la date d’effet du contrat » (ce qui est généralement une fiction mais aboutit à retarder d’un trimestre leur entrée dans le statut). Sont également considérés comme résidents les fonctionnaires qui, pour suivre leur conjoint, résident dans le pays d’exercice ou de résidence de ce conjoint. Les résidents perçoivent, outre leur rémunération indiciaire, une indemnité spécifique de vie locale (ISVL) en fonction du pays où ils exercent ainsi qu’un avantage familial. Les contrats, d’une durée de trois ans, sont renouvelables tacitement sans limitation dans le temps.

Il est enfin à noter que des titulaires de l’éducation peuvent travailler au sein du réseau sans pour autant entrer dans l’un ou l’autre de ces statuts. Tel est, en particulier, le cas de conjoints de personnels résidents qui exercent parfois leurs fonctions sur place, avec un statut de « personnel recruté localement ».
Si, globalement, le système fonctionne correctement (ce que montre l’attractivité de notre réseau d’établissements), mon attention a été attirée sur plusieurs types de problèmes.
Des problèmes d’effectifs : le nombre d’élèves scolarisés à l’étranger croît (à la rentrée 2011, une progression de 3,8% du nombre d’élèves a été enregistrée, le nombre d’élèves accueillis atteignant alors 306.475). Or, le plafond d’emplois de l’AEFE n’augmente pas, ce qui pourrait, à terme, créer des tensions.
Des problèmes de recrutement : il ressort des auditions que j’ai menées que, quelle que soit la nature des postes visés (expatriés ou résidents), les recteurs, qui ne sont pas partie prenante du processus de sélection, disposent en pratique d’un droit de véto sur le détachement envisagé. Or, ces refus deviendraient plus fréquents, notamment dans certaines académies qui connaissent elles-mêmes des tensions en termes d’effectifs.
Des problèmes liés à la répartition des effectifs : la proportion de personnels détachés dans le corps enseignant est très variable d’un établissement à l’autre, allant de moins de 10% à plus de 80%. De plus, la situation actuelle est bien davantage le reflet de situations « historiques » que liée aux réels besoins de chaque établissement. Si les écarts devaient se maintenir ou se creuser, l’image du réseau pourrait en être affectée.
Enfin, des organisations représentatives du personnel soulignent certaines difficultés statutaires, concernant, en particulier, le vide juridique dans lequel les futurs résidents se trouvent pendant les trois mois au cours desquels ils ne peuvent justement pas être considérés comme résidents, ou encore la situation de certains conjoints de résidents qui souhaiteraient eux-mêmes bénéficier de ce statut.

Face à cela, plusieurs types de solutions peuvent être envisagés.
Tout d’abord, il me semblerait équitable que l’AEFE soit pleinement incluse dans la priorité donnée à l’éducation nationale par le Gouvernement. Rappelons, à cet égard, que la première mission que l’article L. 452-2 du code de l’éducation assigne à l’AEFE est « d’assurer, en faveur des enfants français établis hors de France, les missions de service public relatives à l’éducation ». Dès lors, il n’y a pas de raison d’exclure l’agence du périmètre de la création de 60.000 emplois dans l’enseignement sur la durée de la législature fixée la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. La création de 100 à 150 postes par an d’ici à 2017 correspondrait à la « quote-part » de l’AEFE au sein du système éducatif et permettrait de répondre aux besoins.
Pour autant, un accroissement des emplois devrait être envisagé dans un cadre pleinement optimisé. À cet égard, il est indispensable d’introduire de la souplesse au sein du système, la direction de l’AEFE devant être capable de répartir les effectifs sous statut en fonction des besoins réels – cela pourrait d’ailleurs permettre de diminuer les besoins de l’AEFE en personnels titulaires dans une proportion d’environ 25 à 30 postes par an. Il faut donc que l’État appuie pleinement cette orientation, notamment au sein du conseil d’administration de l’agence. Bousculer des habitudes bien ancrées dans de nombreux établissements se heurtera nécessairement à des résistances qui ne pourront être surmontées que par une forte volonté politique. Afin d’enclencher le mouvement, le pouvoir politique devrait ainsi fixer des bornes à respecter dans un délai donné par l’ensemble des établissements du réseau en matière de taux d’encadrement, par exemple un minimum de 25 % et un maximum de 75 %.
S’agissant des vétos opposés par certains recteurs à des détachements, je considère qu’ils peuvent se comprendre dès lors qu’un départ sous statut de résident se traduit par un départ éventuellement définitif de la personne détachée. Le détachement constitue alors une « perte sèche » du strict point de vue de l’éducation nationale. Afin de remédier à cela, une piste pourrait être la limitation du nombre de renouvellement des contrats de résidents, au moins pour les contrats futurs. Dans un tel schéma, les recteurs sauraient que les personnels détachés reviendraient enseigner en France, enrichis par une expérience dont ils pourraient faire profiter leur établissement. Ce parcours devrait d’ailleurs être valorisé à sa juste mesure au sein de l’éducation nationale.
Accessoirement, une meilleure connaissance mutuelle de deux univers qui s’ignorent trop souvent pourrait passer par des opérations de type « jumelage » entre les établissements d’un pays et une académie.
Pour ce qui concerne les statuts, la piste de l’élaboration d’un statut unique pourrait être avancée, d’autant que la différence entre expatriés et résidents est souvent assez artificielle. Cela permettrait sans doute de répondre à coût constant aux autres préoccupations exprimées par les personnels. Mais il s’agit, bien sûr, d’un sujet sensible et délicat, à la limite du champ de mon contrôle, sur lequel je ne m’avancerai donc que prudemment.

Enfin, j’ai fait adopté à l'unanimité des membres de la commission un amendement tendant à réduire de 150.000 euros les crédits du programme 105 (action n°7) afin de donner une suite au contrôle budgétaire que j’ai effectué l’année dernière au sujet des ambassadeurs thématiques. Il est de même esprit qu’un amendement que j’avais déjà fait adopter l’année dernière par la commission.
Pour mémoire, mon contrôle avait conclu que les ambassadeurs thématiques ne constituaient pas vraiment un enjeu budgétaire, les crédits dévolus à ces postes étant relativement modiques (inférieurs à 725.000 euros pour l’ensemble des programmes du ministère des affaires étrangères). Pour autant, le nombre de ces ambassadeurs (vingt-huit) était apparu excessif. De plus, les conditions de nomination de près de la moitié d’entre eux, par une simple note de service, sont très discutables, la Constitution précisant que les ambassadeurs doivent être nommés en Conseil des ministres.
Depuis lors, le mouvement ne s’est pas inversé, la nomination d’autres ambassadeurs de ce type étant annoncée (notamment sur le sport) sans qu’aucun « ménage » ne soit fait. Cet amendement vise donc à manifester la vigilance sur le sujet afin d’éviter toute dérive. La somme correspondante pourra utilement abonder les crédits de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), au sein du programme 185 (action n°5) – en cohérence avec la priorité donnée à l’école et à la jeunesse.

Les crédits de la mission « Action extérieure de l’État », modifiés par mon amendement, ont été adoptés par la commission des finances. Ils devraient être examinés en séance publique le mercredi 4 décembre. La version définitive de mon rapport sera disponible 48 heures avant le débat.