Le 17 juin, j’ai participé, dans le cadre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à un échange de vues sur un rapport d’information relatif à l’impact de la crise sanitaire sur l’enseignement français à l’étranger.

Ce rapport d’information a été préparé par les rapporteurs pour avis du budget de la diplomatie culturelle et d’influence (programme 185), Robert del Picchia et André Vallini. Vous pouvez le lire en cliquant ici.

Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu de la présentation du rapport et de l’échange de vues.

M. Robert del Picchia. - Monsieur le Président, mes chers collègues, la crise sanitaire a mis les établissements d’enseignement français à l’étranger en grande difficulté. La commission a été la première instance à attirer l’attention sur ces difficultés. La situation reste très préoccupante du fait de la crise économique. Des familles françaises expatriées se voient contraintes de rentrer en France. D’autres familles, françaises et étrangères, n’auront plus les moyens de payer des frais de scolarité élevés et pourraient se replier sur l’enseignement local, souvent gratuit.

D’où notre très grande inquiétude pour l’avenir de notre réseau d’écoles françaises à l’étranger.

Je rappelle que ce réseau compte 522 établissements homologués, implantés dans 139 pays. Ces établissements scolarisent 370 000 élèves dont un tiers de nationalité française et deux tiers de nationalité étrangère. Sans ces familles étrangères, le réseau ne pourrait pas fonctionner. C’est un réseau en croissance puisque 30 nouveaux établissements ont été homologués à la rentrée dernière.

Depuis 2018, ce réseau connaît une nouvelle dynamique, dans le cadre du plan pour la langue française et le plurilinguisme qui a fixé l’objectif d’un doublement des effectifs d’ici à 2030. Le contexte est toutefois fragile. Les établissements sont soumis à des pressions financières. Des blocages structurels persistent.

Dans ce contexte, la crise sanitaire a entraîné la fermeture de la quasi-totalité des 522 établissements. 156 établissements ont rouvert à ce jour. Mais ce sont des réouvertures partielles. Beaucoup d’écoles et de lycées restent fermés, notamment en Afrique, en Amérique et en Asie. De nombreuses associations de parents d’élèves ont demandé des rabais sur les droits d’inscription pour le troisième trimestre. Il s’agit de tenir compte des limites de la continuité pédagogique et des difficultés financières des familles, mais aussi de l’existence de dispositifs de chômage partiel susceptibles d’alléger les charges de certains établissements.

Il s’agit surtout, en définitive, de maintenir le lien de confiance avec les familles. J’aurais souhaité, personnellement, que le Président de la République adresse un message à ces familles pour les rassurer en réaffirmant le soutien de l’État à la pérennité et à la qualité de notre réseau.

Depuis la présentation de notre communication écrite, un plan de soutien a été annoncé par le Ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je laisse sur ce point la parole à André Vallini.

M. André Vallini. - Monsieur le Président, mes chers collègues, notre communication écrite d’avril appelait à un plan d’urgence : d’abord pour venir en aide aux familles, grâce à une augmentation des bourses et à des aides d’urgence, y compris pour les familles étrangères. Nous demandions également un soutien aux établissements, à l’aide d’une modulation des taux de participation au budget de l’AEFE, et en portant une attention particulière à la situation des établissements de petite taille.

Le 30 avril, le gouvernement a présenté un plan de soutien global, répondant en partie à nos attentes. Olivier Brochet, directeur de l’AEFE, nous a présenté ce plan le 7 mai dernier, en visioconférence. Ce plan comporte :

  • D’une part, une avance de l’Agence France Trésor, d’un montant de 100 millions d’euros, pour aider le réseau de l’AEFE ;
  • D’autre part, une revalorisation de l’enveloppe des aides à la scolarité, à hauteur de 50 millions d’euros.

Je ferai trois remarques à propos de ces annonces :

  • En premier lieu, il est prévu que les montants du plan de soutien puissent être ajustés si nécessaire. L’abondement de 50 millions d’euros pour les bourses est un premier pas, probablement insuffisant. La communication a été insuffisante vers les familles et comme les commissions consulaires des bourses ont eu lieu avant le déploiement des aides on peut craindre que les 50 millions d’euros ne soient pas dépensés. Cet abondement devra, par ailleurs, être pérennisé, pour contribuer au développement du réseau qui ne peut se faire à budget constant. Nous y veillerons lors de l’examen des prochaines lois de finances.
  • Les avances de France Trésor doivent, par ailleurs, pouvoir être transformées en crédits budgétaires. À ce stade, il est prévu que l’Agence rembourse à terme les sommes avancées. Or cette contrainte financière aura inévitablement des répercussions sur les établissements. Il faut à tout prix l’éviter.
  • Enfin, nous appelions de nos voeux un diagnostic précis de la situation, s’agissant tant des réinscriptions que des nouvelles inscriptions. Ce diagnostic demeure partiel mais il progresse.

L’AEFE dispose aujourd’hui d’éléments qui concernent 70 % des établissements. Pour ces établissements, la baisse des effectifs serait de l’ordre d’environ 10 000 élèves. La baisse est particulièrement forte en Asie (-10%). Elle serait également significative sur la zone Moyen-Orient/Proche-Orient (- 5,3%). Dans cette zone, qui comprend le Liban, les effectifs pourraient diminuer de 5 000 à 6 000 élèves. Il est à craindre que de nombreux emplois soient menacés notamment les résidents et agents de droit local (ADL). Il est urgent de sécuriser les familles en cette période de pré-inscription. Par ailleurs, l’homologation de 12 nouveaux établissements partenaires et l’extension d’homologations existantes permettront l’arrivée de 5 000 nouveaux élèves dans le réseau. Nous resterons vigilants sur le déploiement des 1 000 postes prévus dans les neuf prochaines années.

Ce bilan que nous venons de présenter est provisoire. Les conséquences de la crise restent à analyser. De nombreux établissements en grande difficulté n’ont pas encore pu communiquer leurs prévisions. Nous resterons donc très attentifs à l’évolution de la situation dans les prochaines semaines, ainsi qu’à l’adéquation des mesures prises dans le cadre du plan de soutien. Aucun établissement ne doit fermer. Les frais de scolarité ne doivent pas augmenter. La consolidation du réseau est en effet un préalable indispensable à son développement sur la base de moyens suffisants.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Merci aux rapporteurs d’avoir soulevé des points essentiels, à un moment très difficile pour l’AEFE, dont nous devons garantir la survie. Nous nous réjouissons des annonces du gouvernement mais attendons la transformation des avances de France Trésor en crédits budgétaires. À défaut, il est difficile d’inciter les établissements à demander une aide qui risquerait de se traduire ensuite, lors de son remboursement, par des augmentations de frais de scolarité. Nous resterons donc attentifs.

Sur l’aménagement des bourses scolaires, le dispositif mis en place semble réduire le rôle des conseillers consulaires. Les conseils consulaires n’ont pas pu se tenir convenablement. Les dossiers n’ont semble-t-il pas toujours pu être consultés et préparés à l’avance. Ces dossiers doivent être déposés par les familles sur internet. Il en résulte que ces aides ne sont pas toujours accessibles à ceux qui en ont le plus besoin. Beaucoup de familles éligibles, notamment les familles étrangères, n’ont pas été en mesure de déposer de demande. Je rejoins André Vallini sur le risque de non-consommation de l’abondement de 50 M€ annoncés.

Est-il raisonnable, dans ces conditions, de maintenir l’objectif de doublement des effectifs à l’horizon 2030, sans augmentation substantielle de l’enveloppe des bourses ? L’augmentation du nombre d’établissements homologués ne risque-t-elle pas d’affaiblir l’AEFE ? L’augmentation des crédits de l’AEFE de 25 millions d’euros est bien là pour soutenir l’ouverture de nouveaux établissements, pas pour compenser l’annulation de 33 millions d’euros de 2017. Quel est votre avis sur l’équilibre financier de l’AEFE ?

M. Olivier Cadic. - Merci aux rapporteurs pour ces éléments et leur mise à jour. Le doublement des effectifs à horizon 2030 est un objectif fondamental. Depuis 20 ans, l’enseignement français à l’étranger est passé de 240 000 à 370 000 élèves. Alors que le rapport avec l’enseignement anglo-saxon était de 1 à 3, il est aujourd’hui de 1 à 20. Si cette tendance se poursuit, notre enseignement aura quasiment disparu au niveau international dans vingt ans. C’est pourquoi il est important de recréer une dynamique. Le développement de l’offre doit-il, selon vous, rester notre objectif ?

J’ai les mêmes retours qu’Hélène Conway-Mouret : la bureaucratie décourage les bénéficiaires potentiels des aides. L’accès des familles étrangères est essentiel, comme l’a indiqué Robert del Picchia. Ces familles étrangères doivent être accompagnées. Elles sont actuellement frappées par la masse de documents qui leur est demandée.

Prévoyez-vous d’analyser la façon dont les dossiers ont été étudiés et le fonctionnement de nos conseils consulaires ? Cet examen des dossiers semble inégal car l’administration ne réagit pas toujours de la même manière aux circulaires de Paris.

M. Richard Yung. - Il faut garder en tête ce plan de doublement des effectifs même si l’objectif sera difficile à atteindre. La première année de mise en oeuvre a montré qu’il y avait des possibilités importantes de trouver des financeurs pour des établissements français à l’étranger. Il faut poursuivre sur cette voie.

Le soutien aux parents non français est absolument crucial. Les 50 M€ ne suffiront pas. L’avenir du système en dépend.

M. André Vallini. - Je partage vos remarques. Les 50 M€ ne suffiront pas. La relance économique mobilise des centaines de milliards d’euros... les sommes que nous évoquons ici sont, en comparaison, modestes. Il ne faut pas sous-estimer l’influence du soft power de l’enseignement français à l’étranger. C’est un élément essentiel du rayonnement non seulement culturel mais aussi économique de la France.

Il faut continuer à soutenir le plan de doublement des effectifs mais pas à moyens constants. Une augmentation des crédits est nécessaire.

M. Robert del Picchia. - Il est nécessaire de mieux informer, de mieux communiquer auprès des familles françaises et étrangères, y compris celles n’ayant encore jamais demandé de bourses ou d’aides. Les consulats doivent y veiller et ne pas freiner les demandes.

Pour doubler les effectifs, il faut augmenter le budget et étendre le réseau. Des voies diverses s’ouvrent à nous pour développer non seulement l’enseignement français à l’étranger mais aussi, plus généralement, l’enseignement francophone.

La commission autorise la publication du rapport d’information, adopté à l’unanimité.