J’avais écrit le 12 juin 2012 à Pierre Moscovici afin d’appeler son attention sur l’inégalité de traitement induite par l’instruction fiscale du 13 janvier 2012 relative à la déductibilité des charges supportées par les non-résidents fiscaux percevant majoritairement ou exclusivement des revenus de source française. (lire ma lettre)

Vous trouverez ci-dessous, dans la réponse de Pierre Moscovici, la confirmation que la jurisprudence « Schumacker » n’est pas applicable aux Français qui résident hors de l’Union européenne. Je vais entamer des discussions avec le gouvernement sur la possibilité d’étendre cette jurisprudence aux autres Français établis hors de France.

Paris, le 10 OCT. 2012

Monsieur le Sénateur, cher Richard,

Vous avez bien voulu appeler mon attention sur vos préoccupations concernant la non-déductibilité, du revenu imposable, de certaines charges versées par des personnes fiscalement non résidentes en France.

Après un examen attentif par la Direction de la Législation fiscale, les éléments suivants peuvent être apportés.

En application des dispositions de l’article 197 A du code général des impôts, et contrairement aux personnes fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B du même code qui sont soumises à l’impôt sur l’ensemble de leurs revenus, qu’ils soient de source française ou de source étrangère, les personnes fiscalement non-résidentes en France sont imposables sur leurs seuls revenus de source française, sous réserve des dispositions des conventions internationales, ce qui restreint la progressivité de l’impôt.

C’est pour tenir compte de cette différence objective de situation entre résidents et non-résidents que, conformément à l’article 164 A du code précité, les personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal en France et qui sont, de ce fait, soumises à une obligation fiscale limitée, ne peuvent déduire aucune charge de leur revenu. Il en est de même pour la plupart des réductions et crédits d’impôt sur le revenu.

La Cour de Justice de l’Union européenne ayant jugé que les contribuables non-résidents devaient être assimilés à des personnes fiscalement domiciliées en France, au sens du droit interne, tout en restant soumises à une obligation fiscale limitée, au sens des conventions internationales, lorsqu’ils tirent de la France la majorité ou la quasi-totalité de leurs revenus (arrêt « Schumacker » du 14 février 1995, affaire C 279/93), l’instruction administrative du 13 janvier 2012 publiée au bulletin officiel des impôts sous la référence 5 B-1-12, a tiré les conséquences de cette décision en matière d’impôt sur le revenu.

Sont concernés les contribuables, dit non-résidents « Schumacker », qui sont domiciliés dans un autre Etat membre de l’Union européenne, ou dans un Etat partie à l’Espace économique européen (EEE) ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale.

A cet égard, l’absence d’extension du bénéfice des dispositions de l’instruction 5 B-1-12 aux non-résidents établis dans les Etats autres que ceux cités ci-dessus, est fondée sur les deux observations suivantes :

- en premier lieu, la transposition en doctrine fiscale des principes posés par l’arrêt « Schumacker » précité découle de l’obligation à laquelle est tenue la France de respecter les principes communautaires, tels qu’ils sont interprétés par la Cour de Justice de l’Union européenne (UE).

Or, il découle de l’arrêt « Schumacker » précité que les non-résidents domiciliés dans un autre Etat membre de l’UE, ou dans un Etat partie à l’EEE ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l’évasion fiscale, et tirant l’essentiel de leurs revenus en France, ne peuvent être exclus du bénéfice de divers avantages fiscaux dès lors qu’une telle situation constituerait un obstacle à la libre circulation des personnes et à la liberté d’établissement au sein de l’UE et de l’EEE.

Ce principe communautaire ne trouve pas à s’appliquer pour les résidents des autres Etats avec lesquels la France n’a pas conclu d’accords équivalents.

- en second lieu, la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE est susceptible de s’appliquer à tous les Etats-membres, ce qui implique une réciprocité aux termes de laquelle un Français imposé dans un autre Etat membre peut, le cas échéant, se prévaloir des principes posés par l’arrêt « Schumacker ». Or les Français qui résident dans d’autres Etats ne pourraient pas bénéficier d’une telle réciprocité.

C’est donc à bon droit et dans le respect de l’égalité de traitement, que l’administration fiscale a pu se borner à tirer les conséquences de l’arrêt précité dès lors que les non-résidents établis dans les Etats autres que ceux de l’UE et de l’EEE sont placés dans une situation objectivement différente de celle des «non-résidents Schumaker », qui ne justifie pas l’extension du bénéfice des dispositions de l’instruction 5 B-1-12.

Je vous prie de croire, Monsieur le Sénateur, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

Amitiés,

Pierre MOSCOVICI