Comme on pouvait s’y attendre, le Conseil d’État a jugé illégal l’assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus du patrimoine perçus par les personnes non affiliées à la sécurité sociale française.

Par une décision en date du 27 juillet, la haute juridiction administrative a statué définitivement dans une affaire relative à l’assujettissement aux prélèvements sociaux (CSG, CRDS, prélèvement social de 2%, contribution additionnelle de 0,3%) de rentes viagères versées par deux sociétés néerlandaises à un résident de France - aujourd’hui décédé - affilié à la sécurité sociale néerlandaise.

À l’instar de la Cour de justice de l’Union européenne (voir mon article du 26 février), le Conseil d’État considère que les personnes résidant en France qui relèvent du système de sécurité sociale d’un autre État membre de l’UE ne peuvent pas être assujetties aux prélèvements sociaux français au titre de leurs revenus du patrimoine. Étant donné que ces prélèvements participent au financement de régimes obligatoires de sécurité sociale, ils relèvent du champ d’application du règlement européen de coordination des régimes de sécurité sociale, qui pose le principe de l’unicité de législation.

Je me réjouis de cette décision, qui était très attendue. Il appartient à présent au Gouvernement d’en déterminer la portée pour ce qui concerne les non-résidents, dont les revenus immobiliers (loyers, plus-values) de source française sont assujettis aux prélèvements sociaux depuis 2012.

Les personnes résidant à l’étranger qui ne sont pas affiliées à la sécurité sociale française sont désormais en droit de réclamer le remboursement :

  • des prélèvements sociaux acquittés au titre des revenus fonciers perçus en 2012, 2013 et 2014 ;
  • des prélèvements sociaux payés au titre des plus-values immobilières réalisées à compter du 1er janvier 2013.

D’après les informations dont je dispose, ce remboursement ne sera pas automatique. D’où la nécessité d’envoyer une lettre de réclamation au service des impôts des particuliers non-résidents. Les demandes devraient être traitées par une cellule spéciale qui sera prochainement mise en place par le ministère des finances et des comptes publics. Afin que toutes les personnes concernées puissent faire valoir leurs droits, je souhaite qu’une information compréhensible leur soit communiquée, notamment par l’intermédiaire des sites internet des ambassades et des consulats.

Dans la perspective de la restitution des sommes indûment prélevées, le Gouvernement a provisionné 0,5 milliard d’euros sur deux ans (0,1 milliard d’euros en 2015 et 0,4 milliard d’euros en 2016).

La question est de savoir si les non-résidents établis dans les États tiers à l’UE seront concernés par ce dispositif de remboursement. Au nom des principes d’égalité et de libre circulation des capitaux, je considère que tous les non-résidents affiliés à la sécurité sociale de leur pays de résidence (UE/hors UE) devraient pouvoir bénéficier de la restitution des sommes acquittées à tort.

Par ailleurs, la décision du Conseil d’État va obliger le Gouvernement à modifier la législation en vigueur. Cette réforme devrait intervenir cet automne, à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2016. Pour ma part, j’estime que le Gouvernement devrait proposer au Parlement l’abrogation pure et simple de l’assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus immobiliers de source française perçus par les non-résidents affiliés à la sécurité sociale de leur pays de résidence (UE/hors UE). Pour mémoire, en 2001, la France, après avoir été condamnée par la CJUE, avait mis fin à l’assujettissement à la CSG et à la CRDS des revenus d’activité et de remplacement perçus par les non-résidents qui ne sont pas à la charge d’un régime français de sécurité sociale.

À la rentrée, je ferai le point avec le Gouvernement et les services de Bercy sur les conséquences pratiques de la décision du Conseil d’État.

Vous pouvez lire ci-dessous le texte de cette décision :


Conseil d'État

N° 334551
ECLI:FR:CESSR:2015:334551.20150727
Inédit au recueil Lebon

10ème et 9ème sous-sections réunies

M. Vincent Villette, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats

Lecture du lundi 27 juillet 2015

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Vu la procédure suivante :

Par une décision du 17 juillet 2013, le Conseil d'État, statuant au contentieux sur les pourvois du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat tendant à l'annulation des arrêts n° 06MA01101 du 15 octobre 2009 et nos 07MA01676, 09MA00513 et 09MA003828 du 1er juillet 2010 de la cour administrative d'appel de Marseille, après avoir annulé ces arrêts et décidé de régler les affaires au fond, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question de savoir si des prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine tels que la contribution sociale sur les revenus du patrimoine, la contribution pour le remboursement de la dette sociale assise sur ces mêmes revenus, le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle à ce prélèvement, présentent, du seul fait qu'ils participent au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, et s'ils entrent ainsi dans le champ de ce règlement.

Par un arrêt n° C-623/13 du 26 février 2015, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur cette question.

Par un mémoire récapitulatif et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 13 avril et 28 avril et les 2 et 29 juin 2015, le ministre des finances et des comptes publics persiste dans ses conclusions antérieures et demande le maintien des prélèvements sociaux relatifs aux années 1999 à 2004, auxquels M. D...a été assujetti à raison des rentes viagères à titre onéreux qu'il a perçues de sources néerlandaises.

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'État du 17 juillet 2013 ;

Vu :
- le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971 ;
- l'arrêt n° C-623/13 du 26 février 2015 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. B...D...et de Mme C...A...;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 13 du règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : " 1. (...) les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre. ", que le a) du 2. de ce même article dispose que : " la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d'un autre État membre (...) " ;

2. Considérant que dans l'arrêt du 26 février 2015 par lequel elle s'est prononcée sur la question dont le Conseil d'État, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine tels que la contribution sociale sur les revenus du patrimoine, la contribution pour le remboursement de la dette sociale assise sur ces mêmes revenus, le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle à ce prélèvement présentent un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement du 14 juin 1971 et qu'ils entrent ainsi dans le champ de ce règlement ;

3. Considérant qu'il résulte de l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne que les prélèvements fiscaux litigieux, assis sur les rentes viagères à titre onéreux perçues de sources néerlandaises par M.D..., entrent dans le champ du règlement du Conseil du 14 juin 1971 dès lors qu'ils participent au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale ; qu'il suit de là qu'ils sont soumis au principe d'unicité de législation posé par l'article 13 du règlement du 14 juin 1971 cité au point 1 ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. D...était salarié de la société néerlandaise Vermeer Verenigde Bedrijven BV, dont le siège est aux Pays Bas ; que, si ses fonctions de responsable de la négociation de grands contrats à l'étranger lui permettaient de résider en France, cette seule circonstance, alors que la société néerlandaise qui l'employait n'avait en France aucun établissement stable, ou succursale ou représentation, et dirigeait l'activité de M. D...depuis les Pays-Bas, ne suffisait pas à le faire regarder comme exerçant une partie de son activité en France ; que, par suite, et en application des dispositions de l'article 13 du règlement du Conseil du 14 juin 1971, M. D...ne saurait être soumis à la législation sociale française et relevait du seul régime de sécurité sociale néerlandais, sans qu'ait d'incidence sur ce point la circonstance qu'il en ait demandé confirmation à la caisse française dont il aurait dépendu ; que les dispositions du règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatives à divers cas d'emploi par plusieurs entreprises ou d'activités salariés dans plusieurs pays ne sauraient non plus être invoquées, dès lors qu'elles ne pouvaient concerner la situation de M. D... ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que MmeA..., venant aux droits de M.D..., est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille et le tribunal administratif de Nîmes ont rejeté les demandes de son époux tendant à ce qu'il soit déchargé des prélèvements auxquels il a été assujetti sur les revenus du patrimoine en litige, au titre des années 1997 à 1999, et 2001 à 2004 ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros à verser à MmeA..., veuveD..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


D É C I D E :
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Article 1 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 13 février 2006 est annulé en tant qu'il a statué sur les compléments d'imposition auxquels M. D...a été assujetti au titre des années 1997 à 1999 à raison des rentes viagères à titre onéreux qu'il a perçues de sources néerlandaises.

Article 2 : Les jugements du tribunal administratif de Nîmes en date des 27 février 2007, 2 décembre 2008 et 15 septembre 2009 sont annulés en tant qu'ils ont statué sur les compléments d'imposition auxquels M. D...a été assujetti au titre des années 2001 à 2004 à raison des rentes viagères à titre onéreux qu'il a perçues de sources néerlandaises.
Article 3 : M. D...est déchargé des cotisations de contribution sociale généralisée, de contribution pour le remboursement de la dette sociale, de prélèvement social de 2 % et de contribution additionnelle à ce prélèvement auxquels il a été assujetti au titre des années 1997 à 1999, et 2001 à 2004, à raison des rentes viagères à titre onéreux qu'il a perçues de sources néerlandaises.
Article 4 : L'État versera à Mme A...la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics et à Mme C...A....