Le 2 mai, j'ai interpellé le ministre de l'Intérieur sur deux dossiers dans lesquels je me suis beaucoup impliqué au cours des dernières années : les discriminations subies par les couples franco-étrangers et le contrôle juridictionnel de la rétention administrative des migrants.

Vous trouverez, ci-dessous, le texte de ma lettre.

 



Monsieur le Ministre,

Je souhaite attirer votre attention sur les discriminations subies par les couples franco-étrangers par rapport aux couples unissant des citoyens d'autres États membres de l'Union européenne à des ressortissants d'États tiers.

En l’état actuel du droit, par exemple, un ressortissant d’un État tiers conjoint d’un citoyen français a un statut moins favorable qu’un ressortissant d’un État tiers conjoint d’un ressortissant italien résidant en France.

En effet, contrairement aux ressortissants d’États tiers mariés à des citoyens non-français de l’UE, les conjoints extra-communautaires de Français ont l’obligation de solliciter la délivrance d'un visa de long séjour s'ils souhaitent séjourner en France pour une période supérieure à trois mois. Cette exigence pose plusieurs problèmes. Les délais d’attente sont ainsi souvent très longs alors même que le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prescrit une obligation de diligence. Les demandeurs sont même parfois contraints de saisir le juge administratif afin d’obtenir un titre de séjour. Par ailleurs, lorsque la demande de visa est effectuée auprès d’une préfecture, cette dernière oppose parfois des conditions qui ne sont pas prévues par les textes. 
J’ajoute que les conjoints de Français sont obligés de renouveler chaque année leur carte de séjour « vie privée et familiale ». Or, ces démarches administratives sont particulièrement lourdes et conditionnées au versement d’une taxe d’un montant égal à 87 euros. La situation de ces personnes peut même s’avérer très compliquée lorsque la demande de renouvellement est effectuée après un divorce lié à des violences conjugales. En effet, le titre de séjour n’est renouvelé de plein droit que lorsque la victime bénéficie d’une ordonnance de protection. Or, peu de victimes se voient remettre un tel document.
De plus, les conjoints de Français ne peuvent pas bénéficier de la délivrance de plein droit de la carte de résident et peuvent faire l’objet de mesures d’expulsion.

Saisi par la Cimade et le collectif « Les Amoureux au ban public », le Défenseur des droits a considéré, dans une décision du 9 avril dernier, que ces différences de traitement constituent une discrimination à rebours fondée sur la nationalité.

Estimant qu’il est ainsi porté atteinte au droit fondamental de mener une vie privée et familiale normale, garanti par l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il vous recommande de modifier le CESEDA (délivrance de plein droit de la carte de résident à la condition d’être mariés depuis au moins deux ans et de ne pas avoir rompu la communauté de vie ; renouvellement de plein droit du titre de séjour d’une personne victime de violence, même en l’absence d’ordonnance de protection ; exonération de toute taxe liée à la délivrance et au renouvellement du titre de séjour ; etc.).

Je me réjouis de cette décision, qui va dans le sens des revendications exprimées par les nombreux couples binationaux qui m’ont interpellé au cours des dernières années. Aussi souhaiterais-je savoir quelles suites le Gouvernement entend donner aux recommandations du Défenseur. Plus précisément, je vous serais très reconnaissant de bien vouloir m’indiquer si ces dernières trouveront leur traduction dans le futur projet de loi relatif à l’immigration. 

Je profite également de la présente pour vous interroger sur le contrôle juridictionnel de la rétention administrative des migrants. Comme vous le savez, la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité a fait passer de deux à cinq jours le délai à l’issue duquel l’administration doit saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) si elle souhaite maintenir un migrant en rétention. 
En 2011, lors de l’examen au Sénat du projet de loi dit « Besson », mes collègues du groupe socialiste et moi-même nous étions fermement opposés à cette disposition, dont on mesure aujourd’hui les effets désastreux. En effet, d’après la Cimade, plus de la moitié des personnes retenues sont actuellement expulsées sans bénéficier de l’intervention du JLD. 
Au regard de ce constat préoccupant pour l’État de droit, je vous saurais gré de bien vouloir m’indiquer si le Gouvernement envisage d’abroger le dispositif introduit en 2011 afin de faire intervenir le JLD dès le début de la rétention ou, à tout le moins, de rétablir le système antérieur, comme le propose le député Matthias FEKL.

Vous remerciant d’avance pour l’attention que vous voudrez bien porter à mes demandes, je vous prie de croire, monsieur le Ministre, à l’expression de ma haute considération.

Richard YUNG