Oum KalthoumC’est une mauvaise nouvelle : au Liban comme en Algérie, tout le monde me dit que la grande Oum Kalthoum est passée de mode. Sa musique fait date et renvoie aux années 50 et sans doute trop égyptienne. Pour nous, grands admirateurs, qui écoutions le concert du premier jeudi du mois, c’est un coup ! Notre entrée dans la culture arabe vieillit (et nous avec). À la suite de mon voyage en Algérie, je me reconvertis dans la musique arabe-andalouse et le malouf !

De mon récent séjour en Algérie, je ramène les observations suivantes :

  • Un blocage politique à peu près complet : il y a une apparence de démocratie (partis politiques, institutions, presse, ...) mais un verrouillage très fort. Les élections sont en partie truquées, la multiplication des partis permet de noyer le débat parlementaire. Il reste donc une Nomenklatura qui a la réalité du pouvoir et en particulier la gestion des 60 milliards d’euros annuels de la rente pétrolière. Elle est constituée pour l’essentiel par la Sécurité militaire, véritable cœur du pouvoir, le clan Bouteflika, la mouvance islamique. Les décisions varient au gré des rapports de force entre ces trois piliers, auxquels s’ajoutent divers groupes fluctuants selon les circonstances (UGTA, presse, tendances diverses du FLN, moudjahidines, ...). C’est ce qui donne cette impression de bateau ivre, navigant selon les vents et souvent schizophréniques. Un bon exemple en est l’enseignement. Il a été arabisé en 1974 pour tout le primaire et le secondaire. Le bac se fait donc en langue arabe et l’enseignement du français comme langue étrangère y est de mauvaise qualité. Mais l’enseignement supérieur et l’Université se font pour les sciences, la médecine, ... en français. Les étudiants ne peuvent donc pas, en pratique, profiter de cet enseignement et il en résulte un gaspillage incroyable de ressources et de qualité. Mais les équilibres sont tels que personne n’ose mettre la question sur la table. De même, un compromis entre les tendances islamisantes, présentes au sein du pouvoir et Bouteflika permet une islamisation (peut être souhaitée par la population comme le montre l’exemple récent de la Tunisie) et une attitude hostile vis à vis de la laïcité et du christianisme (répression des Algériens convertis, fermeture de fait des églises, ...) Après la DDR, les Wahhabites !
  • La presse est assez libre, critique vertement le Président (vieillissant et malade), le gouvernement, la disparition de l’Algérie de la scène internationale et pan arabe, l’islamisation rampante et l’antichristianisme primaire. Cet espace de liberté est cependant assez formel en ce sens que peu de citoyens lisent la presse et encore moins la presse de langue française, mais il existe.
  • L’opinion se manifeste sous forme de réactions, parfois violentes, à telle ou telle question, le plus souvent de la vie courante : salaires, logements, médicaments, ... Mais il n’y a pas de mouvement global, que ce soit politique ou idéologique. La période noire des années 1990 avec son cortège de 250000 morts a laissé une trace profonde dans les esprits et y annihile tout espoir d’action pour l’avenir, en dehors de l’amélioration de la vie quotidienne.
  • C’est sur ce mauvais compromis entre la population et le pouvoir que tout repose et c’est ce qui explique que l’Algérie n’ait pas -ou peu- bougée, en tous cas jusqu’à ce jour, lors du printemps arabe. Cette situation est aggravée par un complexe d’encerclement géographique. Chacune de ses frontières lui pose un problème qu’elle ne sait pas résoudre : la frontière avec le Maroc est fermée depuis des lustres à cause du conflit sahraoui ; le sud saharien est devenu une zone partagée entre Aqmi, des bandes touaregs autonomes, les trafiquants de drogue est-ouest et nord-sud ; la frontière avec la Libye est le lieu de tous les trafics d’armes et, semble t il, l’Algérie ne porte pas dans son cœur le nouveau régime libyen. Il en est de même avec la Tunisie. La diplomatie algérienne, autrefois active, flamboyante, tiers-mondiste, n’est plus que l’ombre d’elle-même et ne joue plus de rôle actif dans les affaires du monde arabe.
  • Il en résulte cette situation difficile à comprendre où l’état d’urgence a été aboli mais où il faut des autorisations de toutes sortes pour la moindre activité, le moindre déplacement, où les associations sont suspectes, où les formes rétrogrades de l’islam sont fortes, où les relations avec la France sont instrumentalisées, ....Une bureaucratie et un régime policier de style DDR perdurent, encourageant la corruption généralisée et des mesures vexatoires pour les étrangers comme pour les nationaux
  • En dehors des entreprises d’État, déliquescentes, le secteur privé et les PME ne peuvent progresser ; les investissements étrangers sont de fait interdits puisque la loi oblige toute société à avoir 51% de son capital détenu par un ressortissant algérien et que la propriété par des étrangers est interdite

C’est une présentation sans doute pessimiste mais on sent la peur, l’attentisme, l’espoir que la fin prochaine de Bouteflika puisse ouvrir une ère nouvelle mais sans savoir laquelle. C’est une grande tristesse de voir ce grand et beau pays, ce peuple fier et courageux, ami aujourd’hui de la France se détourner ainsi de son propre avenir. Espérons quand même une évolution pacifique et positive et que l’Algérie trouve enfin la paix intérieure et la prospérité. J’espère que la France et l’Europe se tiendront à ses côtés.