Il semblerait que la durée du deuil national diminue au fur et à mesure que les attentats se multiplient. En effet, le lundi 26 mars, soit trois jours à peine après l’attaque ayant eu lieu dans l’Aude, fustigeant l’action du gouvernement en la matière, l’opposition s’est empressée de formuler plusieurs propositions relatives à la lutte contre le terrorisme.
S’exprimant lundi matin sur BFM TV, Marine Le Pen a ainsi réclamé que « les fichiers S étrangers soient immédiatement expulsés de notre territoire », une proposition également défendue par Laurent Wauquiez, le président des Républicains. Loin d’être nouvelle, cette mesure fait face à un obstacle important remettant en cause sa crédibilité.
Contrairement à ce qui a pu être affirmé par Mme Le Pen, la loi française permet bel et bien d’expulser un étranger présentant une menace « grave ou très grave pour l’ordre public », et cela sans même que ce dernier ait été condamné par la justice française. Seulement, une telle décision n’est possible que si le risque que véhicule l’individu en question est « actuel », c’est-à-dire imminent. Or, comme l’ont souligné plusieurs spécialistes, bien qu’étant un document de surveillance, le fichier S ne permet pas d’évaluer le niveau de dangerosité des individus. Regroupant des situations vagues et diverses, il ne contient pas les éléments requis pour justifier une expulsion.
Également prôné par Laurent Wauquiez, l’internement administratif des fichés S se heurte quant à lui à une difficulté juridique majeure le rendant tout simplement inapplicable. Le fichier S est un document administratif, sans aucune valeur judiciaire. Autrement dit, le fait qu’un individu figure sur une de ces fiches ne constitue pas une infraction, critère nécessaire pour justifier l’internement. Bien que de nombreux fichés S soient auteurs de crimes et de délits, beaucoup n’en ont pas commis et figure sur cette liste pour simple soupçon de radicalisation. Ainsi, comme l’a souligné Nathalie Cettina du Centre français de recherche sur le renseignement, « ces fiches constituent uniquement un système d’alerte et n’ont pas vocation à pénaliser».
Une telle mesure ne semble d’ailleurs pas faire l’unanimité chez les Républicains. Ancien directeur de la police nationale et aujourd’hui, vice-président LR de la région Ile-de-France chargé de la sécurité, Frédéric Péchenard a déclaré qu’il ne pensait pas que cette idée ait « beaucoup de sens, dans la mesure où, c’est l’ancien policier qui parle, c’est très difficile à mettre en œuvre, aussi bien juridiquement que techniquement ».
Mais Laurent Wauquiez ne s’est pas arrêté à ces deux seules propositions. Le leader de la droite a également demandé à ce que « l’état d’urgence soit rétabli », une mesure n’étant en aucun cas nécessaire. En effet, rentrée en vigueur le 1er novembre dernier, la loi antiterroriste a introduit dans le droit commun de nombreuses dispositions figurant jusque-là dans ce régime d’exception. Ont notamment été facilités les procédures d’assignation à résidence ainsi que la fermeture des lieux de culte soupçonnés de propagande terroriste.
Au lieu de céder à cette surenchère de propositions plus sensationnelles que réalistes, efforçons nous plutôt de prendre du recul face à la situation actuelle. Le phénomène du terrorisme djihadiste nécessite une réponse durable et la logique court-termiste d’un « attentat = une loi » ne peut permettre d’y apporter une solution cohérente et efficace.
Comme l’affirment de nombreux experts, notre arsenal législatif en matière de lutte contre le terrorisme, ayant notamment permis d’empêcher vingt-deux attentats en un an, est suffisant. La faiblesse de notre dispositif actuel semble davantage liée au mode opératoire de nos services de renseignement. Président du centre d’analyse du terrorisme, Jean-Charles Brisard affirme ainsi que nos services doivent « sortir de la culture du fichier ». A l’instar de Nathalie Cettina, il prône le renforcement d’une approche de terrain, la seule capable selon lui d’enrayer efficacement la menace djihadiste. En effet, bien plus qu’une surveillance centralisée à distance, une présence de terrain permet d’appréhender les réseaux, de remonter leurs filières, d’anticiper les passages à l’acte.
Cette dimension « terrain » doit impérativement être davantage intégrée au sein de la vision stratégique de la DGSI, principale agence du contre-espionnage français. Dotée de moyens importants, cette dernière possède tous les atouts pour mener à bien cette transformation.