Je souhaite partager la tribune ci-dessous de mon ami Pierre-Yves Le Borgn’ publiée hier dans le Télégramme.

Nous vivons, depuis ces dernières semaines, une crise sanitaire, économique et sociale d’une magnitude inégalée. Des vies seront peut-être perdues par centaines de milliers. Et des emplois par dizaines de millions. Le plus urgent est de tenir bon, de rester chez soi, de soutenir celles et ceux qui, au dehors, des personnels soignants dans les hôpitaux aux caissières des supermarchés luttent pied à pied pour chacune et chacun d’entre nous. Il est aussi temps pour les gouvernements et pour l’Europe d’affronter la récession et le chômage qui viennent. Cette crise sera vaincue mais le monde ne pourra, ni ne devra, plus jamais être le même. Des leçons devront être tirées. Nous devrons vivre différemment, penser différemment, agir différemment.

La crise du coronavirus est celle de la mondialisation et de l’effacement de la volonté. Il n’est pas normal que neuf dixièmes des masques de protection soient produits en Chine, pas davantage qu’il est normal que la production de médicaments y ait été pour l’essentiel délocalisée. La mondialisation était supposée être heureuse, la vérité est qu’elle ne l’est pas. Nous sommes devenus dépendants d’États lointains et d’empires commerciaux. Un mot a disparu, qui était une exigence, une garantie : la souveraineté. La souveraineté, c’est décider pour soi-même, c’est se protéger, c’est faire vivre ses choix de société et, en particulier, celui de soigner à l’hôpital tout citoyen parce que la protection sociale est un droit humain.

Le président de la République a parlé de guerre. Il a eu raison. Nous luttons contre un ennemi invisible. Mais nous luttons aussi contre le conformisme de la pensée et nos erreurs d’hier. La pandémie ne connaît pas de frontières, les compétences et les budgets oui. La solidarité européenne a manqué. Chacun est resté chez soi, dans le désordre, puisque les États n’ont pas confié à l’Europe de compétence en matière sanitaire. Les contraintes du pacte de stabilité ont certes été levées pour permettre des politiques nationales de relance et la Banque centrale européenne a mis en place un programme inédit de rachat de titres. Que valent cependant ces efforts au regard des 2 000 milliards de dollars du plan de sauvetage américain ?

Pour l’Europe et donc pour nous vient le moment de vérité. À ne pas nous défendre, nous sommes et serons, demain, davantage encore les laissés pour compte de la mondialisation. La défense de la souveraineté ne peut être qu’européenne. Cela veut dire confier à l’Union une compétence en matière sanitaire. Cela veut dire une politique budgétaire intégrée et l’émission d’euro-obligations autorisant la mutualisation des dettes. Cela veut dire une politique industrielle encourageant la constitution de géants européens, que l’application rigoriste du droit de la concurrence empêche à ce jour. Cela veut dire assumer nos valeurs et nous rappeler que l’Europe est plus que jamais une communauté de destins.