Dans la nuit du 16 au 17 mars, je suis intervenu, au nom du groupe socialiste, dans la discussion générale du projet de loi autorisant la ratification de l’accord concernant le transfert et la mutualisation des contributions au Fonds de résolution unique (FRU).
Signé le 21 mai 2014 par l’ensemble des États membres de l’Union européenne, à l’exception du Royaume-Uni et de la Suède, cet accord intergouvernemental s’inscrit dans le cadre de l’union bancaire. Il a pour objet de fixer certaines règles de fonctionnement du fonds auquel sera adossé le Mécanisme de résolution unique (MRU).
Alimenté par les banques, le FRU sera doté de 55 milliards d’euros d’ici à 2024. Il est destiné à intervenir en cas de défaillance d’un établissement bancaire. En d’autres termes, il vise à limiter la probabilité d’un recours à l’argent des contribuables et des épargnants.
Pour plus de détails, vous pouvez consulter le rapport de la commission des finances en cliquant ici.
Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu de mon intervention et de la réponse du secrétaire d’État chargé du budget.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent débat porte sur la mise en place du second pilier de l’Union bancaire, le premier étant la surveillance.
Deux piliers, c’est mieux qu’un seul et c’est plus stable ! Nous avançons donc. Peut-être, plus tard, discuterons-nous du troisième pilier. Nous serons alors parfaitement certains de la stabilité de l’Union bancaire.
Il s’agit donc de mettre en place le mécanisme de résolution unique, ainsi que le Fonds de résolution unique, qui le garantit financièrement.
La commission des finances, lorsqu’elle avait débattu de la loi DDADUE, avait posé la condition suivante à la ratification de l’accord intergouvernemental : la connaissance des modalités de calcul de ce fonds, et surtout les modalités de répartition entre les pays. Nous ne souhaitions pas, en effet, – mais peut-être ne devrions-nous pas le dire ? – que les banques françaises paient plus que les banques allemandes, et que l’Allemagne, compte tenu de son poids économique et financier, soit moins payante que la France ; ce n’est pas manifester d’hostilité à l’égard de ce pays que de dire cela. Il s’agissait aussi, pour nous, de protéger nos intérêts.
Ces préoccupations formulées par le Sénat ont été largement prises en considération. Je m’en félicite, car il n’est pas si fréquent que les vœux du Parlement soient pris en compte dans des accords internationaux de ce genre.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Il est bon de le rappeler !
M. Richard Yung. Nous nous en réjouissons, et espérons que nous poursuivrons dans cette voie. Nous parvenons, ainsi, à l’établissement d’un équilibre entre ces deux grands pays que sont l’Allemagne et la France.
Autre motif de satisfaction : les banques contribueront au Fonds, en appliquant la méthode de calcul valable pour l’Union bancaire et celle qui est valable pour l’Union européenne, selon le mécanisme en ciseaux déjà évoqué, la partie nationale diminuant progressivement au profit de la partie mutualisée. Ce mécanisme permet d’éviter que, dans certains pays, notamment le nôtre, les secteurs bancaires paient des contributions anormalement élevées. C’est donc un processus sage.
Le rapporteur général a parlé du financement intragroupe : il évitera aux banques mutualistes françaises de payer deux fois.
Quant à la comptabilisation des dérivés selon un traitement prudentiel, cette mesure va également dans le bon sens.
Par ailleurs, et cela a été dit à deux reprises, il faut se réjouir que les États membres, en dépit des réticences allemandes, aient accepté l’idée que le Conseil de résolution unique octroie aux banques la possibilité de fournir des engagements de paiement au lieu d’argent frais, ou « cash ».
Si chaque pays peut négocier son propre pourcentage, nous souhaitons vivement que le pourcentage d’engagements hors bilan pour les banques françaises soit le plus proche possible des 30 %. Nous souhaitons que le gouvernement français demande aux autorités communautaires la fixation d’un tel pourcentage. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous apporterez certainement des précisions sur ce sujet.
Nous le savons, l’Allemagne a obtenu que les petites banques puissent bénéficier d’un traitement préférentiel pendant la montée en puissance du FRU. Certes, quand il est question de l’Allemagne, la notion de « petites banques » est assez relative ! Certaines Sparkassern réalisent des bilans de plusieurs centaines de milliards d’euros. Concrètement, les établissements dont le total des actifs est inférieur à 3 milliards d’euros s’acquitteront d’une contribution forfaitaire de 50 000 euros pour la première tranche de leur bilan. Il faudra veiller à ce que cette exception n’alimente pas la fragmentation financière au sein de l’Union économique et monétaire.
Hormis ce dernier point, je note que les ajustements qui ont été apportés aux règles de calcul des contributions au FRU satisfont en grande partie les demandes de la France. Ils s’ajoutent aux avancées que le Gouvernement et le Parlement européen avaient obtenues lors de la préparation du règlement créant le MRU ; il s’agit là de la partie institutionnelle, notamment avec la création du Conseil de résolution unique. Je pense notamment à l’accélération du rythme de mutualisation des compartiments nationaux du FRU.
Pour mémoire, la proposition initiale prévoyait une mutualisation totale à l’issue d’une période de dix ans, l’Allemagne refusant de payer pour les erreurs commises par les banques des autres États membres ; pour elle, le plus tard aurait été le mieux. Le Sénat a proposé de réduire ce délai de moitié, en le ramenant à cinq ans, ce qui revient à accélérer la mise en place du compartiment mutuel. En effet, c’est une démarche plus européenne : l’accord intergouvernemental disparaît lorsque l’ensemble des compartiments sont mutualisés.
À l’issue des négociations, la période de mutualisation a été fixée à huit ans. C’est un bon compromis, qui permet une bonne fédéralisation du MRU.
Je me réjouis que la solution retenue pour le calcul des contributions au FRU permette d’aligner la part des contributions de l’Allemagne et de la France sur leur poids respectif dans les actifs bancaires de la zone euro. Le montant des contributions françaises s’élèvera à 14,9 milliards d’euros, soit 27 %, contre 15,2 milliards d’euros pour les contributions allemandes, soit 28 %. Je soupçonne d’ailleurs les négociateurs d’être partis du résultat final et d’avoir procédé à rebours pour aboutir à une méthode donnant satisfaction. Après tout, c’est un bon procédé, puisque tout le monde s’y retrouve.
Monsieur le secrétaire d’État, il reste une question non négligeable : comment et selon quels critères les 14,9 milliards d’euros seront-ils répartis entre les banques françaises, puisqu’il s’agit d’un montant global ?
Toutes les conditions sont donc désormais réunies pour permettre la ratification de l’accord.
Je formulerai néanmoins trois remarques.
Tout d’abord, on peut regretter que certains aspects du FRU aient été fixés en partie dans un cadre intergouvernemental. À l’instar du Parlement européen, je proposerai que le contenu de l’accord soit réintégré dans le droit de l’Union européenne dans les plus brefs délais, c’est-à-dire avant même le délai butoir de dix ans prévu à l’article 16 de l’accord intergouvernemental. Ce serait l’occasion de procéder à une révision globale des traités et d’obtenir l’accord de l’Allemagne qui souhaite une révision des traités, en particulier pour la BCE et pour la création de l’Autorité de surveillance des banques.
Ensuite, chacun sait que le filet de sécurité dont le montant s’élève à 55 milliards d’euros ne suffira pas en cas de crise bancaire. Si la crise est grave, aucun fonds ne permettra d’y faire face et, même si elle est moyenne, il faudra davantage de moyens. C’est un sujet important, car il s’agit de garantir la crédibilité du MRU.
L’article 5 de l’accord intergouvernemental prévoit la possibilité pour le CRU de contracter des emprunts pour le FRU, si le Fonds est insuffisant. Cependant, tout cela est encore assez flou, l’Allemagne étant réticente à s’engager, elle qui pense toujours qu’elle devra payer pour les frasques des pays latins qui, au bord de la Méditerranée, jouent de la mandoline le soir. À mon sens, le Mécanisme européen de stabilité, le MES, devrait pouvoir jouer ce rôle : il a d’ailleurs été créé voilà quelques années pour la gestion des crises financières. Par l’intermédiaire de ce mécanisme, 700 milliards d’euros sont mobilisables, ce qui permet de faire face à une crise. Il faut donc essayer de convaincre l’Allemagne de s’engager dans cette voie. Lorsque le MES a été créé, l’Allemagne, forte des craintes que je viens d’évoquer, avait aussi posé un grand nombre de conditions pour qu’il soit quasiment impossible de l’utiliser.
Enfin, j’en viens à la mise en œuvre de la procédure de renflouement interne prévue par la directive dite « BRR ». Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite appeler votre attention sur le fait que cette procédure, qui n’a pour l’instant pas été mise en œuvre, le sera peut-être à l’occasion d’une crise bancaire qui se déroule en Autriche, dans le Land de Carinthie, dont Jörg Haider a été le responsable et qui touche une banque se trouvant dans une situation assez difficile. J’ai cru comprendre que le gouvernement fédéral autrichien, avec beaucoup de mon sens, avait affirmé ne pas être près de combler le trou, qui est actuellement compris entre 3 milliards d’euros et 6 milliards d’euros. Par conséquent, nous aurons peut-être l’occasion d’assister à un intéressant exercice pratique...
Les résultats des tests bancaires des établissements français nous rassurent, mais la situation peut évoluer. C’est pourquoi je soutiens la demande du rapporteur de faire en sorte que la France bénéficie de la dérogation prévue par la directive relative aux systèmes de garantie des dépôts permettant de limiter à 0,5 %, contre 0,8 %, des dépôts couverts le niveau cible du Fonds de garantie des dépôts et de résolution. C’est aussi une demande que les banques ont dû formuler auprès de vous, monsieur le secrétaire d’État.
Chose assez rare pour être soulignée, la commission des finances a introduit dans le projet de loi un article additionnel obligeant le Gouvernement à informer annuellement le Parlement de la mise en œuvre du MRU, du FRU et de la directive relative aux systèmes de garantie des dépôts, ce qui nous permettra de suivre la mise en place, les pourcentages et les sommes versées.
Plus tard, il nous faudra parachever l’Union bancaire. Nous devons finaliser la transposition de la directive BRR. La semaine dernière, la Commission européenne a déploré que seuls quatre États membres – l’Allemagne, l’Autriche, la Slovaquie et le Royaume-Uni – lui aient notifié leurs mesures de transposition de cette directive. La France est donc en retard. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer l’état d’avancement de l’élaboration des ordonnances relatives à la résolution bancaire ?
Se pose également la question, un peu plus lointaine, du système de garantie des dépôts. Je sais que le Gouvernement soutient cette position, contrairement au gouvernement allemand qui ne veut pas de la création d’un fonds de garantie des dépôts bancaires mutualisés. Toutefois, il faudrait en toute logique achever le système bancaire européen, qui – il faut le dire en cette période où l’Europe sert souvent de drapeau rouge pour l’opinion publique – est une grande conquête pour l’Europe. C’est pourquoi nous devons avancer sur ce point.
Je conclurai en évoquant la question de la fiscalité, même si elle n’a pas de lien direct avec le texte que nous examinons. Voilà quelques mois, trois membres du Conseil d’analyse économique ont publié une note intéressante dans laquelle ils affirment que « l’Union bancaire ne sera pas complète sans une harmonisation des régimes fiscaux des banques ». Je partage totalement ce point de vue. Il faut parvenir à une unification des taxes et contributions spécifiques à l’activité bancaire, hors impôt sur les sociétés ; celles-ci devraient être « fusionnées en une unique taxe sur l’activité financière et transférées au niveau de l’Union bancaire ». Nous aurions là achevé le marché unique et commun bancaire.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, telles sont les principales observations que je souhaitais formuler. Vous l’aurez compris, le groupe socialiste soutiendra et votera bien évidemment le projet de loi autorisant la ratification de l’accord intergouvernemental, dans le texte de la commission. (Applaudissements au banc des commissions. – MM. André Gattolin et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
[…]
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Même si certains points qui ont été soulevés sont toujours en négociation, je voudrais m’efforcer de répondre à certaines interrogations, en notant que le texte proposé par le Gouvernement reçoit assez majoritairement le soutien du Sénat. Je mettrai fin d’emblée au suspense en indiquant que nous sommes évidemment favorables à l’amendement de la commission, qui a introduit un article 2 visant à renforcer l’information du Parlement. Sur un sujet aussi important, cela nous semble absolument légitime.
MM. de Montgolfier et Yung, notamment, ont demandé si la France allait solliciter une dérogation pour réduire de 0,8 % à 0,5 % la cible de préfinancement du fonds de garantie des dépôts ; c’est en effet notre intention, car nous considérons que nous remplissons les critères prévus par la directive, notamment eu égard à la concentration de notre système bancaire. Nous disposons en effet d’un petit nombre de grands établissements. Ils ont également évoqué les filets de sécurité, dans l’hypothèse où les ressources du FRU seraient insuffisantes. Sur ce point, les discussions se poursuivent, notamment dans l’optique de renforcer la capacité d’emprunt du FRU. Nous souhaitons que les discussions progressent rapidement, de façon à ancrer la crédibilité du dispositif.
Autre réponse positive : la France souhaite que le CRU fasse largement usage de la faculté d’obtenir jusqu’à 30 % d’engagements de paiement. Nous avons l’intention de demander l’application la plus large possible du dispositif, compte tenu de la qualité de notre système bancaire et de sa bonne réponse aux stress tests.
Monsieur Yung, vous vous interrogez sur le fait de savoir s’il convient de réintégrer dans le droit de l’Union les dispositions que nous avons évoquées. La France estimait possible de se passer de cet accord intergouvernemental, mais il semblerait que cette idée ne fasse pas consensus. Il est donc probable que les discussions achoppent sur ce point.
Plusieurs d’entre vous se sont interrogés sur le volume du Fonds : les 55 milliards d’euros seront-ils suffisants ? Rappelons, comme l’a fait M. le rapporteur, que le FRU n’interviendra qu’après contribution des actionnaires et des créanciers à hauteur de 8 % du bilan. Pour une banque comme BNP Paribas, qui présente un bilan de 2 000 milliards d’euros, les ressources du Fonds ne seraient donc utilisées qu’à partir de 160 milliards d’euros de pertes. On ne peut jamais se prémunir de tout – M. Yung a évoqué les risques en cas de crise « moyenne » ou « grave » –, mais le calibrage me semble pertinent.
Monsieur Gattolin, vous avez évoqué la question de la séparation des activités des banques. Cette séparation, prévue par la loi de 2013 à partir d’une analyse et d’un suivi étroits des risques liés aux activités de marché, ne figure pas dans le projet de règlement de la Commission. Je rappelle toutefois que les stress tests ont été très largement positifs pour les grandes banques françaises.
Monsieur Foucaud, je ne peux que regretter que le groupe CRC ne participe pas au vote, compte tenu des avancées importantes prévues par le texte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le fonds de garantie des dépôts restera en place aussi longtemps qu’un troisième pilier n’aura pas été ajouté à l’Union bancaire. Le fonds de garantie national demeurera donc distinct du Fonds de résolution unique, mais les contributions versées au fonds de garantie des dépôts au titre de la résolution pour 2015 seront reversées l’an prochain au FRU. Ces quelques précisions techniques permettront, je l’espère, de lever vos derniers doutes.
Il se peut que ce texte important ne constitue qu’une étape, monsieur Delattre. Vous avez évoqué les hedge funds et le shadow banking, qui continuent d’exister. Le travail continue ; il est de longue haleine. Vous avez aussi parlé des inspecteurs des finances qui contrôlent leurs collègues passés dans le secteur bancaire… Je vous indique que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ne compte pas que des inspecteurs des finances ayant travaillé à Bercy ; elle comprend aussi des inspecteurs généraux de la Banque de France.