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Je vous souhaite la bienvenue sur ce site archive de mon mandat de sénateur des Français hors de France.

Mandat que j'ai eu l'honneur de faire vivre de 2004 à 2021.
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Je me suis retiré de la vie politique à la fin de mon mandant en septembre 2021, je partage désormais mes réactions, points de vue, réflexion sur https://www.richardyung.fr

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Richard Yung
Octobre 2021

Le 10 février, j’ai participé, dans le cadre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, à l’audition du directeur de l’Asie et de l’Océanie au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, Bertrand Lortholary, sur le coup d’État militaire perpétré en Birmanie le 1er février.

Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu des propos liminaires de M. Lortholary et de mon intervention.

M. Bertrand Lortholary, directeur d’Asie et d’Océanie au ministère de l’Europe et des affaires étrangères - Je suis très heureux de venir pour la première fois devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat.

En Birmanie, la situation a profondément changé de nature, le coup d’État ayant conduit à une nouvelle étape de la dégradation observée depuis le mois de novembre dernier. Cette séquence s’inscrit, très logiquement, dans l’histoire longue de ce pays, les militaires birmans ayant joué, évidemment pas pour le meilleur, un rôle fondamental dans son histoire depuis l’indépendance en 1948. La junte, en effet, a pris le pouvoir une première fois en 1962 et n’a cessé depuis, dès lors qu’elle sentait que le pouvoir était susceptible de lui échapper, de reprendre celui-ci par la force.

Depuis 2015, la Birmanie a connu une tentative de libéralisation et de transition démocratique, avec pour point de départ les élections qui se sont tenues en novembre de cette année-là. Ces dernières ont mené à une grande victoire, dans les urnes, du parti d’Aung San Suu Kyi, fille du fondateur de la Birmanie, assassiné par les militaires. Depuis cette date, Aung San Suu Kyi a tenté de composer avec les militaires birmans pour légitimer progressivement son propre pouvoir, en veillant soigneusement à ne pas prendre le risque d’un retour en arrière. Cela a conduit à la façon dont la crise des Rohingyas de 2017-2018 a été gérée par le pouvoir birman, ce qui a valu à Aung San Suu Ky de choir du piédestal que la communauté internationale lui avait érigé.

Les élections générales du 8 novembre dernier devaient renforcer le processus de démocratisation engagé en 2015. Nous avons suivi cette élection et l’avons jugée conforme aux attentes que nous pouvions formuler. Elles ont montré une forte participation, tout du moins dans les endroits où le scrutin a été maintenu, et illustré le renouvellement de la confiance de la population à la LND et à Aung San Suu Kyi elle-même. Les résultats ont attribué 396 sièges à la LND au parlement national, une progression par rapport à 2015. À l’inverse, le principal parti d’opposition, étroitement lié à l’armée, n’a recueilli que 33 sièges contre 41 cinq ans plus tôt.

Il faut néanmoins souligner que la participation à ces élections a été inégale entre les régions. En outre, les membres de la communauté rohingya encore présents en Birmanie n’ont pas pu voter car ils ne se voient pas reconnaître la nationalité birmane. Aux termes de la constitution de 2008, les militaires disposent par ailleurs de 25 % des sièges du parlement national ainsi qu’au sein des parlements des États et des régions composant la Birmanie.

À la suite de cette élection, les militaires et les partis qui en sont proches ont estimé que les scrutins avaient été émaillés de fraudes d’envergure. En observant l’accroissement de cette contestation des élections au fil des semaines, nous nous sommes inquiétés d’un nouveau retour en arrière de la Birmanie à la faveur d’un coup d’État. D’ailleurs, le 27 janvier, le commandant en chef de l’armée birmane a laissé planer le doute sur les intentions de l’armée. Devant ce risque, nous avons alors appelé au strict respect des résultats des élections.

Le week-end séparant le 27 janvier du coup d’État a été confus, et nous avons entendu des rumeurs contradictoires sur les projets de l’armée. Le 1er février au matin, nous avons été placés devant le fait accompli de l’arrestation d’Aung San Suu Kyi, du président de la République, d’un certain nombre de membres du gouvernement, de gouverneurs d’États et de personnalités de la société civile. Ces arrestations se sont poursuivies dans les jours suivants, et nous estimons qu’aujourd’hui 165 personnes ont été arrêtées. L’ensemble des pouvoirs a été transféré au commandant en chef des forces armées et l’état d’urgence a été décrété pour une durée d’une année à l’issue de laquelle devront se tenir des élections. Le même jour a été formé un nouveau gouvernement comptant parmi ses membres plusieurs anciens ministres du gouvernement civilo-militaire au pouvoir jusqu’en 2016. En outre, une structure de pouvoir été constituée, le State administrative Council, rappelant les heures sombres de l’histoire du pays. L’enjeu, pour l’armée, était de ne pas laisser échapper le pouvoir à la faveur du mouvement inscrit dans le prolongement des élections de novembre dernier.

Nous avons condamné avec la plus grande fermeté ces événements, Jean-Yves Le Drian s’étant exprimé à plusieurs reprises sur ce sujet, y compris au Sénat les 2 et 3 février derniers. Nous avons demandé le respect du résultat des élections, la libération immédiate et inconditionnelle de toutes les personnes arrêtées ainsi que la fin de l’état d’urgence. Beaucoup de nos partenaires se sont exprimés en même temps que nous. Nous nous sommes également exprimés collectivement, d’abord par une déclaration de l’Union européenne le 2 février, puis par l’entremise des ministres des affaires étrangères du G7 le 3 février et, enfin, par l’intermédiaire d’un communiqué du Conseil de sécurité de l’ONU publié le 4 février.

La Chine, de son côté, a réagi le jour même du coup d’État d’une manière extraordinairement prudente, le ministère des affaires étrangères chinois se contentant d’appeler toutes les parties à régler leurs différends. Certains Chinois sont d’ailleurs allés jusqu’à qualifier les événements de Birmanie d’« important remaniement ministériel ». L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), dont la Birmanie est membre, s’est exprimée par une déclaration de sa présidence, exercée cette année par le sultanat de Brunei.

Nous poursuivons notre travail de mobilisation et avons soutenu la tenue d’une session spéciale du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, session qui s’ouvrira demain. Nous poursuivons notre travail de réflexion entre Européens, dans la perspective du Conseil des affaires étrangères du 22 février prochain, notamment sur la question des sanctions. M. Le Drian a ainsi jugé que, compte tenu des événements, la question des sanctions se posait impérativement.

Nous saluons la mobilisation exemplaire de notre ambassade sur place, avec laquelle nous sommes en contact constant. S’agissant de nos 800 ressortissants, aucun d’entre eux n’a été directement exposé à des violences ; des consignes leur ont été données de rester, autant que faire se peut, à leur domicile.

Depuis quelques jours, des manifestations toujours plus importantes se déroulent non seulement à Rangoun, mais aussi à Mandalay et Naypyidaw. Nous avons ainsi compté quelque 150 000 personnes lundi à Rangoun. La réponse des forces de l’ordre se fait chaque jour plus sévère, consistant, au début, en un simple encadrement pacifique pour en venir à l’utilisation de canons à eau, de gaz lacrymogènes puis des balles en caoutchouc et, selon un certain nombre de témoignages, des balles réelles. Des manifestants auraient ainsi été blessés. Il y a tout lieu de craindre que les manifestations ne se renforcent et que la réponse des militaires ne soit de plus en plus dure. Il me semble que nous devons nous préparer à une situation difficile dans les prochains jours.

Le président de la république et Aung San Suu Kyi sont en résidence surveillée dans la capitale, inculpés sous des motifs fantaisistes ; ils encourent jusqu’à trois ans de prison. Là encore, nous nous sommes exprimés avec force pour dénoncer les poursuites arbitraires dont ils sont l’objet et demander leur libération immédiate et inconditionnelle.

[...]

M. Richard Yung. - Les infrastructures de la route de la soie, essentielles pour la Chine qui cherche une fenêtre sur l’océan, datent du gouvernement civil précédent. Le gouvernement actuel continuera-t-il à donner des facilités à la Chine ?

Le Japon, qui a d’excellentes relations avec la Birmanie, pourrait-il jouer un rôle important de médiateur au sein de l’Asean ?

M. Bertrand Lortholary. - Pour la Chine, la Birmanie est un pays « frère ». La seule visite à l’étranger en 2020 du président Xi Jinping a été en Birmanie. De plus, le ministre des affaires étrangères chinois, Wang Yi, s’y est également rendu en janvier dernier, pour la cinquième fois depuis 2015. La position birmane à l’égard de son grand voisin n’est pas univoque. Des impératifs de realpolitik la conduisent à considérer que les liens avec la Chine doivent être resserrés pour des raisons économiques ; mais la Birmanie conserve simultanément une certaine méfiance. Il est donc difficile de définir de façon trop affirmative la position des responsables birmans à l’égard de la Chine. Il serait inexact de dire que, d’un côté, Aung San Suu Kyi serait plus proche des vues occidentales tandis que, de l’autre, les militaires seraient plus proches de celles de la Chine. Vous avez vous-même fait remarquer l’évolution au sein du monde occidental depuis quelques années de la perception d’Aung San Suu Kyi, qui par ailleurs s’est également rapprochée de la Chine. À l’inverse, les militaires ont une nette méfiance à l’égard du voisin chinois qui soutient plusieurs guérillas à la frontière sino-birmane.

Le Japon a une présence économique significative en Birmanie - quelque 3 000 ressortissants japonais et 400 entreprises étant présents dans le pays. Si la grande brasserie de bière Kirin s’est retirée de Birmanie, elle est, à ce jour, la seule entreprise japonaise à avoir annoncé cette décision Ces intérêts stratégiques et économiques expliquent la réaction extraordinairement prudente des autorités japonaises sur le sujet birman. En ce qui concerne la constitution, celle-ci est effectivement déséquilibrée, mais elle reflète précisément le poids historique de l’armée au sein du pays. Le quota de 25 % des sièges au parlement permettait d’empêcher tout mouvement de transition démocratique de priver les militaires de la réalité de l’exercice du pouvoir. Le résultat des élections a suffisamment menacé les militaires pour qu’ils estiment qu’il fallait reprendre les rênes, alors même que pour le moment la constitution n’était pas remise en cause. Vous l’avez dit, la marge de manœuvre d’Aung San Suu Kyi était extraordinairement réduite.

Les mouvements bouddhistes sont très influents et puissants et ont constitué la force motrice de la crise des Rohingyas. Il faut néanmoins noter que la division de 2017-2018 ne recoupe pas celle d’aujourd’hui. L’on voit, dans la rue, un certain nombre de manifestants apparemment membres de ces mouvements, mais c’est bien la population de manière générale qui manifeste contre les militaires.