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Je vous souhaite la bienvenue sur ce site archive de mon mandat de sénateur des Français hors de France.

Mandat que j'ai eu l'honneur de faire vivre de 2004 à 2021.
Ce site est une image à la fin de mon mandat.
Vous y trouverez plus de 2 000 articles à propos des Français de l'étranger. C'est un véritable témoignage de leur situation vis-à-vis de l'éducation, de la citoyenneté, de la protection sociale, de la fiscalité, etc. pendant ces 17 années.

Je me suis retiré de la vie politique à la fin de mon mandant en septembre 2021, je partage désormais mes réactions, points de vue, réflexion sur https://www.richardyung.fr

Merci de votre visite.

Richard Yung
Octobre 2021

Le 14 avril, la commission des affaires étrangères du Sénat a adopté, à l’unanimité, le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

Déjà adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, ce texte très attendu est le fruit d’une large consultation. Il « fait de la lutte contre la pauvreté et les inégalités mondiales l’objectif central de notre politique de développement, qui doit contribuer à la préservation des biens publics mondiaux (en particulier la santé, le climat, la biodiversité, l’éducation) et à la lutte contre les causes profondes des crises, en aidant les pays les plus vulnérables, notamment d’Afrique, à répondre à ces enjeux et à poursuivre leur transition vers des modèles de croissance plus résilients, plus inclusifs et plus durables ».

Parmi les principales mesures du projet de loi figurent :

  • la définition des principaux objectifs de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales (éradication de la pauvreté dans toutes ses dimensions, protection des biens publics mondiaux, lutte contre les inégalités, lutte contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition, promotion des droits humains, renforcement de l’État de droit et de la démocratie, promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, etc.) ;
  • la fixation de la programmation financière, en vue d’atteindre l’objectif fixé par le président de la République d’une aide publique au développement (APD) représentant 0,55% du revenu national brut (RNB) en 2022 et 0,7% du RNB en 2025 ;
  • la mise en place d’une base de données ouvertes regroupant les informations relatives à l’APD bilatérale et multilatérale de la France ;
  • la création d’un dispositif permettant la restitution, au plus près des populations des États étrangers concernés, des recettes provenant de la cession des biens dits « mal acquis » (les actions de coopération et de développement financées à partir de ces fonds ne seront pas comptabilisées au titre de l’APD française) ;
  • le renforcement de la cohérence des politiques publiques avec les Objectifs de développement durable (ODD) inscrits dans le programme de développement durable à l’horizon 2030, adopté le 25 septembre 2015 par l’Assemblée générale des Nations unies ;
  • la création du « 1% transports » (possibilité, pour les autorités organisatrices de la mobilité, de financer, dans la limite de 1% des ressources hors versement de transport affectées aux budgets des services de mobilité, des actions de coopération avec les collectivités territoriales étrangères, d’aide d’urgence au bénéfice de ces collectivités et de solidarité internationale dans le domaine de la mobilité) ;
  • le maintien au niveau législatif du Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI), qui est l’instance de concertation des différents acteurs du développement et de la solidarité internationale ;
  • la transformation de l’association France Volontaires en groupement d’intérêt public (GIP), facilitation des volontariats dits « réciproques » (possibilité, pour les ressortissants de pays tiers, d’effectuer en France un volontariat de solidarité internationale) et prévention des dérives du « volontourisme » (pratique consistant à proposer des séjours touristiques via une agence de voyage en les faisant passer pour du volontariat) ;
  • l’obligation, pour les organisations proposant des actions de volontariat au sein de structures œuvrant auprès de mineurs, de vérifier l’absence de condamnation des volontaires, bénévoles ou stagiaires à une peine d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs ;
  • le renforcement de la tutelle de l’État sur l’Agence française de développement (AFD), dont les missions sont rehaussées au niveau législatif (l’activité de l’AFD à l’étranger s’exercera sous l’autorité des ambassadeurs, dans le cadre de la mission de coordination et d’animation de ces derniers) ;
  • l’intégration au groupe AFD d’Expertise France, qui est transformée en société par actions simplifiée (son capital sera totalement ou partiellement détenu par l’AFD) ;
  • la création d’une commission indépendante d’évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales, placée auprès de la Cour des comptes ;
  • l’habilitation du Gouvernement à définir par ordonnance les modalités d’octroi de privilèges et immunités aux associations ou fondations assimilables à des organisations internationales qui installent leur siège en France ou qui souhaitent y organiser des conférences internationales.

Le projet de loi prévoit aussi le renforcement de l’information du Parlement. Le Gouvernement aura en effet l’obligation de remettre de nombreux rapports à l’Assemblée nationale et au Sénat :

  • rapport annuel relatif à la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales (stratégie mise en œuvre, résultats obtenus, cohérence des politiques publiques françaises avec la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales, mise en œuvre de la trajectoire d’APD, liste des pays dans lesquels intervient l’AFD, liste des pays prioritaires, etc.) ;
  • rapport étudiant les différentes activités pouvant être comptabilisées au titre de l’APD de la France ;
  • rapport sur les coopérations opérationnelles entre l’AFD et la Caisse des dépôts et consignations;
  • rapport recensant le nombre d’experts techniques internationaux (ETI) français et détaillant leur secteur d’intervention et leur secteur géographique d’activité ;
  • rapport présentant une évaluation du dispositif dit de « bi-bancarisation » (offre d’opérations de banque à des personnes physiques résidant en France par des établissements de crédit ayant leur siège dans un État figurant sur la liste des États bénéficiaires de l’aide publique au développement) ;
  • rapport examinant les modalités de réduction des coûts de transaction des envois de fonds effectués par les diasporas;
  • rapport présentant la stratégie de la France en matière de mobilité internationale en entreprise et en administration;
  • rapport évaluant les possibilités de dispense de criblage des bénéficiaires finaux pour certaines actions de stabilisation à l’intérieur de périmètres géographiques définis caractérisés par une situation de crise persistante et l’existence de groupes armés non étatiques (le criblage consiste à vérifier que les bénéficiaires finaux ne figurent sur aucune liste de personnes sous régimes de sanctions ou embargos des Nations unies, de l’Union européenne et de la France).

Annexé au projet de loi, le cadre de partenariat global (CPG) établit les orientations, la stratégie, les modalités de pilotage et le cadre de résultats de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales.

La commission des affaires étrangères a mené ses travaux dans un état d’esprit ouvert et constructif. Elle a examiné pas moins de 156 amendements, dont les 25 amendements que j’avais déposés au nom du groupe Rassemblement des démocrates progressistes et indépendants (RDPI).

Je me réjouis de l’adoption de 18 de mes amendements, qui visent notamment à :

  • faire en sorte que les parties prenantes soient consultées préalablement à l’établissement de la base de données ouvertes;
  • ajuster le dispositif permettant la restitution des recettes provenant de la cession des biens dits « mal acquis » (élargissement du champ des infractions visées ; obligation de restituer les recettes au plus près des populations, dans le respect des principes de transparence et de redevabilité, et en veillant à l’association des organisations de la société civile) ;
  • ajouter la promotion de l’égalité entre les filles et les garçons à la liste des objectifs principaux de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales ;
  • souligner le caractère politique de l’autonomisation des femmes;
  • préciser que la France doit mettre l’accent sur la protection des militants syndicaux dans les pays partenaires ;
  • mentionner la lutte contre les pandémies parmi les engagements de la France ;
  • préciser que les actions de coopération dans le domaine agricole s’inscrivent dans le cadre du protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques, dont la France est signataire ;
  • faire des conseillers des Français de l’étranger des membres de droit des conseils locaux du développement, qui seront présidés par les ambassadeurs accrédités auprès des pays partenaires (les parlementaires des Français établis hors de France pourront également y participer en tant qu’observateurs) ;
  • préserver la spécificité de la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD) par rapport au CNDSI ;
  • renforcer le pilotage politique de l’AFD (obligation, pour le Gouvernement, de remettre au directeur général de l’agence une lettre annuelle d’objectifs) ;
  • permettre à Expertise France d’apporter son appui aux collectivités territoriales d’outre-mer dans la mise en oeuvre de leurs actions en matière de politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales ;
  • permettre à un représentant élu des collectivités territoriales de siéger au sein du conseil d’administration d’Expertise France.

Pour ce qui concerne la commission indépendante d’évaluation, mon amendement est malheureusement « tombé » après l’adoption d’un amendement des rapporteurs. Mes collègues Hugues Saury et Rachid Temal proposent que la commission :

  • élabore un cadre d’évaluation comportant des objectifs et des indicateurs ;
  • soit présidée par le premier président de la Cour des comptes;
  • comprenne, outre son président, dix membres nommés pour une durée de trois ans renouvelable une fois (trois magistrats de la Cour des comptes, deux députés, deux sénateurs, trois personnalités qualifiées désignées par le Gouvernement, un représentant des collectivités locales nommé par la CNCD, un représentant des pays partenaires nommé par le Gouvernement) ;
  • communique dans un délai maximum de huit mois les conclusions des évaluations réalisées à la demande du Parlement.

La composition et le fonctionnement de la commission d’évaluation feront probablement l’objet d’un long débat lors de l’examen du projet de loi en séance publique (11, 12 et, éventuellement, 17 mai).

Préalablement à l’examen des amendements, la commission des affaires étrangères a auditionné le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, le directeur général de l’AFD, Rémy Rioux, et le directeur général d’Expertise France, Jérémie Pellet.

L’audition de M. Le Drian s’est tenue le 7 avril.

Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu de son propos liminaire et de mon intervention.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. - Enfin ! Cette loi, maintes fois repoussée, était attendue. Les budgets successifs ont certes précédé ce projet de loi, mais il convenait de structurer nos priorités. Je tiens à remercier tous ceux qui, depuis trois ans, ont travaillé à l’aboutissement de ce texte. La convergence de ce projet de loi avec la crise que nous traversons en démontre toute la pertinence.

Nous vivons dans un monde de compétition exacerbée, où l’influence est devenue un enjeu de puissance majeur. L’aide au développement ne fait pas exception : elle est devenue un enjeu d’influence dans la conflictualité des modèles et des valeurs.

La France est revenue dans le jeu : notre aide publique au développement (APD) a dépassé les 10 milliards d’euros par an, atteignant 12,8 milliards d’euros en 2020. Il s’agit d’un véritable changement de braquet, conformément à l’engagement pris par le Président de la République au début de son mandat. Notre aide publique au développement, qui représentait 0,38 % de notre richesse nationale en 2016, s’établit actuellement à 0,48 % du PIB et notre objectif est d’atteindre 0,55 % en 2022. Dans la crise, nous avons tenu à maintenir notre engagement en volume, avec une augmentation de 18 % entre 2019 et 2020 et de 33 % entre 2020 et 2021. Nous devrions dépasser le Royaume-Uni en 2021, pour nous classer au quatrième rang mondial des bailleurs d’APD.

Il fallait faire plus, mais il faut aussi faire mieux. C’est pourquoi ce projet de loi propose un changement de méthode, en profondeur, dans le sillage des efforts de rénovation engagés depuis le Cicid de février 2018.

Nos priorités sont clairement définies, à commencer par nos priorités géographiques, avec une concentration de nos dons sur les pays les plus vulnérables ; il s’agit des dix-neuf pays prioritaires appartenant à la catégorie des pays les moins avancés - Haïti et dix-huit pays d’Afrique subsaharienne. Ces pays seront destinataires de la moitié de l’aide projet mise en œuvre par mon ministère, soit 70 millions d’euros, et de deux tiers de l’aide projet mise en œuvre par l’AFD, qui s’élève à 816 millions d’euros en 2021 ; à cela s’ajoute une augmentation de 10 % de notre contribution à l’association internationale de développement de la Banque mondiale.

Nous réaffirmons aussi nos priorités thématiques. Nous voulons investir dans l’avenir et les biens communs mondiaux, selon le triptyque que vous avez rappelé : « nourrir, former, soigner. »

C’est ainsi que nous contribuons au renforcement des systèmes de santé primaire des pays les plus fragiles, au travers notamment de l’initiative « Santé en commun », qui a permis d’améliorer la prise en charge des malades au Sénégal, en Guinée, au Burkina Faso et en République centrafricaine.

Nous agissons également en faveur de la préservation du climat et de la biodiversité. Notre contribution au Fonds vert pour le climat a doublé depuis 2017, pour passer de 750 millions à 1,5 milliard d’euros, ce qui nous permet de renforcer notre crédibilité diplomatique dans les enceintes multilatérales. Cinq ans après les accords de Paris, l’urgence environnementale est une urgence absolue et elle prend un relief particulier en cette année du Congrès de l’union internationale pour la conservation de la nature qui se tiendra à Marseille, de la COP26 qui aura lieu à Glasgow et de la COP15 sur la biodiversité qui est prévue à Kunming. Tous les financements de l’AFD sont bien entendu compatibles avec l’accord de Paris, mais pour moitié d’entre eux ils présentent même un co-bénéfice climat. Le gigantesque projet de la Grande Muraille verte, qui va du Sénégal à Djibouti, a été relancé par le One Planet Summit de janvier dernier qui a permis de mobiliser 14 milliards de dollars pour lutter notamment contre la désertification. Nous menons également des actions en Chine et en Turquie et je tiens à préciser d’emblée qu’il ne s’agit pas de prêts de faveur : ils sont réalisés aux taux de marché.

Nous investissons aussi dans l’éducation. Nous sommes le troisième bailleur mondial dans ce secteur, avec une multiplication par dix de notre contribution au Partenariat mondial pour l’éducation, qui atteint 200 millions d’euros sur 2018-2020. Les résultats en sont significatifs, avec le soutien à la scolarisation de plus de 22 millions d’enfants.

Nous travaillons enfin à la promotion de l’égalité de genre. Nous aborderons ces enjeux lors du Forum Génération Égalité se tiendra dans quelques mois à Paris.

Ces priorités géographiques et thématiques doivent être traitées ensemble et non pas en silo, car la crise de la covid a montré leur enchevêtrement et la nécessité de mettre en œuvre une approche transversale.

Nous devons également refonder nos partenariats : il ne s’agit plus seulement de faire « pour » nos partenaires du sud, mais « avec » eux, dans une logique de codéveloppement, car nos responsabilités et nos intérêts sont communs. Il faut sortir d’une logique d’assistance ou de charité, pour entrer dans une logique de développement solidaire : en aidant nos partenaires du sud, nous nous aidons nous-mêmes, car les réponses aux grandes questions du XXIe siècle se trouvent à la fois chez nous et chez eux. Pensons seulement au défi de l’immigration irrégulière et aux tragédies humaines qu’elle occasionne. Ce renforcement de la dimension partenariale de notre politique se joue aussi en France : les acteurs de la société civile française se verront reconnaître un droit d’initiative renforcé qui leur permettra de proposer eux-mêmes des projets - avec le doublement des financements prévus - et nous associerons à nos efforts les diasporas africaines en France.

Le pilotage de notre politique d’APD par l’État sera renforcé, avec une chaîne de commandement clarifiée, depuis le Conseil présidentiel du développement, jusqu’au plus près du terrain grâce à une implication renforcée de nos ambassades. C’est le sens de la création des conseils locaux de développement qui seront créés dans chaque poste. Présidés par l’ambassadeur, ils veilleront à la cohérence des efforts de l’ensemble des acteurs, y compris de l’AFD. À chacun de mes déplacements - comme je l’ai fait vendredi dernier à Niamey -, je présiderai moi-même ces conseils et je souhaite qu’y soient associés les autres acteurs du développement, y compris non français, qui sont parties prenantes dans les projets.

Depuis maintenant un an, j’organise désormais une réunion de cadrage avec le directeur général de l’AFD tous les deux mois, afin que les orientations votées par le Parlement soient concrètement mises en œuvre sur le terrain : cela me permet de piloter l’Agence en temps réel.

Nous devons aussi mieux mesurer l’impact de nos projets avec une commission indépendante d’évaluation, comme il en existe au Royaume-Uni et en Allemagne, et comme l’avait proposé le Sénat. Cette commission devra évaluer les stratégies, les outils et les projets et formuler des recommandations. Elle effectuera une évaluation de l’opportunité et de l’efficacité de la politique menée ; il ne s’agit pas de vérifier les comptes, d’autres organismes existent pour cela ! Je souhaite que cette commission rapporte devant le Parlement, selon ce que l’on appelle désormais la redevabilité. Je suis très ouvert sur sa composition, mais je tiens à ce qu’elle reste indépendante.

Ce projet de loi comporte en outre un volet destiné à attirer en France les fondations et organisations internationales qui jouent un rôle majeur en matière de développement et de promotion des biens publics mondiaux. Les organismes multilatéraux dont nous avons été à l’initiative - Unitaid, le Fonds mondial, la Fondation Aliph, etc. - se sont installés à Genève où les procédures sont plus rapides : je propose donc que nous légiférions par ordonnance sur chaque demande d’implantation. La France doit devenir un carrefour mondial de la coopération internationale et les trois premières éditions du Forum de Paris sur la paix ont montré que nous avions une vraie capacité de mobilisation.

Ce texte a été significativement enrichi lors de son examen par l’Assemblée nationale, qui y a notamment introduit trois dispositions majeures.

Un nouvel article 1erA fixe désormais les grands objectifs de la politique d’APD et rappelle notamment que cette politique est un pilier de la politique étrangère de la France et qu’elle contribue à construire et à assurer la paix et la sécurité. Il y est également précisé que cette politique a pour objectif transversal la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, dans le cadre de la diplomatie féministe de la France.

Avec mon accord, l’année 2025 a été retenue comme date cible pour l’atteinte de l’objectif onusien de 0,7 % : c’est un bon objectif sur lequel nous devons nous mobiliser.

Le dispositif de restitution des produits de cession des biens dits mal acquis - sur lequel votre collègue Jean-Pierre Sueur a mené des travaux - a été amélioré : les produits de cession de ces biens donneront lieu à des ouvertures de crédits au sein d’un nouveau programme budgétaire afin de financer des actions de coopération et de développement. Il s’agit d’une grande innovation qui se fera dans une parfaite transparence à l’égard du Parlement.

L’Assemblée nationale a également apporté des avancées en termes de redevabilité : création d’une base de données ouverte, élargissement du champ du rapport annuel au Parlement relatif à la politique de développement, positionnement de la nouvelle commission d’évaluation auprès de la Cour des comptes et possibilité de saisine par le Parlement.

Elle a également prévu que la France prendrait désormais en compte l’exigence de responsabilité sociétale des acteurs publics et privés sur le devoir de vigilance des entreprises ; elle a renforcé notre exigence d’accès à un état civil fiable ; elle a prévu un rapport au Parlement sur les dispenses de criblage des destinataires finaux ; et elle a réduit les coûts de transaction de certains transferts de fonds et revu notre stratégie s’agissant des volontaires internationaux.

Après un long et très fructueux débat, ce projet de loi a été adopté à l’unanimité, une première depuis le début de ce quinquennat !

[...]

M. Richard Yung. - Vous n’avez pas évoqué Expertise France dans votre propos liminaire. Le rapprochement entre Expertise France et l’AFD me paraît une excellente chose. Mais pourquoi la mécanique mise en place est-elle aussi compliquée ? Pourquoi n’avons-nous pas intégré directement Expertise France au sein de l’AFD ?

Un point m’a semblé faible dans ce projet de loi, concernant le rôle des collectivités d’outre-mer. Celles-ci peuvent jouer un rôle important dans les actions de développement. Il faudra, dans la discussion, sans doute ajouter quelques références.

Au sujet de la commission d’évaluation, il serait utile d’y associer des représentants de pays recevant l’aide, qui pourraient juger des actions. Il serait intéressant, par exemple, de connaître l’avis du président de la Cour des comptes du Sénégal ou de la Côte d’Ivoire.

[...]

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. - [...] Monsieur Yung, il est indispensable que nous puissions répondre à la demande d’un pays par une offre globale, associant une offre de prêt, une offre de don et une offre d’expertise, comme le font les acteurs dont a parlé Jacques Le Nay. C’est ce qui explique qu’Expertise France rejoigne le groupe AFD. Cependant, ce ne sera pas une filiale de l’AFD comme peut l’être Proparco, qui travaille avec les entreprises privées. Nous voulons qu’Expertise France garde une forme d’autonomie, de manière que l’on puisse lui passer des commandes directes sans passer automatiquement par l’AFD. Le dispositif proposé permet l’autonomie d’Expertise France dans le champ d’action de l’AFD, ce qui permettra de répondre très rapidement à des demandes ou d’identifier les projets réalisables en apportant la garantie technique nécessaire. C’est ce que nous faisons déjà, mais nous le ferons plus efficacement avec Expertise France.

J’ajoute que nous avons décidé de doubler le nombre d’experts techniques internationaux, qui sont aujourd’hui au nombre de 140, pour être en mesure de répondre à une demande immédiate entraînant la mobilisation de l’AFD. C’est une bonne manière de répondre à la pénétration d’autres acteurs, en particulier sur le territoire africain.

L’audition de M. Rioux a eu lieu le 24 mars.

Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu de son propos liminaire et de mon intervention.

M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement. - Je vous remercie pour cette invitation. Je suis à votre disposition pour rendre des comptes sur l’action de l’AFD et débattre sur le projet de loi de programmation et la politique de développement elle-même. Ma lecture d’ensemble de ce texte est extrêmement positive. Il fournit tout d’abord l’occasion d’un débat public devant la représentation nationale sur les enjeux et les spécificités de l’action de développement, son pilotage politique, ses objectifs et ses moyens, le dernier débat ayant eu lieu en 2014. Il est essentiel pour notre agence de recevoir une orientation fixée par la loi.

Je salue l’ensemble des travaux approfondis conduits par les parlementaires depuis de longues années éclairant cette redéfinition de la politique de développement. Je pense notamment aux rapports de MM. Requier, Collin et Canevet, de Mme Keller, de M. Vial, de Mme Perol-Dumont auxquels ont succédé les sénateurs Saury et Temal. Je salue tous les travaux auxquels vous avez contribué, M. le président, avec votre regrettée collègue Marielle de Sarnez. Cette loi de programmation vient consolider ces nombreux travaux et échanges. C’est pour la première fois une loi de programmation budgétaire. Nous sommes heureux de ce signal politique. Les crédits de la mission aide publique au développement connaissent 75 % d’augmentation entre 2016 et 2022, se stabilisant à 0,55% du RNB en 2022. Ils atteignent 0,7% en 2021 compte tenu des annulations de dettes envisagées. C’est très intéressant au moment même où les Britanniques, considérés pendant vingt ans comme les leaders de la politique d’aide au développement dans le monde, ont réduit d’un tiers les crédits qui y sont alloués.

Cette loi opère aussi une redéfinition de la politique de développement. Elle mentionne les politiques partenariales, le développement solidaire, les inégalités mondiales, l’approche globale intégrée. La grande nouveauté figure à l’article 3 du projet de loi avec les objectifs de développement durable des Nations unies comme cadre de référence de cette politique qui est affirmée comme l’un des trois piliers de notre politique étrangère avec la défense et la diplomatie. C’est très important pour nous.

La loi clarifie également les modalités de pilotage de la politique de développement, depuis le conseil présidentiel pour le développement qui s’est réuni la première fois fin 2020, jusqu’au conseil local de développement qui va rassembler toute l’équipe autour de nos ambassadeurs. La loi établit le rôle leader du ministère des affaires étrangères. J’ai des réunions périodiques avec Jean-Yves Le Drian, dont je salue l’engagement et l’intérêt portés à ces questions de développement. Ce soutien politique est important, de même que la confiance dans la mise en œuvre de ces orientations.

La loi vient considérablement renforcer l’évaluation et la transparence, ainsi que la communication. Plus les Français sont informés sur cette action, plus ils y adhèrent et la trouvent efficace. La commission indépendante d’évaluation, créée par l’Assemblée nationale, viendra apporter de l’information indépendante et scientifique dans le débat public. Je suis très favorable à ce que l’agence soit soumise à cette analyse.

Ce texte vient en fin de mandature. Nous l’attendions depuis longtemps. Cela n’enlève rien à sa force. Il clarifie et consolide le mouvement et la transformation de cette politique engagée en 2015 et accélérée depuis 2017 dont l’AFD a grandement bénéficié. Il reste des questions à régler. Elles doivent être débattues afin que notre mandat soit plus clair et légitime. Je pense que nous sommes cohérents dans notre action. Les parlementaires qui siègent dans notre Conseil d’administration sont les vigies et les acteurs de cette cohérence et nous seront heureux d’accueillir prochainement vos quatre nouveaux représentants, si le texte reste en l’état ! Ils renforcent le lien politique avec les Français.

Il y a une forte croissance des engagements de l’AFD, qui a eu lieu préalablement à la loi, suscitant des interrogations. Le texte ramène ce montant à 12 milliards d’euros d’engagement annuel. On entre dans une période de consolidation et de rééquilibrage entre les différents produits financiers. Nous avons atteint la taille d’une banque régionale de développement, ce qui nous donne une influence proportionnée à notre pays. La loi confirme les priorités géographiques fixée à l’agence, notamment l’Afrique, et les priorités sectorielles. Je serai très attentif au débat devant la Haute assemblée, cette partie du texte ayant été largement discutée à l’Assemblée nationale, notamment sur les enjeux d’égalité homme/femme et les droits de l’enfant.

Enfin, le texte nous encourage à nous transformer en plateforme au service de toutes les parties prenantes, les collectivités locales, la société civile et les entreprises. Il s’agit de « mettre notre pays en coopération ». C’est sur cette base collective de solidarité que nous pouvons bâtir une coalition internationale. Je pense à l’Alliance pour le Sahel ou au sommet « Finance en Commun ».

C’est un excellent texte qui, j’espère, recevra l’unanimité de vos suffrages, comme à l’Assemblée nationale après un débat intensif. Il y a évidemment dans le texte plusieurs dispositions concernant directement l’AFD sur lesquelles je pourrais revenir. Le renforcement d’Expertise France, auquel le Sénat est très attaché, est prévu par le texte, qui prévoit une gouvernance assurant toute l’autonomie nécessaire à Expertise France et garantit une synergie entre l’aide financière et l’aide humaine. Cela va renforcer notre action et relancer cette expertise, cette dimension humaine dont le nombre d’acteurs s’était beaucoup réduit.

Le 1% mobilité est également un outil très important. Le dispositif en matière d’eau, dite « loi Oudin », a fait ses preuves. Nous avons la réplique dans un autre domaine d’excellence de l’offre française. L’AFD se met en ordre de marche pour aller chercher les collectivités locales qui souhaitent développer leur coopération.

Il y a plusieurs dispositions qui concernent directement l’AFD : Expertise France, le 1% mobilité, la question des biens mal acquis et la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme en zone de crise. Un article a été ajouté pour qu’un rapport soit remis au Parlement sur ces sujets très sensibles, notamment dans le Sahel.

[...]

M. Richard Yung. - Je me félicite des priorisations dans le projet de loi, sur les pays et sur les thèmes. Quelles sont vos relations avec la Caisse des dépôts ? À une époque, on en entendait beaucoup parler, qu’en est-il aujourd’hui ? Et pour la BPI ?

Concernant la gouvernance, je suis inquiet de voir la multiplication de tous ces conseils : un conseil présidentiel, un Comité interministériel du développement et de la coopération internationale (CICID), un Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) et un conseil pour les collectivités locales. Comment fait-on pour assurer la cohérence et respecter les limites de leurs actions ?

[...]

M. Rémy Rioux. - Notre alliance avec la Caisse des dépôts se poursuit. Nous avons été partenaire en novembre dernier sur les banques publiques de développement et la Caisse des dépôts est venue amener toutes son expérience dans les discussions. Les équipes techniques ont toujours continué à échanger régulièrement compte tenu de la durée de la crise économique pour faire le lien entre les enjeux internationaux. Nous avions créé un fonds d’investissement STOA, pour accompagner les entreprises françaises pour mener des projets significatifs à l’international. La quasi-totalité des fonds est désormais engagée dans des projets sur lesquels nous pouvons vous rendre des comptes.

BPI France est une filiale de la Caisse des dépôts avec laquelle nous venons de signer une nouvelle convention pour donner un mode d’emploi aux entreprises dans leur capacité à interagir avec la banque des PME en France et Proparco à l’étranger.

L’audition de M. Pellet s’est également déroulée le 24 mars.

Vous trouverez, ci-dessous, le compte rendu de son propos liminaire.

M. Jérémie Pellet, directeur général d’Expertise France. - Je regrette de ne pas être présent parmi vous ce matin, car je me suis autoconfiné à mon retour de mission en Guinée et en Côte d’Ivoire.

À titre liminaire, je souhaite saluer le travail du Sénat, qui est à l’initiative de la création d’Expertise France, ainsi que l’action des sénateurs Marie-Françoise Pérol-Dumont, Christophe-André Frassa et Isabelle Raimond-Pavero au sein de notre conseil d’administration.

Le projet de loi marque une rupture historique en matière de coopération technique, qui s’inscrit dans le droit-fil des recommandations formulées par le Sénat dans ses rapports sur le sujet. En effet, après des années de réduction des moyens budgétaires qui lui étaient alloués, cette coopération était devenue le parent pauvre de la politique d’aide publique au développement, marquée par l’arrêt des dispositifs lancés dans les années 1970-1980. Le nombre d’experts s’est lui aussi réduit : alors qu’il existait quelques dizaines de milliers de coopérants par le passé, la France compte aujourd’hui quelque 200 experts techniques internationaux portés par Expertise France pour le compte du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, auxquels s’ajoutent environ 250 experts mobilisés sur projets. D’autres pays - Allemagne, Japon - ont maintenu un effort de coopération technique important, en s’appuyant parfois sur plusieurs milliers d’assistants techniques.

Aussi le dispositif français avait-il besoin d’être rénové et renforcé ; l’ambition affichée par le projet de loi à travers le cadre de partenariat global est donc bienvenue, de même que les décisions prises par le Conseil présidentiel du développement visant, d’une part, à augmenter le nombre d’experts techniques internationaux à travers le doublement de la commande du ministère de l’Europe et des affaires étrangères et, d’autre part, le renforcement du rôle d’Expertise France pour attirer de nouveaux publics (jeunesse, diasporas) vers la coopération technique.

Pour ce faire, l’État pourra s’appuyer sur Expertise France qui est un acteur solide. Sa taille a doublé en quatre ans, et son chiffre d’affaires devrait être supérieur à 300 millions d’euros cette année. Cette forte croissance traduit le besoin d’une expertise française à travers le monde, à laquelle nous devons pouvoir répondre.

Le contrat d’objectifs et de moyens passé avec l’État a permis de définir un modèle économique durable, grâce notamment au mécanisme de soutien qui nous permet de mobiliser, chaque année, entre 150 et 200 millions d’euros de fonds européens, pour un coût d’environ 6 millions d’euros pour l’État français.

Notre agence est l’opérateur interministériel de la politique française de coopération. Expertise France a su développer des compétences dans les domaines de la santé, de la gouvernance, du développement durable, du développement humain, de la sécurité et de la défense, et prochainement dans celui de la justice avec l’intégration de Justice coopération internationale (JCI) à la fin de l’année. Expertise France est aujourd’hui la deuxième agence européenne dans le domaine de la coopération technique, après la GIZ allemande. Ce projet de loi met en avant une coopération technique plus partenariale, en rationalisant les instruments de cette politique. Il fixe en outre un cadre de partenariat global dont nous partageons les priorités. L’Afrique est la priorité absolue d’Expertise France qui y consacre l’essentiel de son activité. Nous appuyons nos États partenaires dans plusieurs domaines - santé, etc. - définis comme prioritaires par le Quai d’Orsay.

Le traitement des crises et des fragilités représente une autre part importante de l’activité de l’agence. Nous agissons dans des pays ou des régions fragiles tels que le Sahel, le Proche-Orient, la République centrafricaine et la Libye, dont la stabilité est cruciale pour la France et l’Europe. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement nous demande d’y être présents.

La question de la gouvernance est l’une des priorités de l’agence, dans tous ses aspects : gouvernance démocratique, justice, retour de l’État de droit, gouvernance économique et financière.

Le projet de loi rationalise le dispositif de coopération en intégrant Expertise France à l’AFD, sans préjudice de ses spécificités. La décision d’intégration avait été prise par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) en février 2018, ce qui nous a laissé du temps pour la préparer. Cette réforme essentielle nous a déjà permis de développer des synergies, et nous permettra d’être efficace et de nous démarquer sur le plan européen. Le renforcement de nos moyens et la complémentarité entre l’assistance technique et les financements, fait de nous un acteur unique en Europe - voire dans le monde -, auquel nos partenaires, de même que les délégations de l’Union européenne, sont attentifs.

Les spécificités d’Expertise France justifient son maintien ainsi que son rattachement au groupe AFD comme filiale, tout en conservant une certaine autonomie. L’agence aura des missions de service public qui sont définies dans le projet de loi et qui pourraient être renforcées. Elle aura le statut de SAS, ce qui est classique pour une filiale d’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). La souplesse de ce statut permettra d’organiser une gouvernance avec un rôle important de l’État, la présence de parlementaires - deux sénateurs et deux députés - et d’une représentation de la société civile.

Pour son activité, Expertise France n’est pas dépendante de l’AFD. En effet, l’activité sur financement de l’AFD représente près du quart de notre activité - probablement le tiers l’an prochain -, quand les financements de l’Union européenne représentent plus de la moitié. Nous sommes également un partenaire important des Nations unies, et de fonds comme UNITAID dans le domaine de la santé ; nous conserverons ces relations, parallèlement aux mandats que l’État nous a confiés - gestion des expertises techniques internationaux, initiative 5 % en matière de santé mondiale, commande publique des ministères.

Au sein du groupe AFD, nous serons un levier de mobilisation de l’expertise publique. Nous lui apporterons notre connaissance pour coopérer avec des pays autres que ceux en développement, puisque nous sommes présents au sein même de l’Union européenne, dans des domaines tels que la sécurité et la défense.

Ce projet est aussi fédérateur sur le plan social, et suscite des attentes chez nos salariés.

Le projet de loi conforte Expertise France dans son rôle d’acteur clé de la coopération et du développement. L’amendement du rapporteur à l’Assemblée nationale, Hervé Berville, sur la gouvernance de l’agence et la clarification du rôle de directeur général, était bienvenu car il permet d’assurer la stabilité de cette gouvernance qui a connu des difficultés par le passé. En outre, il est important de conserver l’agilité d’Expertise France en précisant ses missions de service public ; cela est essentiel pour notre positionnement vis-à-vis de nos partenaires dans le monde.

Par ailleurs, nous devons être réactifs et prendre des décisions rapidement. À cet égard, je me réjouis que l’Assemblée nationale ait réduit les délais exécutoires des décisions prises par le conseil d’administration, passant de 15 à 8 jours, même si un délai de 24 ou de 48 heures serait préférable dans certains cas.

Enfin, la filialisation au sein du groupe AFD est l’un des objectifs de ce projet de loi. Ce texte parle toutefois d’un transfert d’Expertise France à l’État, sans mentionner l’AFD ; il serait donc utile d’en préciser les modalités, afin de pouvoir intégrer le groupe AFD dès le 1er juillet prochain.

Ce projet de loi ambitieux est donc nécessaire pour nous permettre d’être présents sur le terrain et renforcer notre politique d’influence, comme l’a indiqué le ministre Jean-Yves Le Drian.