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Richard Yung
Octobre 2021

Les Echos - mardi 25 juin 2019 - Yann Rousseau, correspondant à Tokyo

Chaque année au Japon, des dizaines de milliers de parents perdent, dans des séparations compliquées, le droit de revoir leurs enfants. Une nouvelle génération se révolte contre ces enlèvements « légaux » et veut faire évoluer les mentalités.

Le 10 août 2018 à 18 heures, Vincent Fichot rentre chez lui. Une maison d'architecte du quartier résidentiel de Setagaya, au sud-ouest de Tokyo. Le jeune trader français y vit avec son épouse japonaise et leurs deux enfants. Il pousse la porte. « Il n'y avait aucun bruit », se souvient-il. Hormis un canapé, le salon est nu. Dans la cuisine, plus rien. Pas une assiette. Même plus la petite peinture d'empreinte de main réalisée à la garderie par son fils Tsubasa, alors âgé de trois ans. Il se précipite à l'étage : chambres abandonnées. Habits et jouets de Kaede, sa fille de onze mois, ont aussi disparu. Comme les meubles, les bibelots et les documents de la famille. Les « déménageurs », qui sont intervenus après son départ pour la banque à 6 heures du matin, lui ont laissé un lit. Et la machine à laver.

Paniqué, il cherche à joindre son épouse, avec laquelle les relations s'étaient beaucoup détériorées. Silence. Il appelle ses proches qui pourraient l'aider à la localiser. En vain. Mais dans la boîte aux lettres l'attend un courrier de l'avocate de sa femme daté du jour : « Ne cherchez pas à les contacter. Nous voulons négocier un accord financier. » Le lendemain, il se rend au commissariat de quartier. On l'éconduit. C'est du privé. Aucun crime n'a été commis. Circulez ! Il visite ses beaux-parents, intimes après onze ans de mariage. « C'est le choix de ma fille », tranche le beau-père. « Shoganai ! » Une expression très commune au Japon qui signifie « Il faut accepter son destin ». Dix mois plus tard, il n'a toujours pas revu ses enfants kidnappés.

Garde partagée non reconnue

Chaque année au Japon, des dizaines de milliers de parents japonais doivent se résigner. Pudiquement, les médias les appellent les « abandonnés ». Essentiellement des pères japonais. Et quelques centaines d'étrangers. On ne parle d'eux que quand ils craquent. Depuis 2010, deux jeunes papas français se sont suicidés après avoir compris qu'ils ne reverraient plus leur bébé. Le 20 mars, un Américain de trente-deux ans a égorgé sa femme devant le tribunal de Tokyo, en plein quartier des ministères ; elle ne le laissait plus voir, depuis août 2018, Micah, leur garçon de deux ans, et venait ce jour-là, devant la cour, officialiser leur séparation. Il a été arrêté quelques minutes après son crime.

L'an dernier, le pays a recensé, selon le ministère de la Santé, 208.000 divorces. « Dans près des deux tiers des cas, les enfants sont privés à jamais d'un parent », note l'avocat Akira Ueno. L'association Kizuna, qui se bat pour les droits des « abandonnés », avance le chiffre de 150.000 nouveaux enfants dans ce cas chaque année. « L'enlèvement par un parent sans l'accord de l'autre est une violence faite à l'enfant mais au Japon ce n'est pas illégal », résume la pédopsychologue Noriko Odagiri.

Le Code civil japonais, implacable, ne reconnaît pas le principe de la garde partagée. « Dans l'esprit des textes mais également dans l'inconscient japonais, l'enfant est perçu comme une propriété du foyer. En cas de divorce, cette propriété est transférée à l'un des parents et l'autre devient automatiquement un étranger », explique Akira Ueno, qui a également « perdu » ses enfants. Lors d'un divorce sans consentement mutuel, l'un des parents perdra ainsi automatiquement autorité parentale et droit de garde. Dans ce système, les éventuelles rencontres avec le parent abandonné sont décidées par celui qui a emporté la garde. Le tribunal peut octroyer des droits de visite dérisoires - souvent, une poignée d'heures par mois -, mais la justice n'a aucun moyen exécutoire.

Avantage au parent kidnappeur

Depuis décembre 2016, Tommaso Perina a eu le droit de voir ses enfants... quatre heures. Deux rencontres de deux heures au printemps 2017. D'abord dans une salle de réunion fermée de l'Association des avocats de Sendai, une ville du nord-est du Japon. « Toutes les portes étaient fermées et trois personnes nous surveillaient », se souvient-il, écoeuré. Puis dans un centre familial dédié, comme il en existe dans les villes de l'Archipel. « Je n'avais pas le droit de leur parler en italien, de leur faire des cadeaux ou même de faire une photo avec eux », souffle-t-il. Depuis, plus rien. Ses droits de visite ne sont plus appliqués. Il suffit à son épouse de dire que l'un des enfants a un rhume ou un entraînement de foot. Les autorités ne font rien.

Avant d'organiser ces séparations, le tribunal aux affaires familiales organise, sur de longs mois, des essais de médiation et des consultations avec les parents, qui se présentent chacun à leur tour mais jamais ensemble devant le juge pour expliquer leur « projet parental ». Au final, il accordera presque toujours la garde unique à la personne détenant les enfants depuis la séparation. Au nom de la « continuité » et de la « stabilité ». Pour ne pas les traumatiser une nouvelle fois.

« C'est simple, ce système donne toujours la victoire au premier parent kidnappeur », s'emporte Mitsuru Baba. Ses enfants, Yohei et Yuina, ont été enlevés le 5 novembre par son épouse, après une dispute sur les finances de la famille. Depuis, ils vivent chez les parents de cette dernière, à moins de 2 kilomètres de la résidence familiale, mais il lui est interdit de chercher à les approcher. « Il n'y a pas de jugement mais la police dit que je ne dois pas aller les voir ou approcher de l'école », explique ce papa, âgé de cinquante et un ans, qui a dû quitter son poste de cadre d'un grand groupe pour organiser son combat. Il fait maintenant le taxi la nuit dans Tokyo pour pouvoir se présenter dans les administrations en journée. Il a déjà déposé au tribunal des affaires familiales des demandes pour le retour de ses enfants, des droits de visite et même le divorce. Mais son épouse retarde les procédures. Le temps joue pour elle. « Les parents kidnappeurs savent exactement ce qu'il faut faire. Il suffit d'aller sur Internet, vous trouverez le manuel de l'enlèvement parfait », raconte-t-il.

Dans la plupart des cas, le parent qui part va d'abord accuser l'autre de violence domestique ou de maltraitance sur les enfants. Une simple déclaration suffit. Il n'y a pas d'enquête. Et la tache indélébile est dans le dossier. « Lorsqu'il a emmené nos enfants, mon mari a dit que j'avais commis des abus et que je leur donnais des doses dangereuses de médicaments, » confie l'artiste Namiko. « Le Japon a un gros problème avec ces fausses accusations de violence domestique », détaille-t-elle. Après avoir longtemps peiné à reconnaître l'ampleur de ces abus et à légiférer, le pays multiplie les initiatives pour mieux protéger les femmes et les enfants battus. Et il est moralement compliqué pour les professionnels d'oser mettre en doute ces dénonciations. « Il est maintenant facile d'obtenir un certificat du médecin. Mon mari avait même réussi à faire rédiger un rapport médical affirmant que j'avais blessé un de nos enfants avec un couteau », raconte la jeune femme, qui a depuis récupéré la garde de ses enfants.

Dans les premiers mois, l'épouse de Vincent Fichot a appliqué à la lettre les conseils. Elle a dénoncé des violences domestiques puis est allée vivre deux semaines dans un refuge pour femmes maltraitées. Ensuite, la mairie lui a confié un logement social. Le tribunal des affaires familiales lui a tout de même demandé des détails sur les « maltraitances ». Après maintes requêtes, son avocate a fourni à la cour un texte de 3 pages détaillant les dates auxquelles son mari aurait été violent ou l'aurait séquestrée. Notamment en vacances en France chez ses parents. Traquant l'activité sur les réseaux sociaux, Vincent Fichot a démonté une à une les accusations. Martyrisée en Provence en juillet 2018 ? Ses blogs la montrent tout sourire buvant du champagne au bord de la piscine avec son beau-père. Depuis, son épouse n'évoque plus ces abus au tribunal.

Plainte devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU

Le Français accuse aussi son épouse de mettre en danger leurs enfants. Après s'être aperçu qu'elle continuait, après sa fuite, de venir dans leur résidence en journée en son absence, il avait caché une caméra et ainsi découvert qu'elle avait laissé, en plein été, leur fille enfermée dans le coffre de la voiture pendant qu'elle s'affairait dans la maison. Une vidéo glaçante. La police l'a visionnée mais a encore refusé de se saisir de l'affaire. Vincent Fichot a depuis porté plainte en France et il tente de mobiliser Paris. « Nous aurions besoin d'une condamnation publique et forte de ces pratiques par des représentants de l'Etat français », explique-t-il, avant de rappeler que ses enfants sont aussi des ressortissants français. L'ambassade devrait théoriquement s'efforcer de les localiser afin de s'assurer de leur sécurité.

Se heurtant aussi à l'inaction de la police, Mitsuru Baba a réussi, lui, à convaincre, il y a quelques semaines, un procureur d'enquêter sur l'enlèvement de ses enfants. « L'an dernier, le parquet ne s'était saisi que de 8 cas de kidnapping d'enfants par des parents. Cette année, il y a déjà eu 16 ouvertures d'enquête en six mois, avance-t-il. Les choses changent un peu. De plus en plus de gens prennent conscience de l'ampleur du drame. Mais il faut qu'on aille plus loin ».

Mobilisation croissante

Avec d'autres pères japonais et quelques Occidentaux, dont Vincent Fichot, Mitsuru Baba va déposer, dans les prochains jours, une plainte devant le Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Rédigé par le cabinet Zimeray & Finelle, le texte accuse le Japon de violer plusieurs conventions internationales, et notamment la Convention internationale des droits de l'enfant. « Le seul moyen maintenant, c'est de montrer du doigt le Japon devant la communauté internationale », estime Vincent Fichot. A Tokyo, l'avocat Akira Ueno attaque, lui, directement l'Etat japonais pour l'inconstitutionnalité de sa gestion des séparations et la souffrance des enfants. « Les pères sont de plus en plus mobilisés sur le sujet, reconnaît Shuji Zushi du ministère japonais des Affaires étrangères. Et d'ailleurs, le ministère de la Justice vient de lancer une étude sur les pratiques en termes de garde partagée dans les autres pays ».

Mais pour les « abandonnés », les changements sont trop lents. « Mes gamins, je veux qu'ils soient à la maison... hier », lance Vincent Fichot, qui redoute l'enlisement et l'oubli. « Déjà, ma femme a retourné notre aîné. Il paraît qu'il me déteste, qu'il ne veut plus me voir », susurre Mitsuru Baba. Une longue inspiration. « Je connais ce genre de lavage de cerveau. Moi aussi, je suis un enfant kidnappé », lâche-t-il. Son père l'avait enlevé quand il avait quinze ans et lui avait appris à haïr sa mère. Réalisant aujourd'hui sa propre histoire, il vient de la revoir après trente-six années de silence. « Est-ce que, moi aussi, je vais devoir attendre aussi longtemps ? »