C’est une enquête passionnante au cœur de la finance que nous livrent François Pilet et Frédéric Lelièvre dans un ouvrage paru récemment, « Krach Machine ». Écrit par deux spécialistes de la question, ce livre qui mêle souci de vulgarisation et haut degré d’exigence, prend la forme d’une enquête de terrain. Les deux journalistes sont partis à la rencontre de tous les acteurs du système financier, du trader de Wall Street aux défenseurs de la régulation en passant par les professeurs d’université qui forment les traders de demain.
Ce qu’ils décrivent n’est rien d’autre que la finance sans nom et sans visage à laquelle François Hollande faisait référence dans son discours du Bourget. Une finance déconnectée de l’économie réelle dont le seul horizon est la course au profit. Une finance dominée par la technologie, où les ordres de vente et d’achat ne viennent plus de l’homme mais d’algorithmes savants programmés pour gagner à tous les coups. Une finance aliénante qui prive l’humain de ses capacités de réflexion : il n’y a qu’à écouter les témoignages de ces jeunes étudiants tout juste recrutés qui, soumis à l’obligation de performance et pris dans l’engrenage d’un système ultra-compétitif qui menace de les broyer, prennent gout au risque et oublient tout sens de la responsabilité et de la mesure. En somme, des Jérôme Kerviel en puissance.
François Pilet et Frédéric Lelièvre reviennent sur les deux évolutions majeures qui, combinées, ont conduit à détourner la finance de sa vocation. La première est l’apparition du trading algorithmique, c’est-à-dire l’utilisation de programmes informatiques pour passer des ordres d’achat ou de vente sur les différentes bourses on optimisant les gains possibles. Plus rapides et plus performants que l’homme, ces algorithmes sont mis au point par des ingénieurs recrutés à prix d’or. La deuxième est l’accélération de l’unité temps de la bourse avec le trading à haute fréquence qui représente aujourd’hui plus de la moitié des transactions boursières. Désormais les ordres d’achats sont envoyés à la milliseconde près pour être le plus souvent annulés quelques millisecondes plus tard, faussant ainsi le cours des titres.
Les dérives de ce système sont réelles : au-delà des manipulations possibles, c’est le risque de Krach qui est le plus dangereux. De tels krachs ont déjà eu lieu comme le 6 mai 2010 où la Bourse de New York a perdu 10% de sa valeur en quelques minutes à cause d’un algorithme mal réglé.
Il ne s’agit pourtant pas de condamner la finance en tant que telle, ni l’évolution technique qui a ses avantages (baisse des couts des transactions, augmentation de la liquidité des titres, etc.). L’enjeu essentiel est celui de la mesure et de la prévention des risques de krach et de manipulations. C’est là que ce livre se révèle particulièrement intéressant. Le dernier chapitre est ainsi consacré aux mesures concrètes qui permettraient de lutter efficacement contre les dérives. Pour ma part, je me réjouis de la volonté de la commission européenne d’engager ce chantier et surtout de la loi bancaire française qui va permettre d’encadrer sérieusement ces activités.